Pour préserver la lettre et l’esprit de sa Constitution, le peuple sénégalais a opposé un non catégorique à un troisième mandat présidentiel de Wade. Celui-ci a, malgré tout, forcé le passage en s’appuyant sur un Conseil constitutionnel aux ordres. Depuis, Wade et les siens n’ont cessé, face au combat du M23, d’appeler à l’arbitrage du peuple à travers les urnes. Le verdict vient de tomber : plus de 65 % des électeurs ont rejeté la candidature du président sortant au premier tour du vote.
Pour qui connaît les ressources et les capacités d’influence électorale dont disposent les pouvoirs en place en Afrique et dont Wade a plus qu’abusé, ce chiffre traduit, au-delà d’une simple défaite électorale, une humiliation politique. Il confirme en tout cas la volonté sans équivoque exprimée par le peuple depuis le 23 juin et sans cesse réitérée par les actions de masse de la forte résistance populaire qui a provoqué, dans tout le pays, une situation préélectorale quasi-insurrectionnelle.
Tout homme politique, de surcroît d’Etat, doté d’un minimum de sens des responsabilités et de dignité, voire simplement de raison et de décence, en aurait tiré la conséquence qui s’impose : retirer purement et simplement sa candidature. En choisissant de participer au second tour, Wade prouve une fois de plus que sa conception et sa pratique de la politique font fi de la légitimité et de toute valeur d’ordre éthique ou simplement humain. Ce qui rend urgente et impérieuse la tâche du moment : chasser Wade du pouvoir d’Etat.
La gauche sénégalaise ne peut qu’être partie prenante de cette urgence et de cette nécessité. Comme l’ont déjà exprimé ses principaux leaders, il ne subsiste aucun doute sur la détermination de la gauche à jeter toutes ses forces dans le « référendum contre Wade ». Mais pour quel changement ?
L’interrogation n’est pas pour atténuer la mobilisation pour le changement mais plutôt pour la motiver et la renforcer en lui donnant un sens allant au-delà de l’alternance du personnel politique. Les Assises nationales ont créé une jonction historique exceptionnelle entre les forces politiques patriotiques et les forces citoyennes de la société civile pour développer une réflexion collégiale et construire un consensus national sur le devenir du Sénégal. Dans la continuité de cette prise en mains par le peuple sénégalais de sa destinée, le M23 s’est constitué comme un mouvement de lutte de masse pour défendre et promouvoir cette nouvelle citoyenneté consciente, active et exigeante quant à l’exercice de ses droits et devoirs démocratiques.
C’est bien dans ces foyers et processus de réflexions et de combats que s’est forgé le nouveau rapport de force entre le peuple et l’Etat, rapport de force qui a contraint Wade à subir des élections transparentes et à accepter sa défaite du premier tour en attendant la chute définitive.
Tous les partis d’opposition, à commencer par l’APR (NDLR : parti de Macky Sall, challenger d’Abdoulaye Wade pour le second tour de la présidentielle) qui en est aujourd’hui le principal bénéficiaire, doivent donc rendre à César ce qui appartient à César. Il ne s’agit point ici d’exprimer des sentiments de gratitude. Ce qu’exige la nouvelle citoyenneté, ce sont des pas en avant décisifs dans la construction de la République et de la démocratie pour précisément donner un sens au changement.
C’est ici que pointe le premier rendez-vous de la gauche sénégalaise. Elle doit, dès aujourd’hui, peser de tout son poids pour obtenir avant ce deuxième tour un accord politique clair et précis avec le candidat Macky Sall. Non pour satisfaire des intérêts étroitement partisans ! Encore moins pour obtenir des portefeuilles et autres poste de pouvoir ! Mais pour répondre aux revendications fortes de la nouvelle citoyenneté par le référendum sur la nouvelle constitution et par l’institutionnalisation de la Charte de gouvernance démocratique. Ces deux textes ont déjà fait l’objet d’un large consensus national sur l’essentiel. Il ne s’agit donc pas de les rediscuter. L’accord politique à conclure entre la gauche et le candidat Macky Sall doit porter sur les modalités concrètes et le calendrier de mise en œuvre.
« PARLER D’UNE SEULE ET MEME VOIX »
A ce premier rendez-vous, il est essentiel que la gauche parle d’une seule et même voix pour peser. Ce qui pose la nécessité et l’urgence de tirer les leçons de la période écoulée. La gauche sénégalaise globalement prise a joué un rôle central dans les processus de réflexion et d’action des Assises nationales et du M23, mais ne recueille pas les dividendes électorales qu’elle était en droit d’en attendre. Elle ne peut ici s’en prendre qu’à elle-même pour au moins deux raisons.
La première est qu’elle s’est enlisée dans un agenda du Benno Siggil Senegal (BSS), guidée certes par des soucis de progressivité et de construction patiente mais complètement en déphasage avec le temps électoral. Le résultat est que la date choisie pour désigner le candidat de l’unité et du rassemblement ne laissait plus de temps à une préparation approfondie et à une mise en œuvre adéquate des tâches électorales : mobilisation de ressources, élaboration des messages, confection des supports, cartographie électorale, évaluation des options stratégiques, planification opérationnelle de la précampagne et de la campagne etc. C’est là un handicap lourd qui explique en partie les scores relativement faibles des deux premiers candidats de gauche (environ 13% et 11%) comparés aux deux premiers candidats libéraux (environ 34% et 26%).
La seconde est de n’avoir apprécié à sa juste mesure l’exigence d’unité pour pouvoir se poser aux yeux de l’opinion nationale en alternative incontournable au pouvoir de Wade. L’option finale de se diviser a, d’une part, ouvert la vanne pour d’autres candidats qui puisent dans le même vivier électoral en les encourageant à se présenter, et d’autre part, détourné le vote utile qui était promis au BSS vers d’autres horizons. Cette division a été certainement sanctionnée négativement par un électorat déçu parce qu’ayant fortement rêvé d’une candidature d’unité et de rassemblement.
Aujourd’hui, chacun peut observer le gâchis car, plus que l’arithmétique des voix de la gauche, l’effet synergique du candidat de l’unité et du rassemblement aurait pu multiplier par deux le total des votes obtenus séparément par les candidats de gauche.
Ce regard rétrospectif n’est pour fixer sur des regrets. Il invite plutôt à tirer les leçons de ce passé tout récent pour réussir les rendez-vous du présent et du futur. De l’analyse faite, au moins deux enseignements principaux se dégagent. Reconstruire l’unité de la gauche au sein du BSS originel est une condition de succès. La tâche est urgente et la différer conduit au risque de rater encore des rendez-vous historiques et de compliquer plus la recherche de solutions progressistes pour relever les défis posés au pays. Car ces rendez-vous ne peuvent être vraiment une réussite que si la gauche est unie mais ils n’attendent point que nous soyons unis. Autrement dit, c’est l’agenda de l’unification qui s’adapte à ces rendez-vous et non l’inverse.
Et après le premier pour l’accord à sceller avec Macky au second tour, le deuxième rendez-vous est dans un futur proche : les élections législatives pointent déjà à l’horizon. La gauche ne peut faillir une fois de plus à la responsabilité de réussir une liste unitaire. Elle le doit à elle-même et au renforcement de la teneur idéologique et politique des positionnements des différents partis sur l’échiquier. Ce double objectif, pris séparément ou ensemble, ne peut se réaliser sans l’unité de la gauche ainsi que la recomposition et la délimitation subséquentes des familles idéologiques et politiques libérales communément appelées droite et progressistes dites de gauche.
Le jeu démocratique y gagnera en transparence et en maturité en plaçant au premier plan les batailles d’idées fondées sur les projets de société et en mettant sous le boisseau les va-et-vient alimentaires entre pouvoir et opposition qui discréditent les partis et hommes politiques accusés à raison de manquer de conviction et de cohérence.
C’est dans cette perspective que se situe le troisième rendez-vous : construire un grand parti de la gauche sénégalaise unifiant organiquement tous les partis dans un projet fondateur et ouvert à l’expression démocratique interne des différentes sensibilités. Les militants sincères de la gauche y sont certainement tous attachés mais doivent y œuvrer avec plus de conséquence et de détermination en prenant toutes les initiatives opportunes et nécessaires à cet effet.
En conclusion, l’unité de la gauche s’avère être une tâche impérieuse et une condition sine qua non de succès des luttes qu’entreprennent les partis et mouvements qui s’en réclament. Aujourd’hui, les leçons à tirer des élections présidentielles et les missions qu’imposent les perspectives immédiates et futures offrent des opportunités exceptionnelles à saisir pour accomplir des avancées significatives vers sa réalisation. La gauche doit se hisser au niveau de ses responsabilités de l’heure.
Moustapha Niasse et son équipe de BSS, Tanor Dieng et son équipe de BAT et les autres leaders qui se sentent concernés sont donc interpellés. Ils sont concrètement et instamment invités à initier des rencontres et un processus de concertation pour identifier les défis posés, les inscrire dans l’agenda de discussions en fonction des échéances qui interpellent la gauche et à les traiter en ayant à l’esprit le sens de l’urgence et de la nécessité. C’est la voie pour la transformation sociale vers un Sénégal de progrès et de justice sociale. Mais l’expérience récente nous rappelle aussi que l’unité est un combat et que les militants ne peuvent se fier uniquement aux conciliabules de leurs dirigeants. Ils doivent les accompagner et les appuyer par une action vigilante et offensive pour conquérir l’unité de la gauche.
CE TEXTE VOUS A ETE PUBLIÉ PAR PAMBAZUKA NEWS ;
http://www.pambazuka.org/fr/friends.php
* Mamadou Ndoye est membre du Bureau politique de la Ligue démocratique