Édition du 17 décembre 2024

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Le mouvement des femmes dans le monde

« Une sécurité sociale de la menstruation » pour combattre les effets délétères du patriarcat et du capitalisme

Face à la précarité menstruelle entretenue par une industrie capitalisant sur les règles, la chercheuse indépendante Jeanne Guien expose différentes alternatives à ce consumérisme nocif, de l’autoproduction de produits durables à leur prise en charge par le service public.

Tiré de l’Humanité
Publié le 27 mai 2024

Que les produits menstruels ne soient pas reconnus comme essentiels « montre bien que la loi est centrée autour de la masculinité », estime la chercheuse.

Dans son livre une Histoire des produits menstruels (Divergences, 2023), la docteure en philosophie Jeanne Guien étudie ce que le consumérisme fait au corps féminin. Dénonçant une stratégie patriarcale et capitaliste dangereuse pour les personnes menstruées, la chercheuse indépendante questionne les pratiques alternatives « de militants et militantes fabriquant eux-mêmes depuis des décennies des produits menstruels durables, que ce soit des serviettes, des culottes ou des cups », et souligne que « ces produits pourraient aussi être pris en charge par le service public ».

Quels tabous persistent encore autour des produits menstruels ?

En parler, évoquer les douleurs, lesincapacités dues aux menstruations, est relativement toléré. Mais il est toujours compliqué de rendre les règles visibles. On peut éventuellement les mentionner, mais le phénomène physiologique lui-même doit demeurer soigneusement caché. Les produits menstruels continuent à servir à ça. Les marques de culottes menstruelles ont beau se présenter comme des révolutions par rapport au tampon ou à la serviette jetable, elles participent de la même « culture de la dissimulation », pour reprendre l’expression de la journaliste Karen Houppert, qui est entretenue par les différentes industries de produits menstruels.

Mode d’achat, mise au rebut, conditionnement : tout a été fait pour construire un monde dans lequel les saignements n’existent pas, ne font pas partie de l’expérience « normale », du quotidien socialement partagé. Un monde masculin, en somme. Au-delà des règles, les difficultés des femmes liées à la santé reproductive émergent rarement, comme la ménopause, les contraceptions d’urgence…

La précarité menstruelle est présentée comme nouvelle, or vous expliquez qu’elle a toujours existé, voire qu’elle a été entretenue. Comment ?

La précarité menstruelle est entretenue par le consumérisme, par le fait qu’on associe tout besoin matériel à un produit marchand. À partir du moment où vous avez une industrie menstruelle qui se construit autour du dénigrement des solutions artisanales autoproduites par les femmes pour les femmes, à partir du moment où on présente le fait d’acheter un produit et de le racheter régulièrement comme la seule solution digne pour vivre ces menstruations, on crée forcément un fossé entre les personnes qui ont accès au marché et les autres.

Il y a aussi l’argent réclamé par l’État, la partie impôt. Dans de nombreux pays, la TVA sur les produits menstruels est égale aux autres produits du quotidien et même supérieure à ceux classés comme essentiels. Des produits non nécessaires à une hygiène de base sont pourtant parfois détaxés comme certains shampoings, le Viagra aux États-Unis… En France, nous avons obtenu en 2016 la baisse de la taxation de 19,6 % à 5,5 %, mais la taxe n’a pas été annulée comme dans d’autres pays. Beaucoup de mouvements sociaux à travers le monde veulent obtenir la reconnaissance de ces produits comme essentiels. Le fait qu’ils ne le soient pas montre bien que la loi est centrée autour de la masculinité.

En quoi ce que vous nommez « l’imaginaire impérialiste » des pays du Nord a-t-il des conséquences nocives sur les pays du Sud dans ce secteur ?

L’histoire des produits menstruels industriels commence au Nord. Ces produits ont d’abord été vendus en Europe, ensuite aux États-Unis, puis progressivement exportés. Ces produits sont présentés comme des symboles de la modernité, avec l’idée que celle-ci vient forcément du Nord. Et puis, des produits menstruels qui ont été interdits au Nord vont rester distribués au Sud. Dans les années 1990, par exemple, on a démontré qu’une certaine serviette Always contenait un composant dangereux pour la santé. Ces serviettes ont été interdites à la vente en Amérique du Nord et en Europe, mais ont continué à être vendues au Kenya.

On va exporter des serviettes hygiéniques, faire des dons en Inde, en Afrique de l’Est. Des produits sont déstockés, distribués un peu à l’aveuglette sans qu’on s’inquiète de savoir si c’est viable, soutenable. Il ne suffit pas de donner des produits jetables pour créer de l’hygiène menstruelle. Cela crée des problèmes de déchets et rend une population dépendante d’un produit qui ne sera pas toujours gratuit. Par ailleurs, on continue à décrédibiliser les techniques jusqu’ici utilisées localement.

Comment construire une culture menstruelle anticonsumériste ?

Il faut trouver des manières de se passer du marché. Donc, cesser de recourir à des produits industriels jetables, en essayant de revenir ou d’inventer une nouvelle forme d’autoproduction. C’est ce que font déjà beaucoup de militants et militantes depuis des décennies en fabriquant eux-mêmes des produits menstruels durables, que ce soit des serviettes, des culottes, des cups. Cela crée aussi de la sociabilité, en apprenant à faire l’objet, en partageant des informations.

Ces produits pourraient aussi être intégralement pris en charge par le service public, et les informations autour de ces besoins menstruels rendues accessibles dans les structures de proximité. Je suis pour une « sécurité sociale de la menstruation », dans l’esprit de ce que l’on appelle la « sécurité sociale de l’alimentation ». La santé reproductive fait partie de la santé, pourquoi les produits menstruels n’ont-ils jamais été pris en compte et remboursés ?

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