Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Une hécatombe gériatrique

Le 14 mai dernier, la direction de la santé publique apportait les données suivantes :
• 91.00% des personnes qui sont décédées du Covid-19 au Québec sont âgées de 70 ans et plus.
• En chiffre absolu, on parle de plus de 3,000 personnes aînées décédées au Québec.
• 76% ont plus de 80 ans.
• 63% des décès ont eu lieu dans la région de Montréal et 88% dans la région du Grand Montréal. (Laval, Montérégie, Montréal et une partie de Lanaudière).
• On peut présumer que les décès en hébergement privé et CHSLD dépassent les 80%

Nous vivons une véritable hécatombe gériatrique. Nous ne devons pas vivre ce traumatisme sans rien faire et sans rien dire. Il importe d’amorcer le débat social pour trouver les leviers politiques pour assurer la protection sociale de toutes les personnes aînées au Québec.

Cette délibération qu’il importe de mener comporte plusieurs déclinaisons sur le plan politique, économique et éthique qui demandera beaucoup de temps. Mais la mort de 3,000 personnes, à ce jour, doit pousser le monde politique à commencer les délibérations pour réformer d’une manière complète le réseau de la santé et des services sociaux et la direction de la santé publique et ce, de toute urgence.

Ce que je veux soumettre ici dans le débat public est l’importance du réseau de la santé et des services sociaux comme déterminant social de la santé. On a eu souvent tendance à diminuer son importance dans le milieu de la santé car il y existe des déterminants plus importants comme le revenu et l’éducation par exemple. Il va de soi que le revenu et l’éducation est plus important que le réseau de la santé comme déterminant social de la santé. Mais sa dévalorisation dans l’histoire des 20 dernières années a agi comme argument pour couper dans son budget et pour le rendre dysfonctionnel et le rendant ainsi inapte à agir comme opérateur de la santé collective. Et cette fonction d’organisateur collectif de la santé collective était cruciale pourtant au Québec.

Nous avons assisté plutôt à un long processus de démantèlement du réseau institutionnel camouflé par une succession de logorrhées répétées systématiquement par les représentant.e.s de l’État québécois. Des phrases et des concepts creux comme « le réseau autour du citoyen, la concertation, le partenariat, l’interaction avec le communautaire, le virage ambulatoire, la décentralisation régionale, la décentralisation locale, l’amélioration du continuum des services, l’optimisation des services, faire plus avec moins, la nouvelle gestion publique et on en oublie…. Ces concepts devaient mobiliser l’ensemble des acteurs du réseau de la santé et des services sociaux pour le rendre plus efficace à de moindres coûts.

On disait que le réseau était bloqué par de constantes luttes corporatistes qu’il fallait transcender par la mobilisation de tous les acteurs. Le seul groupe qui a été vraiment mobilisé dans ce long processus a été celui des gestionnaires du réseau, allant du Ministère, aux établissements régionaux et locaux. Les gestionnaires répétaient ces concepts un peu comme des slogans d’entreprise pendant un an ou deux. Règle générale, ces trouvailles conceptuelles arrivaient après l’élection du nouveau ministre de la santé. On disait, dans la même foulée, que, ce coup-ci, les conditions étaient réunies pour que ça fonctionne. Que ce soit le Parti libéral, le Parti québécois ou la CAQ, tous les partis ont joué le jeu de cette duperie conceptuelle. Une duperie qui camouflait les compressions budgétaires importantes qui se sont amorcées au sommet socio-économique de 1995 et qui se sont poursuivies sans interruption jusqu’à nos jours. Et ces coupures s’attaquaient toujours aux services publics pour les aînées (que ce soit dans le soutien à domicile ou les services d’hébergement) ou pour les jeunes en difficulté.

Pendant ce temps, on assistait sournoisement à une transformation radicale du réseau de la santé et des services sociaux et de la santé publique. Une orientation néo-libérale se mettait en place d’une manière pernicieuse et dévastatrice pour la société québécoise. Même si on coupait dans le secteur public, le capitalisme transnational a commencé à comprendre que la santé pouvait générer des profits. On investit dans le marché des médicaments, dans l’immobilisation et la nouvelle technologie. Non seulement, il y a production de la plus-value, mais on agit ainsi pour diriger la destinée du sujet néo-libéral, performant et compétitif dans la vie et au travail qui devient l’idéal-type pour organiser le réseau de la santé. Nous reviendrons sur ce sujet dans les délibérations collectives à venir.

Agir de toute urgence !

La tâche immédiate des intervenants-es du réseau est d’intensifier l’intervention pour rejoindre les personnes aînées en résidence et aussi à domicile qui ont besoin d’aide. Beaucoup de personnes ainées ont renoncé à leur soutien à domicile depuis le début de la crise par peur d’être contaminé. Dans quel état mental et physique sont-elles aujourd’hui ? Les personnes aînées vont vivre un choc terrible de cette hécatombe. Il ne faut pas oublier les aidant.e.s qui en lien avec le démantèlement du réseau institutionnel doivent occuper un espace encore plus important dans la prestation de services.

Commençons à penser au déconfinement avec un nouveau vecteur, un nouveau guide pour l’action, celui qu’on pourrait appeler la transformation démocratique du réseau de la santé et des services sociaux. Un réseau qui serait un organisateur collectif de la santé collective dans une perspective de démocratie sanitaire, c’est-à-dire d’assurer la protection sociale et la participation sociale de la population québécoise. C’est la meilleure réaction à opposer au traumatisme social que nous vivons.

René Charest
Organisateur communautaire et militant syndical.

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