Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique d’austérité

Une fiscalité pour une plus grande justice sociale

Mémoire soumis à la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise
Présenté par l’Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne (ATTAC - Québec)

10 octobre 2014

Présentation de l’organisme

(...) Fondée en 2000, ATTAC - Québec est une association citoyenne non partisane qui compte aussi une trentaine de membres organismes. Elle défend le principe d’une taxe sur les transactions financières et s’intéresse au problème des paradis fiscaux, considérant qu’une plus grande justice sociale passe par une fiscalité équitable. (...)

Des inégalités sans cesse croissantes

Le problème de la croissance des inégalités est de plus en plus reconnu à travers le monde. Même de grandes organisations internationales proches des milieux financiers ont sonné l’alarme. L e Forum économique de Davos les considère comme l’un des risques les plus graves pour la stabilité et la sécurité de la planète. Le Fonds monétaire international (FMI) s’en inquiète tout autant, et a déclaré par la voix de sa directrice Christine Lagarde, que « dans de trop nombreux pays, les bénéfices de la croissance ont profité à trop peu de gens, ce qui n’est pas la bonne recette pour la stabilité et la durabilité [1] » . L’OCDE a aussi publié une étude importante, Toujours plus d’inégalité : pourquoi les écarts de revenus se creusent, qui explique que les écarts sont causés en grande partie par un « déclin de la capacité redistributive » . L’important essai de l’économiste Thomas Picketty, Le capital au XXI e siècle, démontre quant à lui de façon convaincante l’ampleur de ces inégalités qui seront toujours en croissance, selon lui, si nous n’appliquons pas les mesures fiscales redistributives qui s’imposent.

Le Canada n’y échappe pas. Selon le Conference Board du Canada, les inégalités dans notre pays progressent plus vite qu’aux États - Unis. La pauvreté infantile, en particulier, a augmenté de 20% depuis les années 1980.

Par conséquent, selon nous, le Québec est aussi de plus en plus menacé par ce problème. Les plans d’austérité appliqués par les derniers gouvernements n’ont fait que créer davantage d’injustice. Les compressions dans les services publics ont affecté l’ensemble de la population, et cela dans des secteurs essentiels comme la santé, l’éducation, les services sociaux et la culture. Plusieurs mesures régressives, comme la taxe santé ou la hausse des tarifs d’électricité, ont atteint les populations les plus pauvres, de même que d’importantes coupes dans les programmes sociaux et dans l’aide sociale. De nouvelles compressions, annoncées par le gouvernement libéral actuel, accentueront les difficultés de l’ensemble de la population, alors que les individus les plus riches ne seront en rien affectés par ces mesures.

Le gouvernement du Québec justifie ces compressions par la nécessité de combattre le déficit et rembourser la dette. Pourtant, les difficultés financières du Québec ont une autre cause et proviennent essentiellement de revenus très importants dont il a choisi de se priver. Quelques exemples parmi plusieurs autres :

• En 2001, le gouvernement du Parti québécois a voté une baisse d’impôt de 4,5 M $ par année
• Par la suite, les libéraux ont voté une nouvelle baisse d’impôts de 2 M $ en puisant dans les paiements de transfert d’Ottawa
• Ils ont éliminé la taxe sur le capital (900 millions$)

Aucune source de revenu supplémentaire n’a permis de compenser ces pertes considérables.

Il nous paraît donc non seulement essentiel mais possible d’aller chercher, par la fiscalité, des ressources nécessaires au bon fonctionnement de l’État québécois.

Les enjeux de la fiscalité

La fiscalité globale peut percevoir des impôts/taxes sur plusieurs types d’activités, les principaux étant :
1. les revenus
2. la consommation générale
3. l’usage de services publics
4. la pollution

Un des grands principes pour déterminer l’ampleur de l’effort fiscal par type d’activité devrait être de taxer plus ce qu’on veut éviter et décourager, taxer moins ce qu’on veut encourager. On veut encourager les revenus, surtout chez les classes de revenus les plus faibles. Mais on veut aussi cesser d’encourager la croissance des inégalités de richesse. L’impôt sur le revenu devrait donc en particulier chercher à contribuer à une meilleure répartition des richesses entre les différentes classes de revenus. Or, en caricaturant, les très pauvres paient peu d’impôt sur le revenu, la classe moyenne ne peut y échapper, les riches en paient peu vu leur accès à de multiples échappatoires fiscales, telles les paradis fiscaux, les options d’achat d’action et les fiducies. Enfin, les corporations en paient très peu, surtout les grandes, pour de multiples raisons bien connues, même si ces mêmes entreprises profitent largement des services rendus par l’État et les programmes gouvernementaux (main - d’œuvre instruite et soignée, qualité des infrastructures, etc.). La classe moyenne est donc la principale contributrice à l’effort fiscal sur les revenus.

Par ailleurs, il est souhaitable d’encourager l’usage des services publics dans la mesure où ceux - ci répartissent égalitairement l’accès aux services essentiels ; ce n’est donc pas ici non plus que devraient se trouver les nouvelles sources de revenus par des tarifs. Hausser les taxes à la consommation est aussi pour nous une idée à rejeter, à cause de l’effet régressif de cette mesure.

Il est cependant important de décourager la pollution. Le Québec a adopté des objectifs ambitieux de réduction de gaz à effet de serre (GES) avant 2020. Il serait possible d’élargir la notion de pollueur - payeur aux autres sources de destruction ou négligence de l’environnement. Une taxe sur le carbone comme en Colombie - Britannique ou dans les pays scandinaves, pourquoi pas ? Ces régions ne semblent pas souffrir économiquement de l’existence de ces taxes, au contraire.

Le taux d’imposition des corporations étant très bas, soit de 11,9%, il serait mal venu de le diminuer encore. Il faudrait plutôt l’augmenter, à un taux de 15% qui nous semble raisonnable et qui ne provoquera pas d’exode de la part de certaines entreprises. Le gouvernement s’attaque maintenant aux charges sur la masse salariale, qui seraient le nouvel ennemi à abattre. Nous aimerions que le gouvernement dans son analyse du « fardeau fiscal » des sociétés n’oublie pas de calculer l’impact fiscal des charges sur la masse salariale. Ces contributions sont des dépenses qui sont diminuées à 100% du revenu des sociétés, ce qui réduit donc d’autant leurs bénéfices nets imposables. Le coût net des charges sur la masse salariale pour les sociétés est donc inférieur aux contributions qu’elles versent.

Par ailleurs , avant même que la Commission n’ait entamé ses travaux, on pouvait lire qu’il fallait diminuer le « fardeau » fiscal des entreprises pour stimuler l’économie. Encore une fois, on utilise un vocabulaire qui donne une connotation négative à l’impôt. L’impôt n’est pas le « mal » et ce n’est sûrement pas le rôle d’un gouvernement de contribuer à cet abus langagier, de répandre cette vision négative.

Recommandations

1. Rétablir une plus grande progressivité des impôts. ATTAC - Québec endosse entièrement les propositions de la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics.

On ne retrouve que 4 paliers d’imposition dans la déclaration de revenu 2013 du Québec, alors qu’en 1988, il y en avait 16. En utilisant la proposition de la Coalition d’augmenter le nombre de palier d’imposition à 10, en appliquant ces nouveaux paliers aux statistiques fiscales des particuliers de 2011, en les comparant aux taux de 2013, nous avons pu calculer l’augmentation ou la diminution des recettes fiscales que cela représenterait pour le gouvernement du Québec. Selon nos estimés, que vous trouverez en annexe 1, ceci permettrait d’augmenter les recettes de 1,865 milliards$, tout en diminuant les impôts à payer de 80% des 86% de contribuables qui paient de l’impôt.

2. S’attaquer au problème de l’évitement fiscal et de l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux.

Le seul combat du gouvernement québécois contre l’évasion fiscale concerne le travail au noir. Nous ne remettons pas en cause la nécessité de s’attaquer à ce type de fraude. Mais selon nous, le problème de l’utilisation par une élite des paradis fiscaux est beaucoup plus grave. Selon Statistique Canada, une douzaine de paradis fiscaux accueillent 170 M$ en provenance du Canada. Il ne fait aucun doute qu’une proportion importante de cette somme provient du Québec.

Nous recommandons :

a. Que le gouvernement du Québec reconnaisse le problème de l’évasion fiscale et de l’évitement fiscal dans les paradis fiscaux et qu’il fasse une évaluation des pertes.

b. Que le gouvernement du Québec prenne des mesures fermes pour combattre l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux en poursuivant activement les fraudeurs, et cela en augmentant le nombre de vérificateurs à Revenu Québec, dont le mandat spécifique serait de s’attaquer à ce problème. Le gouvernement doit s’attaquer à l’évitement fiscal en mettant à jour les échappatoires dont profitent les entreprises et les individus et faire pression auprès du gouvernement fédéral pour que celui - ci prenne des mesures fermes contre les fuites fiscales et qu’il suive les propositions émises par le groupe Échec aux paradis fiscaux dans le rapport Des solutions à notre portée .

Le gouvernement du Québec, en luttant contre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal, pourrait récupérer une somme approximative de 740 millions $, qui est une des 18 solutions proposées par la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics dans sa brochure 10 milliards $ de solutions : Nous avons les moyens de faire autrement , que nous joignons à ce mémoire et dont nous appuyons les propositions.

3. Défendre le projet d’une taxe sur les transactions financières (TTF).

Cette taxe, appuyée par 350 économistes [2], par le FMI, par plusieurs chefs d’États, pourrait rapporter des centaines de milliards de dollars par année. Très peu élevée (de 0,01% à 0,1%), elle s’appliquerait à l’ensemble des transactions financières et toucherait uniquement l’économie financière et spéculative, où transitent des milliers de milliards de dollars par jour. Nous reconnaissons que l’application de ce projet n’est pas pour demain et qu’elle subit une forte opposition des banques, qui voient en lui une restriction à leur autonomie. Mais cette idée demeure essentielle selon nous : le milieu de la finance doit nécessairement contribuer à la répartition de la richesse, pas seulement recevoir de l’argent public pour se développer, puis lorsqu’il provoque des crises, comme en 2007 - 2008. Le gouvernement du Québec doit se faire un important défenseur de la TTF auprès du gouvernement fédéral et sur différentes tribunes.

Le gouvernement du Québec pourrait d’ores et déjà appliquer une taxe sur les transactions financières, qui transigent via la Bourse de Montréal. Pour chacune des transactions boursières, il y a une commission qui est versée au courtier. Aucune taxe à la consommation ne s’applique alors. On pourrait aisément appliquer une taxe de 0,1% de la valeur des transactions boursières. Cela permettrait aussi d’avoir un impact positif sur le marché boursier, en limitant par exemple les différentes transactions hautement spéculatives, par exemple, les transactions à haute fréquence ( high frequency trading ), qui n’ont aucun impact positif sur l’économie réelle et qui rendent plus instables les marchés financiers. L’Italie et la France ont instauré un impôt boursier en 2013 et on peut déjà observer une diminution des transactions à haute fréquence.

Nous avons conscience que s’attaquer au problème des inégalités demande un certain courage politique et peut déclencher une réaction très vive des milieux financiers. Mais un gouvernement a comme mandat de gouverner pour la majorité, et non pas pour le bénéfice d’élites déjà largement favorisées. Ce principe est certes difficile à appliquer. Mais il demeure le fondement de la démocratie.

Nous souhaitons donc, au - delà de tout, que le gouvernement du Québec se mette vraiment à l’écoute des besoins de sa population et qu’il se montre actif dans le combat contre les inégalités, et cela, par le biais d’une fiscalité équitable.

Annexe


[1Citée dans Le Monde du 20 janvier 2014

[2« Hundreds of economists call for tax on currency speculation », The Independant , 15 février 2010.

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