Édition du 5 novembre 2024

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Droite extrême

Dossier droite extrême et extrême-droite

Une Europe en crise, une extrême droite en regain

L’Europe est en crise et nous assistons à l’une des pires offensives antisociales de l’histoire récente. La crise est utilisée comme prétexte pour justifier et appliquer l’agenda « maximal » du néolibéralisme. Jusqu’à présent, face à ces attaques, la réaction des organisations politiques et sociales de gauche est restée relativement timide, comme si elles étaient assourdies par le choc d’un cauchemar qui semble sans fin.

Et l’extrême droite ? À quelques rares exceptions près, la crise a éclaté dans un contexte de recul généralisé de la gauche sur tout le continent, tandis que, parallèlement, depuis déjà plus de deux décennies, des formations néo-populistes de caractère totalitaire et xénophobe émergent. Depuis la montée du Front national français aux élections européennes de 1984, il s’est confirmé que le FN n’était pas une exception mais bien l’avant-garde d’une nouvelle extrême droite européenne. À la faveur de la crise actuelle et en l’absence d’une alternative de gauche crédible, cette droite extrême gagne non seulement en force, en visibilité et en poids électoral dans de nouveaux pays, où elle entre pour la première fois dans des parlements, mais en outre, elle se renforce et se consolide également là où elle avait déjà acquis des positions importantes.

Une analyse de l’ensemble de l’extrême droite et de ses résultats les plus récents semble indiquer qu’elle a su, mieux que d’autres forces, traduire l’inquiétude et la protestation contre la crise et l’actuel modèle de construction européenne. Lors des dernières élections européennes, c’est elle qui a connu la plus forte progression électorale, obtenant 37 eurodéputés. Dans toutes les élections qui ont suivi, cette progression a été confirmée : aux élections législatives hongroises d’avril dernier, le parti Jobbik a obtenu 17% des votes. Aux élections régionales françaises du mois de mars, avec 11,6%, le FN a connu une spectaculaire remontée électorale après son échec aux législatives de 2007 (4,29%). En Autriche, le FPÖ a obtenu 16% aux élections présidentielles, devenant le second parti ayant le plus de votes. En Italie, la Liga Norte est le parti le plus voté du nord du pays, avec 2,7 millions de suffrages. Aux Pays-Bas, le Parti de la liberté a consolidé ses bons résultats électoraux au scrutin européen, en obtenant aux législatives de juin dernier 17% des votes, passant de 9 à 24 députés et devenant désormais la troisième force politique dans le parlement. Lors des dernières élections législatives, le Vlaams Belang a obtenu 12,5% des votes en Flandre. (Le Vlaams Belang constitue une sorte d’exception dans le spectre de l’extrême droite européenne puisqu’il connaît un recul important depuis au moins deux élections, mais il maintient toutefois une base électorale de masse. NDT)

À cette liste, on peut également ajouter le succès du British National Party anglais, qui a obtenu deux eurodéputés ou encore le LAOS grec, avec 6% des votes et 15 élus aux législatives de décembre 2009. En Scandinavie, le Parti du peuple danois (DF) est, depuis 2001, l’indispensable soutien parlementaire du gouvernement libéral-conservateur, tandis qu’en Norvège, le Parti du progrès (FrP) est le deuxième parti du pays. Le résultat électoral le plus récent et notable de l’extrême droite est celui réalisé par les « Démocrates suédois » qui ont obtenu 20 sièges avec 5,7% des votes aux législatives du 21 septembre dernier.

Une telle liste ne peut générer qu’un sentiment d’intense inquiétude car elle indique clairement une tendance au renforcement et à la consolidation d’une extrême droite qui, dans la majeure partie de l’Europe, réussit à capitaliser un vote protestataire contre l’insécurité sociale et économique. D’autant plus que cette montée n’est pas contre-balancée — et s’explique ainsi en partie — ou disputée par une montée équivalente des forces anticapitalistes.

En outre, le succès de l’extrême droite ne se limite pas au seul terrain électoral ; elle obtient également des succès importants dans le domaine idéologique, en imposant à l’agenda politique ses thématiques et ses orientations puisque les grandes formations politiques conservatrices et social-libérales européennes s’imprègnent, par contamination et par intérêt électoraliste, de plus en plus de ses discours. Ce processus a été désigné en France sous le nom de « lepénisation des esprits ».

Toutes ces organisations d’extrême droite, malgré toutes les différences entre elles qui sont le produit de contextes politiques, sociaux et économiques divers, ont des caractéristiques communes qui permettent de parler d’une véritable rupture avec les paradigmes du fascisme classique de la période de l’entre-deux guerres. On assiste à l’émergence d’une extrême droite du XXIe siècle, néo-populiste et xénophobe.

Inmigration et xénophobie

L’un des principaux traits définissant cette nouvelle extrême droite est l’exaltation de la xénophobie, la peur et la haine de l’étranger pauvre et « différent ». Le national-populisme, élément idéologique clé des nouvelles formations d’extrême droite, est une lecture schématique et manichéenne de la réalité, aisément compréhensible et dans laquelle prédomine la figure d’un ou plusieurs boucs émissaires et agents « anti-populaires » et anti-nationaux qui seraient à la racine des maux dont souffre la « communauté nationale ». Tandis que le fascisme classique élaborait un discours reposant en grande mesure sur l’exploitation des boucs émissaires et des « conspirations » judéo-maçonniques et communistes, les nouvelles organisations d’extrême droite font de l’immigration en général le bouc émissaire des maux de notre société.

La rencontre entre nationalisme, populisme et xénophobie s’est transformée en une recette politique à succès en vertu d’une série de conditions favorables. L’augmentation généralisée du chômage et l’immigration en Europe depuis les années 1970 à 1990 ont créé un climat propice à l’extension des discours xénophobes. La concurrence, au lieu de la coopération, entre les travailleurs « de souche » et ceux d’origine immigrée pour des ressources de plus en plus réduites (travail, logement, prestations sociales, etc.) dans un climat de récession économique et de démantèlement de « l’État-providence », tout cela a favorisé l’extrême droite, lui permettant d’avancer des réponses simplistes à des problèmes complexes. Le traditionnel « ennemi extérieur » — le communisme — a été remplacé par un nouvel ennemi, cette fois-ci intérieur ; l’immigration.

Les « immigrés », du moment qu’ils soient pauvres, sont présentés par l’extrême droite comme le nouvel ennemi de l’Europe du XXIe siècle. Tout en niant le droit universel des personnes à chercher un avenir plus digne, les immigrés sont représentés comme des « parasites » qui viennent voler nos richesses et accaparer les maigres prestations sociales d’un État-providence en déliquescence. L’extrême-droite exploite de manière populiste la peur de l’étranger, de la différence, exalte une supposée primauté nationale pour les « autochtones » et dénonce les autres partis comme étant favorables à ces immigrés. En 1992, le slogan du FN français aux élections présidentielles l’énonçait clairement : « Ils préfèrent les étrangers. Nous préférons les Français. Votez Français ».

Le succès de l’extrême droite ne peut pas seulement se mesurer sur base de ses résultats électoraux ou de son accession au pouvoir comme dans les cas italien, autrichien, roumain, polonais ou suisse. Il faut surtout prendre en compte le fait qu’ils sont parvenus à imposer sur l’agenda politique européen les questions de l’immigration et de l’insécurité comme étant des « problèmes fondamentaux ».

Ainsi, comme le souligne le politologue Piero Ignazi, l’exploitation habile de la thématique de l’immigration a permis à l’extrême droite d’atteindre un vaste consensus entre des secteurs sociaux hétérogènes, en s’adressant à la population en termes de « valeurs » et « d’identité », et non plus en termes d’intérêts économiques ou de classe. Cette stratégie leur a permis de dépasser les frontières sociales qui, il y a à peine deux décennies, semblaient insurmontables et, depuis plusieurs années, leur succès influence les partis conservateurs classiques, en plein processus d’adaptation aux discours xénophobes. Pour leur part, les partis sociaux démocrates convertis au social-libéralisme ont également abdiqué et cédé aux sirènes xénophobes, en appliquant des politiques régressives par rapport aux droits fondamentaux, pavant ainsi la voie à la consolidation et à l’extension des options politique d’extrême droite.

L’islamophobie

Il existe dans le discours xénophobe contre l’immigration certaines différences. On assiste ainsi à une montée importante de l’islamophobie ; tous les immigrés ne sont pas haïs de la même manière par l’extrême droite. À la fin de la Guerre froide, les puissances occidentales, États-Unis en tête, avaient besoin d’un nouvel ennemi mondial pour remplacer le communisme et ce fut l’Islam. On a ainsi élaboré tout un discours qui nous présente le monde musulman comme un tout homogène et atavique, incapable de progresser vers la modernité, à l’opposé d’un Occident — ou d’une partie de l’Occident — présenté comme seul digne représentant de la « civilisation ». Des théories telles que le « Choc des civilisations » de Samuel P. Huntington, qui jouit d’une grande influence parmi les néo-conservateurs aux États-Unis, définit ainsi la culture musulmane : « Partout, les relations entre les musulmans et les personnes d’autres civilisations ont été en général antagonistes ; la majorité de ces relations ont été violentes dans le passé et une partie a été violente dans les années 1990. Où que nous portions notre regard tout au long des frontières de l’Islam, les musulmans ont des problèmes à vivre de manière pacifique avec leurs voisins (…). Les frontières de l’Islam sont sanglantes, tout comme le sont ses zones et territoires internes ».

La construction de l’Islam comme nouvel ennemi mondial, tout particulièrement à partir des attentats du 11 septembre 2001, a généré un climat favorable pour les organisations d’extrême droite, qui ont commencé à alimenter et à exacerber le discours islamophobe dominant. Ainsi, la nouvelle extrême droite ne justifie plus son aversion envers les musulmans en termes racistes ou « biologiques », au nom de la « supériorité d’une race sur une autre », mais bien en termes culturels et identitaires. La « préférence nationale » ne s’applique plus seulement sur le terrain du travail ou des droits sociaux, elle est élargie au domaine culturel. Cela permet à l’extrême droite de présenter la religion musulmane comme étant radicalement incompatible avec les « valeurs et l’identité européennes » car elle subvertirait ses traditions, sa culture et ses racines. En outre, cela lui permet de brouiller les pistes en instrumentalisant des arguments « progressistes » dans les débats sur le foulard ou le niqab, tout en assimilant purement et simplement l’Islam avec le terrorisme, comme le fait Geert Wilders, leader du parti islamophobe hollandais dans son documentaire « Fitna » (le Calvaire).

De plus, la majorité de ces partis lient étroitement la communauté musulmane avec la croissance de la criminalité et de l’insécurité urbaines. C’est notamment le cas du Vlaams Belang, dont le rejet de l’immigration se concentre essentiellement à l’encontre des musulmans qui sont collectivement rendus coupables du trafic de drogues et de l’insécurité urbaine.


L’islamophobie et l’extrême droite : des noms, des dates, des faits

Le thème de la lutte contre l’islamisation, autrement dit l’islamophobie, est un thème largement fédérateur. Il est d’abord fédérateur des différents courants xénophobes, réactionnaires et nationalistes entre eux (Front national, Parti de la liberté,Vlaams Belang, Lega Nord, FPÖ et BZÖ autrichiens…), mais aussi de ces mouvements institutionnalisés avec des groupements à l’idéologie clairement néonazie ou fasciste, qui gravitent autour d’eux. L’islamophobie se construit à travers une série d’amalgames : le premier consiste à assimiler toute pratique religieuse musulmane à un islam violent, archaïque et conquérant ; le deuxième identifie l’islam à une religion étrangère, culturellement incapable de s’intégrer à l’Europe « chrétienne » ou « libérale et moderne » ; et le troisième permet d’ajouter la guerre sainte et la menace sécuritaire à l’islam. Par connotation, « islam » devient ainsi équivalent de rétrograde, d’envahisseurs doublement étrangers et de terrorisme potentiel.

21 mars 2007, première apparition du blog « Stop Islamisation of Europe » inspiré par l’égérie islamophobe états-unienne Pamela Geller. « Nous autres les silencieux qui ne nous plaignons jamais et sommes aujourd’hui gagnés par l’impatience nous avons perdu la foi en nos politiciens et entamons notre propre résistance à l’islamisation rampante de l’Europe ».

1er mai 2007, l’UDC lance l’initiative « contre la construction de minarets ». Fin mai 2007, l’Office fédéral de la justice se demande « si (…) une législation contre le racisme n’entame pas de manière excessive le droit des Suisses à la préservation de leur propre identité, respectivement à la délimitation par rapport aux étrangers ».

17 janvier 2008, à l’initiative de Filip Dewinter, député anversois et porte-parole du Vlaams Belang flamand, plusieurs mouvements nationaux et identitaires européens constituent l’organisation européenne « Les villes contre l’islamisation » et créent une structure commune.

8 juillet 2008, le Comité « contre la construction de minarets » a déposé son initiative à la Chancellerie fédérale avec 114.895 signatures, 14 mois après son lancement le 1er mai 2007.

19 au 21 septembre 2008, la coalition des villes « contre l’islamisation des villes européennes » tient congrès à Cologne contre la construction d’une mosquée. L’extrême droite européenne s’y presse.

Le 26 novembre 2009, la Suisse vote par référendum contre la construction des minarets et adopte, avec 57,5% des votes l’initiative de l’UDC qui s’inspire elle-même de la réglementation « anti-minarets » de deux Länder autrichiens dominés par le FPÖ, le Vorarlberg et la Carinthie.

(D’après Karl Grünberg et Peter Erich, journal « SolidaritéS »)


La sécurité

L’insécurité urbaine est l’un des points centraux du discours xénophobe contre l’immigration et l’intégration, tous les partis d’extrême droite assènent de manière répétée la même triade « délinquance-insécurité-immigration ». Ces partis cherchent à démontrer qu’il existe un lien de cause à effet entre l’augmentation de l’immigration et celle de la criminalité, se profilant ainsi comme des partisans de l’ordre et de la sécurité, favorables à une politique de « tolérance zéro » à la fois contre l’immigration et la délinquance.

Il s’agit là d’une vieille thématique, héritée des fascismes de l’Entre-deux-guerres qui utilisaient la crainte des conflits ouvriers et la montée du communisme pour mobiliser les secteurs de la petite et moyenne bourgeoisie en leur faveur, en se présentant comme un antidote au « chaos et à la révolution », comme les partis de la « loi et de l’ordre ». L’ennemi communiste et la peur de la révolution ont tout simplement été remplacés dans les discours et dans l’imaginaire de la nouvelle extrême droite par l’immigration et la délinquance. Une ennemi qui permet de mobiliser tout un électorat frappé par la crise sociale et économique et inquiet face aux changements accélérés par la globalisation capitaliste.

Ce discours sécuritaire est également assumé et partagé par les partis de droite, conservateurs et sociaux-libéraux dans leur concurrence électorale. De fait, l’une des raisons du succès obtenu par Le Pen aux élections présidentielles de 2002 ne fut pas seulement le fait d’avoir récolté 16,8% des votes au premier tour — ce qui lui a permis, pour la première fois de l’histoire en France, de passer au second tour —, son véritable succès fut de parvenir à imposer dans la campagne électorale et à tous les autres partis traditionnels les thèses du FN sur l’immigration et l’insécurité.

L’agitation autour du fantasme de l’insécurité urbaine et de son étroite relation avec l’immigration a également été utilisée dans des campagnes électorales où l’extrême droite n’était pourtant pas présente, comme dans le cas de l’État espagnol, où le PP (Parti populaire) a mis en avant un discours et des mesures que Le Pen pourrait signer des deux mains. Autrement dit, la tendance extrêmement dangereuse de l’adaptation des partis traditionnels aux discours et mesures xénophobes de l’extrême droite se confirme, y compris lorsqu’il n’existe pas de concurrence électorale de cette dernière.

Ces discours, fondamentalement destinés à capter un vote protestataire ou de mécontents, sert de bouillon de culture aux explosions de haine, de violences xénophobes et de « chasse à l’étranger » qui se succèdent depuis quelques années en Europe. Au mois de mai dernier, les rumeurs sur l’enlèvement d’un bébé par une gitane à Naples ont provoqué une orgie de violences racistes contre des campements roms. Des hommes armés de barres de fer ont incendiés des caravanes et expulsé les Gitans de leurs caravanes au cours de dizaines de raids, orchestrés par la mafia locale, la Camorra.

Le cas italien est particulièrement préoccupant, non seulement par l’ampleur de ce type d’agression mais aussi de par la réaction du gouvernement de Berlusconi face à ces événements. « C’est ce qui arrive quand les Gitans volent des bébés » s’est contenté de répondre le Ministre de l’intérieur Maroni, tandis que son collègue et leader de la Liga Norte, Umberto Bossi, a tout bonnement déclaré que « Les gens font ce que la classe politique ne peut pas faire ».

Préférence nationale : un nationalisme intérieur

Le nationalisme de la nouvelle extrême droite n’a pas une vocation extérieure, il n’est pas guidé par la soif de construire un empire colonial ou d’annexer des territoires à des États voisins, comme ce fut le cas pour les fascismes de l’Entre-deux-guerres. Presque tous les vieux antagonismes et conflits territoriaux en Europe occidentale, qui impliquaient alors des pays tels que l’Allemagne et la France, ont cessé d’exister depuis de nombreuses années. Dans ce contexte, l’extrême droite a du rénover son discours nationaliste, d’autant plus que son autre bête noire, la « menace communiste », n’était plus crédible.

Ainsi, le nationalisme de la nouvelle extrême droite se structure désormais essentiellement autour de l’exaltation et de la préservation d’une « identité nationale » supposée menacée par l’accélération du processus de la mondialisation de l’économie, des cultures et des communications. On postule la défense d’une identité nationale face aux processus « d’uniformisation globale » dans le but de capitaliser les craintes face à ce dernier, comme le déclin de l’État providence, les délocalisations d’entreprises, la crise de l’ancien modèle du marché du travail, et la peur face au défi de l’immigration.

Le nouveau discours nationaliste de l’extrême droite européenne se présente ainsi comme un phénomène à vocation intérieure, qui prétend sauvegarder l’identité nationale contre l’immigration, la mondialisation, et le colonialisme culturel. Avec ce programme, il tente de mobiliser les peurs parmi des secteurs importants de la société européenne face à l’insécurité que représente l’accélération du néolibéralisme.

Ils avancent ainsi des réponses simplistes et identitaires face à des problèmes complexes auxquels les partis traditionnels ne peuvent ou ne veulent pas apporter des solutions. Dans ce sens, les partis d’extrême droite tentent de « dépasser » la dichotomie traditionnelle « gauche-droite », en mobilisant leur électorat sur base de critères d’identité et non de classe. Filip Dewinter, leader du Vlaams Belang, a affirmé que son parti devait son succès au fait d’avoir été capable de « remplacer la vieille division entre le capital et le travail, par un nouvel axe qui oppose le peuple et son identité au multiculturalisme » (Casals, X. (2003) Ultrapatriotas. Extrema derecha y nacionalismo de la guerra fría a la era de la globalización. Barcelona : Crítica : 47).

La « particratie » et le vote protestataire. Clés d’un nouveau populisme

Le capacité de capter électoralement ce qu’on appelle le « vote protestataire » a joué un rôle déterminant dans la croissance et la consolidation d’une bonne partie des nouvelles formations d’extrême droite. Cette capacité est notamment due au fait que l’extrême droite a su habilement exploiter une série de circonstances nouvelles. La première d’entre elles provient d’un processus qui s’est étendu à toute l’Europe au cours des dernières décennies et dans lequel tant les partis traditionnels que les structures gouvernementales ont renforcé le rôle et la place joués par des individus à l’opposé des anciens modes de direction plus collégiales, surtout dans les vieux systèmes parlementaires où le charisme du chef du gouvernement n’était pas un élément indispensable.

On a pu observer ce processus en France, où le leadership présidentiel s’est renforcé avec la Ve République, mais aussi en Allemagne et en Italie. Ce processus du renforcement de la figure des leaders au détriment de l’idéologie, lié à une « américanisation » de la politique européenne, a créé un contexte favorable pour la figure traditionnelle du leader absolu dans les formations d’extrême droite. La totalité de ces partis en Europe a fait reposer son succès dans la popularisation d’un leadership fort et charismatique autour de sa figure de proue. Les cas les plus emblématiques sont ceux du FN avec Le Pen et de la Liste de Pim Fortuyn, qui s’est électoralement construite exclusivement autour de sa personne. Cette « désidéologisation » de la politique électorale européenne a favorisé l’émergence d’un national-populisme rénové autour d’un leadership fort.

Le discours populiste d’extrême droite martèle l’idée d’une « trahison du peuple » par les élites politiques, culturelles et économiques, qui se préoccupent exclusivement de leurs intérêts de castes. De là, la nécessité d’une mobilisation du peuple afin que la communauté nationale récupère son identité au nom de ses intérêts propres. La clé idéologique du populisme réside dans l’utilisation politique du terme « peuple » comme d’une communauté politique nationale. Un peuple idéalisé et formé par une majorité d’hommes « quelconques » dotés d’un instinct et d’une sagesse politiques innés qu’ils ne peuvent pas développer parce que les élites corrompues les ont trahis.

L’unité de ce peuple doit se réaliser au travers d’un mouvement qui dépasse les partis et les classes. De cette conception découle le fait que la majorité des formations politiques d’extrême droite n’a pas adopté le terme de « parti » mais bien ceux de front, bloc, mouvement, alliance, etc. En outre, cette conception de l’organisation politique renforce l’idée de rupture avec la lutte des classes comme moteur du conflit et des contradictions politiques, en faveur d’un rassemblement interclassiste conçu dans l’esprit de l’extrême droite comme la forme d’expression la plus adéquate pour exprimer les intérêt de la « communauté nationale ».

Le peuple était le mot le plus répété par le fascisme de l’entre-deux guerres, le nazisme l’invoquait constamment et son idéologie était indissociable de la « Volksgemeinschaft », la « communauté nationale populaire ». La nouvelle extrême droite se réfère également constamment au peuple, mais le terme a aujourd’hui une double signification : le peuple est toujours la « communauté nationale » mais, et il s’agit d’une différence fondamentale par rapport au fascisme classique, il est également le dépositaire d’une souveraineté nationale étouffée par une oligarchie politique et des institutions supra-étatiques.

Tandis que le fascisme classique méprisait toute forme de démocratie, l’extrême droite actuelle en fait aujourd’hui un cheval de bataille. Elle invoque, comme un élément fondamental dans sa propagande électorale, la nécessité de récupérer la démocratie bafouée par une oligarchie corrompue désignée sous le terme de « particratie ». Le succès électoral de l’extrême droite sous la bannière d’une « authentique démocratie » ne peut se comprendre qu’en soulignant le déficit démocratique des sociétés dans lequel il surgit et au sein desquelles on a assisté à une délégitimisation de la politique et du politique et à une dévalorisation des idéologies. Le contexte du déclin de la gauche traditionnelle, du communisme officiel, de la social-démocratie devenue social-libérale et de la faiblesse de la gauche anticapitaliste, a fait que le vote protestataire qui s’exprime aujourd’hui contre les déficits démocratiques est essentiellement accaparé par l’extrême droite.

La conquête des mass media

L’un des principaux obstacles pour l’extrême droite à l’heure d’exploiter et de renforcer son poids électoral est constitué par les médias. Sa relative absence dans les moyens de communication et particulièrement à la télévision a agi comme un contre-feu dans le cas espagnol, du moins jusqu’à présent. De fait, la majorité des succès rencontré par l’extrême droite européenne ont été précédé par son entrée, en tant que groupe politique ou au travers de ses dirigeants, dans le circuit médiatique de masse.

Les politologues Yves Mény et Yves Surel soulignent dans ce sens que les leaders du nouveau populisme d’extrême droite « ont su utiliser à merveille le talon d’Achille de la société médiatique, autrement dit son intérêt quasi pathologique pour le scandale ». En définitive, les populismes nationaux, comme le souligne Moreau, sont des agences de mobilisation symbolique et requièrent une présence médiatique. Ils entrent en crise quand ils n’y trouvent pas de place ou que leur image médiatique ne fonctionne pas. (Casals 2003, :53)

La réalité européenne a démontré que, dès qu’ils parviennent à atteindre une certaine notoriété publique et à acquérir une certaine base sociale, il est quasiment impossible de les déloger de la scène médiatique. Une fois de plus, les cas de Le Pen, pionnier en la matière, et de Pim Fortuyn aux Pays-Bas, sont emblématiques.

En guise de conclusion

L’extrême droite d’aujourd’hui est le fruit d’un long processus de maturation, mené depuis au moins deux décennies et demi. Il s’agit d’une droite radicale distincte des fascismes de l’Entre-deux-guerres, mais qui conserve une bonne partie de leur cosmovision et de leur composition identitaire.

C’est une extrême droite qui a su exploiter les contradictions du système lui-même et du néolibéralisme de ces dernières décennies, en mettant en avant un discours homogène, simpliste mais suffisamment cohérent que pour opposer un paradigme social et politique propre sur lequel elle a consolidé une base sociale diversifiée. Dans un contexte de crise économique systémique, d’austérité, d’attaques contre les droits sociaux et les droits des travailleurs, de malaises divers, d’insécurité face à l’avenir, il se crée un terrain encore plus favorable pour une connexion entre ces problèmes complexes avec les réponses simplistes et les boucs émissaires mis en avant par des partis populistes d’extrême droite, qui remettent en question le système tout en restant dans son cadre.

Il faut être particulièrement attentifs aux processus qui sont en train de se dérouler en Europe, non seulement par rapport aux expériences anticapitalistes qui, timidement, commencent à émerger, mais aussi en tournant notre regard vers cette nouvelle extrême droite afin de mieux la combattre. Analyser les discours et les éléments clés des succès de l’extrême droite européenne est une tâche urgente et indispensable afin d’affronter les défis et les périls qui risquent de surgir de la crise actuelle.

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