Tel pourrait être le cas du prochain plébiscite chilien qui aura lieu le 25 octobre et qui touche à des questions si essentielles qu’il ne peut que susciter l’intérêt des citoyens et citoyennes du Québec.
On se souviendra en effet que le Chili est ce pays du sud de l’Amérique où a été expérimenté pour la première fois au monde, en 1973, le mode de régulation économique néo-libéral fait de privatisations, de déréglementation et de libéralisation des échanges. Et où tous les chambardements économiques que ce dernier implique ont été menés sous la férule de fer de la dictature militaire du général Pinochet dont les effets ont été si déterminants et si durables qu’en dépit d’un retour à la démocratie qui s’est effectué à partir de 1989, rien de décisif —en termes, économique, social et constitutionnel— n’a depuis pu être modifié en profondeur au Chili.
D’où, sur fond d’une indéniable croissance économique, l’existence d’inégalités sociales grandissantes couplées à une formidable réduction de tout ce qui permet la vie en commun, faisant notamment que les systèmes de santé, d’éducation, de retraites et de gestion de l’eau ont été complètement ou en grande partie privatisés et sont devenus pour une petite minorité de privilégiés, l’occasion de profits et d’enrichissement demesurés, tout en restant pour la grande majorité synonymes de condamnation à vie... à la pauvreté.
C’est dans un tel contexte que peut se comprendre le soulèvement populaire qui a emporté le Chili à partir du 18 octobre 2019 et qui non seulement a amené son très néo-libéral président Sebastian Pinera à faire appel à l’armée et à user d’une répression indiscriminée (plus de 35 morts, 4 000 blessés, 400 éborgnés, 10 000 emprisonnements, etc.), mais aussi l’a obligé à signer avec les représentants des partis politiques, le 15 novembre 2019 un « accord pour la paix sociale et la nouvelle constitution » prévoyant l’élection d’une convention constitutionnelle.
Initialement prévue pour le 26 avril 2020, le plébiscite populaire qui devait en décider a été repoussé, pour cause de coronavirus au 25 octobre 2020. Et toute la question est de savoir si le démarrage d’un tel processus constitutionnel sera suffisant pour satisfaire les aspirations à la justice sociale qui hante le peuple chilien tout comme pour briser les verrous de la vieille constitution dictatoriale de 1980. Car on aura le 25 octobre à se prononcer sur une double question qui balise très étroitement les marges de manœuvre démocratique du peuple chilien : (1) Voulez-vous une nouvelle constitution ? (j’approuve, je rejette) ; (2) Quel type d’organisme doit rédiger la nouvelle constitution ; soit une convention constitutionnelle composée de 155 membres élus pour l’occasion, soit une convention mixte, composée de 172 membres dont 86 seraient élus au suffrage universel et 86 élus par les chambres du congrès national ? La date fixée pour l’élection des constituants est fixée au 11 avril 2021. L’enjeu est d’autant plus disputé que les règles qui présideront au fonctionnement de cette convention constitutionnelle comporteront de sérieuses limitations, notamment la règle des 2/3 obligeant pour toute question importante une majorité des 2/3, permettant ainsi au camp de la droite de bloquer toute mesure jugée trop radicale. D’où à la fois les hésitations des mouvements sociaux les plus actifs à participer à un tel processus et les volontés populaires pour que se dégage malgré tout une très forte majorité (plus des 2/3 justement !), préludes possibles à de nouvelles avancées sociales.
À y regarder de près et avivées par les conditions de vie du sud global ainsi que par les violents contrastes qu’elles font naître, toutes les questions auxquelles se heurte aujourd’hui le peuple chilien, sont néanmoins –qu’on le veuille ou non— un peu les nôtres. Après tout au Québec nous connaissons aussi un régime néolibéral qui nous a fait violemment couper dans la santé et l’éducation et dont on ne cesse de pâtir, particulièrement en ces temps de coronavirus. Et au Québec aussi perdure un enjeu constitutionnel décisif qui tient à la question de la souveraineté d’un peuple, de sa capacité à décider des lois auxquelles il choisit d’obéir.
Il vaut donc la peine d’être attentif à ce qui est en train de se jouer là-bas, aux pièges comme aux victoires populaires qui sont peut-être en train de s’y nouer ! À n’en pas douter, c’est aussi un peu de nous dont il s’agit !
Pierre Mouterde
Sociologue et essayiste
Dernier ouvrage : Les impasses de la rectitude politique, Montréal, Varia 2019
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