Le gouvernement de facto mise sur le temps, et les élections de novembre prochain, pour se faire oublier et amener la communauté internationale à reconnaître les gouvernants de facto dans le pays. L’expulsion manu militari du président Zelaya a été opéré avec succès, sans débordements excessifs de violence, et avec l’accord complices des élites politiques qui contrôlent le pays (députés et juges de la Cour Suprême). La feuille de route des oligarques autoritaires suit son cours : après un opération chirurgicale d’urgence (le putsch), attendre le rétablissement du patient, avec de bonnes doses d’analgésiques répressifs.
La chirurgie
L’opération a consisté à se débarrasser d’un président gênant, qui s’était rapproché un peu trop du président vénézuelien Hugo Chávez. Le « diablotin communiste » avait permis de financer des mesures sociales grâce aux excédents de ses ressources pétrolières. En s’alignant sur la communauté bolivarienne, Zelaya mettait en jeu les intérêts d’une oligarchie nationale proche alliée des États-Unis. Puis, il a augmenté le salaire minimum de 60%, dans un pays de fortes inégalités économiques.
Évoquant le prétexte qu’il aurait violé la Constitution, les putschistes se sont paré d’une image de protecteurs de la démocratie. Zelaya aurait voulu modifier la Constitution pour pouvoir postuler à un second mandat. L’accusation est mince, voire mensongère. Appuyé par quatre cent mille signatures, le chef de l’Etat avait prévu d’organiser, le jour du scrutin, auquel il ne pouvait se présenter — la Constitution de 1982 restant en vigueur jusqu’à nouvel ordre —, une « consultation » demandant aux Honduriens s’ils désirent la convocation d’une Assemblée nationale constituante. Une centaine de députés du parlement et une poignée de juges, appuyée par l’oligarchie, a décidé que leur opinion valait mieux qu’un référendum.
La convalescence
La suite du coup d’État devait servir à gagner du temps. Il a fallu défier la réprobation généralisée, et l’isolement complet du nouveau gouvernement. L’Organisation des États américains, l’Organisation des Nations Unies, l’Union européenne, incluant les États-Unis et le gouvernement de droite de la Colombie ont dénoncé le coup. Le gouvernement de facto doit aussi affronter les pressions financières comme l’annulation des prêts de la Banque mondiale et de l’Union européenne. S’ajoute le blocus de la frontière décrétée par le Nicaragua.
Le président auto-proclamé Micheletti a néanmoins affronté avec arrogance les « médiations » esquissées par la communauté internationale. Après avoir fait mine d’accepter la médiation du président du Costa Rica, Oscar Arias, le chef d’État de facto refuse de rencontrer Manuel Zelaya. La semaine dernière, devant une délégation de l’OÉA, dirigée par son secrétaire, le chilien José Miguel Insulza, Micheletti a réitérer son refus de toute négociation qui inclurait le retour de Zelaya.
Ayant de son côté la majorité des grands médias du pays, le gouvernement autoritaire n’a pas eu à faire appel à des restrictions massives de la liberté d’expression. La pluralité des médias souffre pourtant du coup de force. Les médias communautaires et les journalistes étrangers, particulièrement ceux de la chaîne TeleSur, ont été victimes d’intimidation. Dans la rue, la répression a été brutale. L’armée, déployée en masse, a imposé des restrictions aux libertés civiles et des couvre-feu réguliers. On compte environ huit morts et des centaines de blessés durant les manifestations pour le retour de Zelaya. Les journées de protestations et les grèves générales, suivies principalement par les professeurs et d’autres employés publics, n’ont pas atteint une ampleur massive. Les « perturbations économiques » ont été limitées et la désobéissance civile diluée face aux manifestations d’appui au régime fantoche par les classes moyennes de la capitale, Tegucigalpa.
La guérison
Le plan de match des putschistes consistent à patienter jusqu’aux élections prévues selon le calendrier officiel pour le 29 novembre prochain. Impossible pour le président Zelaya de s’y représenter en vertu de la Constitution. Les élections présidentielles dans le contexte de répression et de désorganisation des forces sociales donneront gagnants les protégés de partis traditionnels : le Parti libéral et le Parti conservateur. Ce « retour à la normalité » coïncidera avec le « retour à l’État de droit » plaidé par la « communauté internationale ». Malgré les déclarations indignées contre le gouvernement de facto, les observateurs internationaux de l’OÉA et de l’Union européenne sont déjà prêts à légitimer l’opération électorale de façade.
Avec sa petite opération dictatoriale, les élites honduriennes auront agi rapidement, évitant la propagation du virus bolivarien. Les nouveaux « gorilles » en veston-cravate ont fermer la porte d’une refonte constitutionnelle avant même qu’elle s’ouvre. Ainsi, le néoconstitutionnalisme représenté par Chávez, Morales et Correa a été battu par un néoputschisme écrivant une nouvelle justification à la violente interruption de l’institutionalité démocratique. Les élites latino-américaines s’effraient devant cette démocratie radicale lorsque, au Venezuela, en Bolivie et en Équateur, une assemblée constituante décadenasse les mouvements populaires et sème les graines d’un nouvel ordre démocratique égalitaire, tout en renforçant l’appui populaire des présidents au pouvoir.
Au Honduras, les classes dominantes ont misé sur le fait que, dans une étape encore jeune du développement des forces populaires, il était peu probable que, comme dans le cas du Venezuela, qu’une foule de plus d’un million de citoyens envahissent le palais présidentiel pour demander le retour du président déchu. En avril 2002, au Venezuela, la Constitution était concrètement dans la rue, ce que le peuple en lutte avait décidé, et non ce que les putschistes prétendaient.
La faiblesse de la mobilisation citoyenne contre le coup d’État au Honduras s’explique en autres par la faiblesse même de l’organisation sociale, syndicale et paysanne. Manuel Zelaya, venant d’un parti traditionnel, a fait un virage à 180º par rapport à l’idéologie de son parti. L’épisode hondurien montre l’impossibilité que le changement social se concentre dans un aventurisme présidentiel, sans l’appui d’un parti politique au parlement, ni de mouvements sociaux organisés. Les classes dominantes viennent de percer le maillon faible de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques. Pendant ce temps, en Colombie, il se prépare le retour de la stratégie militaire étasunienne dans la région.