Édition du 15 octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Israël - Palestine

Un an de génocide, un an de protestations

Dans cet article, la juriste et universitaire palestinienne Noura Erakat revient sur les différentes séquences qui ont jalonné l’offensive génocidaire de l’État colonial israélien contre les Palestinien-nes de Gaza depuis un an, ainsi que sur les mobilisations multiformes qui ont sillonné le monde et les initiatives juridiques visant à mettre fin au génocide et à sanctionner Israël.

Tiré du site de la revue Contretemps.

Le génocide est toujours en cours et Israël menace le Liban du même niveau de destruction que Gaza. Dans le même temps, la solidarité avec la Palestine n’a jamais été aussi puissante et la réalité du projet sioniste si limpide. Comme les Palestinien-nes qui résistent inlassablement depuis près d’un siècle, tou-tes celles et ceux qui sont soucieux-ses de l’égalité et de la justice dans le monde brandissent, aujourd’hui et pour toujours, la bannière éclatante de la Palestine jusqu’à sa libération.

***

Jour après jour, depuis un an, l’armée israélienne a mené une campagne d’extermination implacable contre les palestiniens à Gaza. Jour après jour, les gens de conscience tentent d’y mettre fin.

367e jour du génocide. J’ai pris l’habitude de compter les jours de cette manière, avec l’horrible certitude qu’aujourd’hui, la destruction à échelle industrielle des Palestiniens de la bande de Gaza se poursuit, et avec la détermination infaillible de la voir prendre fin, aujourd’hui.

J’ai établi cette pratique au 6e jour, lorsque l’on a appris que la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient avaient largué 6000 bombes en moins d’une semaine sur une population assiégée, majoritairement constituée de réfugiéEs.

Avant même cette révélation, nous comprenions que cette attaque était sans précédent. Nous le comprenions, même en sachant que la colonisation de peuplement de la Palestine par Israël avait déjà créé une structure d’élimination vieille de huit décennies ; même en sachant qu’Israël avait lancé de grandes offensives durant la guerre de 1948, la guerre de 1967 et l’invasion du Liban en 1982 ; même en sachant qu’il avait encerclé Gaza d’une grille militarisée depuis 1993, imposé un siège total depuis 2007, et démarré une campagne systématique d’offensives à grande échelle depuis 2008.

Nous comprenions que cette fois les choses étaient à la fois d’une ampleur et d’une nature différentes. Mu par un désir fanatique de vengeance, doublé du calcul opportuniste, dépourvu de tout scrupule, par lequel la Nakba pourrait être menée à son terme, Israël, avec le soutien d’une superpuissance globale, déchaîna une campagne impitoyable visant à punir et détruire un peuple qui refuse de disparaître.

Nous savions tout ceci dès le 6e jour, et puis, ce même jour vers minuit, l’armée israélienne ordonna à 1,1 million de palestiniens de se déplacer vers le sud, au-delà de la rivière Wadi Gaza. Dès le 7e jour, le spécialiste des études sur l’holocauste, Raz Segal, parlait à ce propos d’un « cas d’école en matière de génocide ». Le 8e jour, 800 chercheurs en droit sonnèrent la même alarme. Au 10e jour, l’hôpital Al-Ahli fut bombardé. Au 11e jour, 400 militantEs juifs et juives occupèrent le Capitole aux États-Unis, tandis qu’au 12e jour, les experts des Nations Unies mettaient en garde contre un génocide.

Le 27e jour, des militants d’Oakland, en Californie, empêchèrent l’accostage d’un bateau qui, les avait-on averti, transportait des munitions à destination d’Israël. Le 28e jour, 300 000 manifestants à Washington DC exigèrent un cessez-le-feu immédiat. 31e jour ; des militants à Tacoma, dans l’État de Washington, empêchèrent là encore l’accostage d’un bateau chargé de munitions. 33e jour ; trois organisations palestiniennes pour la défense des droits humains adressèrent une pétition à la Cour pénale internationale accusant Israël de génocide. 35e jour ; à Londres, près d’un demi-million de manifestants exigèrent un cessez-le-feu, et le 37e jour, le Centre for Constitutional Rights attaqua en justice le Président des États-Unis ainsi que son ministre des affaires étrangères [Antony Blinken] et son ministre de la défense [Lloyd J. Austin] pour mettre fin à leur complicité de génocide.

Tout ceci est arrivé avant le premier et le seul cessez-le-feu qui facilita l’échange diplomatique de captifs entre les 48e et 54e jours.

Quatre semaines plus tard, au 83e jour, la République d’Afrique du Sud soumit sa pétition accusant Israël de non-respect de la Convention sur le génocide. Cette initiative participait du soulèvement global de toutes celles et ceux qui n’avaient pas besoin d’une cour de justice pour caractériser ce dont ils et elles étaient témoins en temps réel. Les uns et les autres n’avaient besoin d’aucun précédent juridique pour condamner la destruction de 60 pour cent des immeubles d’habitations de Gaza, l’anéantissement de toutes les principales universités, la paralysie de 36 hôpitaux, le ciblage d’une mosquée vieille de 1400 ans et la troisième église la plus ancienne au monde.

Ils et elles n’eurent besoin d’aucun comité juridictionnel pour conclure que le fait de tuer 247 palestiniens par jour en moyenne, dont deux mères de famille toutes les heures, et l’amputation d’un ou de plusieurs membres de dix enfants chaque jour, n’étaient pas le résultat d’un grotesque affrontement urbain. Cependant, un bien trop grand nombre d’États membres de l’ONU, nécessitèrent, eux, que leur principal organe judiciaire les rappelle à leurs obligations et devoirs, pour les contraindre à contenir un État génocidaire et ses soutiens.

Au 111e jours, sur les 17 juges de la Cour internationale de justice, 15 estimèrent plausible qu’Israël était en train de perpétrer un génocide. Ils étaient d’accord sur le fait que la loi interdit ce que le sel de la terre condamne, à savoir, que la destruction d’un peuple, que ce soit à des fins politiques, ou d’accroissement d’une emprise territoriale, ou d’imposition unilatérale de la souveraineté de colons, ou pour toute autre raison, n’est jamais acceptable.

Mais cette décision retentissante se heurta à la réalité désespérante de l’absence de tout mécanisme de mise en application dans le système international, excepté, il est vrai, pour ce qui concerne le Conseil de sécurité de l’ONU dont les cinq membres permanents détiennent un droit de veto qui peut s’opposer – et qui d’ailleurs s’oppose – à la volonté de la terre entière.

Malgré cela, une opinion mondiale implacable poursuivit un combat acharné pour la justice la plus élémentaire. Si les institutions internationales ne pouvaient être mobilisées efficacement pour arrêter le génocide, les institutions nationales, elles, le seraient. Au 121e jour, plusieurs fonds de pension danois se sont désinvestis d’entreprises israéliennes ; au 122e jour, le gouvernement de Wallonie décida de suspendre deux licences d’exportation d’armes ; au 129e jour, une cour d’appel néerlandaise interdit le transfert de toutes les pièces détachées d’avions F-35 ; et au 246e jour, la Colombie imposait un embargo énergétique. En Angleterre et aux États-Unis, des militantEs sont passés outre leur propre gouvernement pour aller directement bloquer les usines Elbit, le plus gros fabricant d’armes privé d’Israël, installé à Tamworth, Oldham, et Cambridge.

193e jour : les étudiantEs des universités américaines, qui avaient protesté contre la complicité de leur institution dans le génocide, éveilla l’attention du pays lorsque les étudiantEs de Columbia installèrent un campement. Au 209e jour, il y avait plus de 150 campements semblables à travers le monde. Ces étudiantEs ne furent pas dissuadéEs par les sanctions brutales que leurs propres institutions leur infligèrent pour avoir osé s’opposer aux pires atrocités que des États pouvaient commettre, et pour s’être emparé du potentiel de l’action organisée pour changer le cours de l’histoire.

De manière héroïque, des étudiantEs en journalisme vinrent combler le vide béant laissé par toute la profession du secteur, et des diplômés produisirent de nouvelles connaissances sur la Nakba que les publications de juristes les plus en vues tentèrent de censurer, en vain. Au 228e jour, partout aux États-Unis, des assemblées adoptèrent 175 résolutions municipales en faveur du cessez-le-feu, et au 235e jour, 100 000 personnes encerclèrent la Maison blanche d’une ligne rouge humaine, en réponse à celle que le gouvernement Biden avait menacé d’instaurer autour de la dernière ville encore debout à Gaza, avant de s’y refuser au bout du compte.

Tout ceci ne représente qu’une fraction du travail entrepris à échelle globale pour stopper le génocide, et pour ne rien dire du front inflexible maintenu par les Palestiniens à Gaza, sans lequel la solidarité n’aurait aucun sens. Mais rien de tout ceci n’a suffit à mettre un terme au génocide.

A ce jour, le 366e, près de 42 000 palestiniens, pour celles et ceux que l’on a pu recenser, ont été tués -parmi lesquels, plus de 20 000 enfants, ensevelis, introuvables, et détenus. Les noms de ceux âgés de moins de un an remplissent quatorze des 649 pages du document qui tente de garder la mémoire de ces victimes. A ce stade, 902 familles dans leur intégralité ont disparu du registre civil. Le nombre réel de morts résultant du programme consistant à imposer la famine, les maladies et la destruction des conditions nécessaires à la survie, selon la revue médicale The Lancet, est de 186 000 et atteindra les 335 000 d’ici la fin de l’année.

Mon souhait

Est de voyager

D’arriver jusqu’à un hôpital

Et d’avoir une prothèse des bras.

Afin de pouvoir tenir un ballon dans mes mains

Afin de pouvoir jouer.

Afin de pouvoir écrire.

Afin de pouvoir manger

Et pourtant, même encore maintenant, Israël n’en a pas terminé. Au 355e jour, il a intensifié sa campagne avec une attaque terroriste au Liban qui a transformé des humains en bombes ambulantes. Israël a continué avec le bombardement aveugle de secteurs habités en ayant recours au même cliché raciste du « bouclier humain » qui aurait pourtant dû finir sous les 26 millions de tonnes de gravats et de débris auxquels ont été réduites ce que furent autrefois les infrastructures civiles de Gaza. Suite aux tirs de missiles iraniens sur Israël, au 359e jour, le risque d’une guerre régionale et potentiellement globale plane sur un horizon qui se rapproche.

Aujourd’hui, 367e jour, il est quasiment impossible de ne pas éprouver un sentiment de désespoir. « La catastrophe n’est pas à venir, la Nakba n’est pas le passé, » nous dit l’historienne Sherene Seikaly. Nous ne sommes pas au bord du précipice de l’apocalypse ; nous avons construit la vie dans ses replis. Dans son traité sur la reconstruction du monde, Octavia Butler nous rappelle que « tout ce que nous touchons, nous le transformons. Tout ce que nous transformons nous transforme ».

Nos efforts collectifs ont laissé une marque indélébile : les États-Unis et Israël sont isolés à l’échelle internationale, leur influence réduite au seul recours à la l’usage de la force nue, dépourvu du moindre argument juridique ou éthique en sa faveur. Leurs ravages sans limite n’ont d’égal que leur propre naufrage moral, qui saute aux yeux de qui consent à les ouvrir.

Nous sommes nous-même transformés à jamais : les yeux grands ouverts, prêts à nous défier des autorités médiatiques, sociales et politiques cherchant par tous les moyens à nous réduire à l’état de zombies obnubilés par les divertissements de la culture pop ; grands ouverts sur le fait que l’impérialisme façonne chaque détail de nos vies quotidiennes ; sur le fait que le sionisme est un racisme et qu’une Palestine libre a le potentiel de nous libérer toutes et tous.

Il nous faut reconnaître notre propre désespoir, le nommer, pour empêcher son abysse de ténèbres de transformer nos espaces d’interventions en lieux toxiques de blessures. Il nous faut nous rappeler que la capitulation n’est pas une option et que l’histoire s’étend au-delà du temps même d’une époque entière.

Il nous faut nous tourner vers les Palestinien-nes pour trouver notre meilleure ligne de conduite et notre inspiration, vers eux et elles qui, pendant 76 années, ont plus d’une fois subi des pluies de coups et qui chaque fois se sont redressés tel un phénix, pour se reconstituer et continuer à se forger un avenir dans le feu du sacrifice le plus difficile et l’assurance de la victoire collective. Un génocide a menacé d’effacer la Palestine, mais il conduit à ce que la Palestine vit aujourd’hui dans chacune et chacun de nous, immortelle. Rien, ni personne parmi nous, ne sera plus jamais le même.

*

Noura Erakat est avocate, engagée dans la défense des droits humains, professeure à l’Université Rutgers, New Brunswick, et coéditrice de Jadaliyya. Elle a publié Justice for Some : Law and the Question of Palestine (Stanford University Press).

Traduction par Thierry Labica.

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