C’est du jamais vu depuis 1979, année de la première élection au suffrage universel du Parlement européen. Selon des résultats quasi définitifs, le Parti populaire européen (PPE – 179 sièges), qui rassemble les formations de droite du continent, et la famille des sociaux-démocrates (S&D – 150 sièges), ne sont pas en mesure d’avoir la majorité absolue (376 sièges) au Parlement. Les scores additionnés de l’un et de l’autre (329) sont très au-dessous de la moitié des 751 sièges d’eurodéputés. La coalition qui permettait traditionnellement à ces deux formations de gouverner ensemble le Parlement ne pourra pas être reconduite.
Ce verdict des européennes confirme une tendance déjà à l’œuvre depuis des années dans les élections nationales des 28 États membres : les partis gouvernementaux sont généralement désavoués par les électeurs, tandis que des forces nouvelles font leur apparition et que les partis d’extrême droite poursuivent une dynamique ascendante.
Car au-delà de la victoire, en France, du RN, la Ligue de l’Italien Matteo Salvini arrive elle aussi en tête (entre 27 et 30 % selon les premiers chiffres de dimanche soir), envoyant au moins une vingtaine d’élus à Strasbourg. De son côté, le Vlaams Belang belge, avec plus de 18 % des voix, triple son score par rapport à 2014, et l’extrême droite autrichienne (FPÖ) se maintient, malgré le scandale qui l’a éclaboussée la semaine dernière à Vienne, mettant en évidence ses liens avec la Russie de Poutine : selon les premières estimations, elle serait à 17,5 % des voix – à peine moins que son score de 2014 (19,7 %, quatre eurodéputés).
Le groupe « Europe des nations et des libertés », que Marine Le Pen avait eu du mal à construire faute d’alliés pendant la précédente mandature et qui avait fini par rassembler 36 élus, devrait donc se voir confortablement renforcé en gagnant plus de 20 sièges (58 au total).
D’autres ultra-droites, non membres de ce groupe, explosent par ailleurs les compteurs. Au Royaume-Uni, le parti du Brexit de Nigel Farage (fondateur de l’ancien UKIP, qui avait tout fait pour provoquer le référendum sur le Brexit en 2016) fait le plein avec près de 32 % des voix : un résultat qui confirme l’existence d’un noyau dur d’électeurs britanniques souhaitant définitivement quitter l’Union européenne.
En Hongrie, le Fidesz de l’autoritaire Viktor Orbán remporte quant à lui le meilleur score de tout le continent, avec environ 52 % des voix. Il gagne un siège à Strasbourg (13 élus) et pèsera de tout son poids dans les prochaines tractations au sein du PPE – dont il fait encore formellement partie, même s’il en a été suspendu en mars dernier. En Pologne, le parti Droit et justice (PiS) aux manettes de l’exécutif arrive lui aussi en tête du scrutin, avec près de 46 % des voix.
Parallèlement cependant, les partis verts connaissent une progression évidente dans plusieurs États membres. C’est particulièrement marqué en Allemagne, où les Grünen se hissent, pour la première fois, à la deuxième place du pays, avec plus de 20 % des voix, reléguant les sociaux-démocrates du SPD à la troisième place.
Certes, les partis écologistes reculent légèrement dans leurs bases historiques, à savoir les pays du nord européen. Ils progressent en Belgique, gagnant deux sièges, mais moins qu’espéré. Au total, ils deviennent avec 70 eurodéputés la quatrième formation du Parlement, là où ils étaient à la 6e place depuis 2014.
Autre progression : le camp des libéraux, auquel La République en marche d’Emmanuel Macron voudrait se raccrocher. La plupart des partis membres de l’ALDE (« Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe », 4e place dans le Parlement sortant) engrangent des points (107 sièges au total) et seront au cœur des futures négociations de la prochaine coalition.
En outre, d’autres formations qui s’en réclament, qui n’existaient pas ou à peine en 2014, font leur apparition. C’est particulièrement le cas en Europe centrale, où de nouvelles dynamiques ont émergé ces deux dernières années, à rebours des tendances nationalistes ou ultraconservatrices au pouvoir dans plusieurs États membres.
Un pays est révélateur de ce basculement : la Roumanie (32 eurodéputés), qui votait également ce dimanche dans un référendum pour ou contre une réforme de la justice vivement contestée par les électeurs. Résultat, les Roumains ne se sont jamais autant déplacés pour un scrutin européen (50 % de participation contre 32 % il y a cinq ans), et ils ont placé en 2e position un parti né l’an dernier des mouvements sociaux anticorruption qui secouent le pays depuis 2015 : l’Alliance libérale. Avec 25 % des voix, ce nouveau parti devrait constituer un apport non négligeable au futur groupe parlementaire.
En République tchèque également les électeurs sont en demande d’une nouvelle offre politique qui se distingue de leur gouvernement lié à des scandales à grande échelle : le Parti pirate, qui entend lutter contre la corruption et avait déjà réussi à conquérir la mairie de Prague à l’automne dernier, récolte 14 % des voix. C’est un score inédit pour ce parti entré pour la première fois dans le Parlement tchèque il y a deux ans. Enfin, en Slovaquie, le jeune parti de la nouvelle présidente élue le mois dernier, Slovaquie progressiste, arrive largement en tête avec plus de 20 % des voix.
Ici et là, les électeurs se sont bien davantage déplacés qu’il y a cinq ans : avec 51 %, la participation est en hausse de près de 10 points par rapport à 2014. Certes, cela reste à un niveau inférieur de la participation que l’on observe habituellement dans d’autres types de scrutin, comme les législatives ou les municipales. Mais cela montre aussi que le désintérêt qui accompagne traditionnellement les élections européennes peut bouger. Les nombreuses crises européennes qui ont accompagné le mandat qui s’achève (crise grecque, crise de l’accueil des réfugiés, Brexit, dérives autoritaires…) ne sont certainement pas pour rien dans ce sursaut.
Le nouveau Parlement européen s’annonce en conséquence plus éclaté que le précédent, et de nombreuses nouvelles têtes vont arriver dans l’hémicycle. Cette nouvelle configuration, loin du traditionnel bipartisme, va ouvrir le jeu à de multiples négociations : le prochain mandat sera sans doute marqué par davantage de constructions d’alliances en fonction des textes à voter.
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