Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Tuerie de Québec - Un réveil brutal à mettre à profit

Décidément, la tuerie terroriste islamophobe de Québec met en évidence des contradictions de la société québécoise envers lesquelles pas mal de « de souche » préféreraient se mettre la tête dans le sable. On peut toujours se consoler en pointant du doigt le terroriste Richard Bain [1], produit du Quebec bashing entretenu par la nébuleuse médiatique anglo-canadienne, mais ce serait voir la paille dans l’oeil du voisin sans remarquer le 2 par 4 qui nous arrive en pleine face. C’est compréhensible, puisque ça fait mal à cet ego identitaire auquel peu échappe, mais ce serait une erreur magistrale que de faire le dos rond tout en se vautrant dans l’inconscience.

Comme lecteur du Devoir, je ne peux qu’attirer l’attention sur certains articles à lire et à méditer. La chronique de Francine Pelletier [2] attire notre attention sur ces extrémistes mâles de souche islamophobes et sexistes devenus terroristes, attisés par l’ambiance des radio-poubelles et des « chartes de valeur », qui sont le reflet paradoxal d’un peuple qui, tels « les Juifs d’Israël », serait « des miraculés de l’Histoire […] les ‘‘bons’’, jamais les ‘‘méchants’’ ». Son argumentaire s’apparente au mien [3] sauf qu’en conclusion j’en avais déduit que cette tuerie était plutôt « le signe troublant d’un peuple opprimé et frustré historiquement incapable de libération nationale et d’émancipation sociale. » À bien y penser nos deux conclusions différentes ne sont nullement contradictoires mais le revers et l’envers dialectique de la même médaille.

On apprend dans le numéro d’aujourd’hui que « des leaders musulmans avaient sonné l’alarme dès septembre » [4] auprès du gouvernement lequel n’a pas donné suite. De dire un iman, « [q]u’ils [fassent] le tour des endroits, des mosquées et posent des questions aux femmes, à ceux qui changent de nom parce qu’ils n’arrivent pas à trouver un travail et à ceux qui cachent leur religion pendant des années par peur... ». D’ajouter l’article : Il est notamment demandé au ministre Coiteux qu’il élabore une politique pour contrer les abus de signalements et le profilage de la part des services de sécurité envers les personnes racisées et une autre pour protéger ces mêmes personnes de la cyberintimidation. On lui recommande aussi que ses ministères (Affaires municipales et Sécurité publique) chiffrent les objectifs d’embauche de personnes racisées et travaillent à les atteindre.

On apprend aussi que « [l]’extrême droite de Québec sort de l’ombre » [5]. « À Québec, il y a des groupes d’extrême droite qui sont très bien organisés depuis quelques années. Certains sont assez décomplexés pour organiser des activités de recrutement ouvert dans les cégeps », note-t-il. « Nous, ce qui nous fait allumer un feu jaune, c’est quand ils commencent à s’afficher, à se décomplexer. On parle de marches dans le centre-ville, d’“activités de charité” pour ramasser de l’argent pour “nos” sans-abri. » Dans ce même numéro, on nous fait part d’une enquête exhaustive du Pew Research Center sur « l’identité nationale » [6] pour plusieurs pays dit développés dont le Canada est le seul qui ait plus d’une langue officielle. On y apprend que la capacité de parler anglais ou français est jugée très ou assez importante à 88% pour déterminer l’identité nationale, sans distinguer le Québec du restant du Canada. Pour les us et coutumes, sans spécifier lesquels, c’est 90% mais seulement 43% pour le lieu de naissance canadien et 34% pour une religion chrétienne. Cependant, pour chacun de ces quatre critères mais dans une moindre mesure pour la langue, le degré d’importance augmente avec la croissance de l’âge, l’abaissement de l’instruction et la pratique religieuse. On peut en conclure que plus un critère est collé à la xénophobie moins il est important et plus on est jeune, instruit et athée moins pèse la question de l’identité nationale.

C’est donc dire que la lutte pour l’indépendance nationale, comme seule réponse historiquement pertinente à l’oppression nationale telle que reflétée par le Quebec bashing, ne peut pas se mener sous l’égide du nationalisme au coeur duquel on trouve peu ou prou l’identitarisme. Elle ne peut se mener que sur une base internationaliste autour d’un projet de société écologique de liberté, de justice sociale et de solidarité regroupant l’ensemble pluraliste des résidentes d’un territoire démocratiquement reconnu sans irrédentisme contre les nations plus faibles.

Comme à quelque chose malheur est bon l’occasion est propice pour la gauche politique et sociale de hausser le niveau de priorité de la lutte contre la xénophobie et le racisme. On se dit que des tactiques appropriées de visibilité comme des projets de lois ou une mini-campagne seraient appropriées. Reprendre certaines revendications de ces communautés serait un début. La plateforme 2014 [7]7 de Québec solidaire contient certaines revendications concernant les communautés culturelles et l’immigration qui peuvent être inspirantes :

1.22 INTÉGRATION DES PERSONNES IMMIGRANTES Pour faciliter l’intégration des personnes issues de l’immigration et des communautés culturelles, Québec solidaire :
a. favorisera leur accès aux emplois dans la fonction publique et dans les entreprises privées de plus de 50 employé-es ;
b. facilitera la mise à niveau de leurs connaissances et expériences, et la reconnaissance de leurs diplômes étrangers ;
c. aidera les femmes immigrantes à apprendre le français, à étudier et à avoir accès au marché du travail ; d. financera davantage les organismes communautaires travaillant avec les personnes issues des communautés culturelles et de l’immigration ; e. abolira le délai de carence pour l’aide de dernier recours et l’assurance-maladie.
1.23 DROITS DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS ÉTRANGERS TEMPORAIRES Pour protéger les droits des travailleuses et travailleurs étrangers, Québec solidaire :
a. leur donnera le droit de changer d’employeur et de choisir leur lieu de résidence ;
b. leur permettra de continuer à résider et à travailler au Québec si leur séjour doit se prolonger à cause d’une plainte ;
c. leur fournira le soutien nécessaire en cas de violation de leurs droits ou d’accident du travail ;
d. obligera les employeurs à leur remettre un contrat de travail dans leur langue ;
e. assurera l’inspection automatique des employeurs et des milieux de travail ;
f. permettra aux travailleuses et travailleurs étrangers agricoles d’avoir accès aux programmes communautaires d’accueil, de soutien, de francisation et d’intégration.

Marc Bonhomme, 2 février 2017,

www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca


[1Wikipédia, Attentat au Métropolis

[2Francine Pelletier, Sortir de l’angélisme, Le Devoir, 1/02/17

[3Marc Bonhomme, Terrorisme à Québec : Racisme mâle « pure laine » et libération nationale en panne, ESSF, 30/01/17

[4Lise-Marie Gervais, Des leaders musulmans avaient sonné l’alarme dès septembre, Le Devoir, 2/02/17

[5Isabelle Porter, L’extrême droite de Québec sort de l’ombre, Le Devoir, 2/02/17

[6Pew Research Center, Views of national identity by country, 1/02/17

[7Université Laval, Département de science politique, Plate-forme 2014 de Québec solidaire. Il est remarquable que cette plate-forme ne soit pas accessible sur le site du parti.

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