Tiré de Entre les lignes et ls mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/03/24/trois-mois-de-resistance-au-perou-dans-notre-pays-ils-tuent-par-balle/
Les mouvements populaires au Pérou sont en lutte depuis plus de trois mois. Le 7 décembre 2022, Pedro Castillo a été démis de la présidence du Pérou et arrêté lors d’un coup d’État mené par des secteurs de la droite, majoritaires au Congrès national.
Immédiatement, lors de manifestations massives et pacifiques, les mouvements populaires du Pérou ont commencé à exiger la démission de Dina Boluarte (vice-présidente qui a pris la place de Castillo), des membres du Parlement ainsi que la convocation d’une Assemblée constituante.
En réponse, ils sont victimes de coups de feu, d’arrestations, de disparitions et de violences physiques et psychologiques de la part de l’État. Entre décembre 2022 et mars 2023, plus de 400 personnes ont déjà été incriminées, plus de 60 ont été assassinées lors des manifestations et des milliers ont été blessées.
La mobilisation populaire a combiné des manifestations locales, régionales et nationales, menant des grèves et des actes majeurs qui se déroulent simultanément dans tout le pays. Un moment important de cette mobilisation a été la prise de Lima, le 19 janvier 2023, lorsque les mouvements populaires, ouvriers, féministes, paysans et indigènes du pays se sont rassemblés dans la capitale fédérale.
« Avec des slogans, des chansons, des danses, des affiches, des banderoles et tout le reste, nous avons marché jour après jour dans les immenses rues de Lima, générant une prise de conscience, et subissant une répression intense de la part de la police et de l’armée qui tirent directement sur nos corps et attaquent les manifestants, démontrant tout le racisme des institutions qui les soutiennent et les dirigent. » Marche Mondiale des Femmes de la macro région nord du Pérou.
Le féminisme a œuvré pour l’unité dans la lutte nationale, brandissant des drapeaux depuis les territoires dans diverses régions du pays, comme l’explique Ruth Reyes, coordinatrice du Cercle d’action féministe (CAFEM). Les femmes issues des mouvements mixtes et celles qui sont auto-organisées forment des délégations pour se rendre dans la capitale, ce qui permet à la mobilisation d’être toujours active et en réseau.
« La paysanne a perdu sa peur. Chaque compagne, dans chaque région, a organisé et rejoint toujours plus de délégations pour se rendre dans la capitale et participer aux manifestations pacifiques que nous avons menées » Lourdes Huanca
Un coup contre les peuples et contre la nature
Le récit de Rosa Sara Huaman Rinza, dirigeante de la communauté indigène de San Juan de Kañaris, explicite la dénonciation populaire du racisme et du colonialisme qui sous-tendent l’extractivisme transnational dans le pays. « Nous sommes ici à Lima parce que nous sommes fatiguées d’être traitées avec discrimination, d’être appelées « Indiens‟, ignorants, cholos, Serranos [1]. Bien que nous soyons les garantes de la vie et que nous nourrissions les villes, ils nous traitent de la pire des façons », dit-elle.
Les militantes dénoncent le fait que le coup d’État n’usurpe pas seulement la démocratie ; il usurpe également les biens communs, la nature et les territoires paysans et ancestraux. « Cet État ne cesse de nous discriminer et de céder nos territoires aux transnationales. Ce sont nos forêts, nos lagunes et nos aquifères qui produisent de l’eau douce pour alimenter les villes, mais ils s’en moquent, parce que leurs profits passent avant tout », déclare Rosa Huaman.
Pour Lourdes Huanca de La Via Campesina, 2023 est une année cruciale car c’est le moment où les concessions minières et pétrolières seront réexaminées. « Nous avons besoin de force pour faire pression sur ce point, car c’est la raison pour laquelle ils maintiennent Pedro Castillo en prison ».
« Nous portons sur nos épaules les personnes assassinées par ce système capitaliste patriarcal qui place toujours le capital au-dessus de nos vies. Nous sommes ici parce que la « Dina assassine » et ce Congrès putschiste tentent de mettre fin à nos territoires, en acceptant des contrats et des lois qui nuisent à nos terres, à nos communautés et à nos eaux. » Liz Medrano, coordonnatrice de la communauté TLGBIQ+ de Lambayeque
Pour une démocratie solide et populaire
La revendication d’un processus constituant populaire s’inscrit dans la vague latino-américaine actuelle qui appelle à une profonde réorganisation de l’État. Il s’agit d’une demande de se débarrasser du néolibéralisme, des inégalités et de la primauté de la logique du profit inscrite dans les constitutions rédigées pendant les périodes d’autoritarisme intense. Le Pérou se trouve précisément dans cette situation : la constitution politique actuelle a été rédigée sous le gouvernement dictatorial d’Alberto Fujimori en 1993.
Le renversement de la Constitution actuelle signifie l’arrêt du « modèle extractiviste néolibéral qui, en 30 ans, nous a conduits à de grandes inégalités, à l’exploitation, au non-respect des droits, à l’institutionnalisation du travail forcé dans l’agro-industrie, à la reconcentration des terres dans des mains privées, à l’expropriation, à la pollution de l’eau, à la destruction des territoires, à la militarisation et à la criminalisation de la protestation », comme l’a déclaré la Marche Mondiale des Femmes dans le pays.
Les compagnes péruviennes exigent une démocratie qui émane des peuples, des femmes, des communautés, de leurs besoins pour une vie digne et pour la défense de la nature et du bien-être. Pour cela, « la dépatriarcalisation, la décolonisation et l’anticapitalisme sont un processus qui doit être renforcé à partir de la base, du collectif et de la communauté ».
Dans le cadre de la journée du mars, une articulation d’organisations féministes, dont fait partie la Marche Mondiale des Femmes du Pérou, a publié une déclaration intitulée « Cette démocratie n’est plus la démocratie ». Dans le document, elles dénoncent les manœuvres des secteurs conservateurs pour approuver des politiques antipopulaires dans ce contexte d’absence de démocratie.
« Les forces anti-droits promeuvent des contre-réformes dans le domaine de l’éducation, des droits sexuels et reproductifs, et cherchent à coopter des institutions telles que la Cour constitutionnelle et l’actuel bureau du défenseur public. Le conservatisme de droite et de gauche progresse et menace les droits des femmes et de la population LGBTQI+, et ce faisant, menace un enjeu véritablement démocratique. » Déclaration « Cette démocratie n’est plus la démocratie. »
Finie la répression
Le gouvernement de Dina Boluarte prévoit d’alourdir les peines pour l’organisation de manifestations sociales, dans le cadre d’une stratégie visant à criminaliser l’organisation politique et la solidarité. « La justice ordinaire agit comme au bon vieux temps du Fujimontésinisme [2], assassinant, militarisant et criminalisant la protestation », déclare Lourdes Contreras, vice-présidente de la 13ème zone de rondes paysannes de la province de Cutervo et coordinatrice de la MMF dans la macro-région du nord au Pérou.
Comme le soulignent les femmes dans la déclaration du 8 mars, « les prisons offrent des conditions dégradantes et cruelles, avec un préjugé sexiste à l’égard des femmes en détention, ainsi que des interventions illégales et arbitraires dans les locaux des organisations sociales, éducatives et politiques ». Les organisations dénoncent en particulier la persécution raciste des femmes aymaras.
Les arrestations sont fondées sur le machisme et le racisme et sont utilisées en particulier pour punir les femmes qui quittent leur domicile pour participer aux manifestations. Mais, comme le dit Lourdes Contreras, « les femmes autochtones, paysannes, jeunes, rurales et périphériques résistent depuis plus de 500 ans ».
Solidarité des peuples
La solidarité internationale des peuples et des mouvements est fondamentale pour vaincre les putschistes et renforcer le retour à la démocratie.
Outre les luttes menées dans les rues du pays, le travail de dénonciation internationale mené par les Péruviennes qui vivent ou voyagent dans d’autres pays a joué un rôle important. Lourdes Huanca, militante paysanne, a fait part de ses efforts pour faire connaître la situation aux parlementaires et aux militantes de différents pays européens, ce qui a donné lieu à des rapports internationaux et à des déclarations en faveur des manifestantes, ainsi qu’à des sanctions contre la militarisation.
« Dans notre pays, ils tuent par balle. En Espagne, ils ont réussi à empêcher la vente d’armes au Pérou. En Espagne également, l’ambassadeur [péruvien] a lancé une campagne contre moi, affirmant que je diffamais notre patrie. Cependant, je crois que c’est la solidarité de nos sœurs qui a permis de le démettre de ses fonctions », rapporte Lourdes Huanca. Dans les Amériques, la position critique des gouvernements progressistes a également joué un rôle important pour saper la reconnaissance de Dina Boluarte.
La Mission internationale de solidarité et des droits humains est un exemple de pratique de solidarité transfrontalière en Amérique latine. La Mission s’est rendue au Pérou du 8 au 13 février 2023, avec des groupes de travail répartis dans différentes villes touchées par le conflit, telles que Juliaca, Ica, Cusco, Ayacucho et Lima. Le groupe a pu observer de graves violations des droits humains et a pris la responsabilité de soutenir la dénonciation internationale de la répression étatique.
Maria Jose Cano, l’une des participantes de la Mission, est directrice nationale des droits humains de la Centrale autonome des travailleurs argentins (CTAA). Selon elle, la Mission a rempli son rôle de témoin des souffrances et de la résistance du peuple péruvien, écoutant les victimes, leurs familles et les dirigeants d’organisations populaires.
« Sur la base des témoignages et de l’énorme quantité de preuves recueillies, la Mission est parvenue à la conclusion préliminaire que l’État péruvien devrait faire l’objet d’une enquête, car, à travers ses forces armées et de sécurité officielles, il aurait assassiné, torturé, abusé, persécuté, menacé et intimidé de vastes secteurs vulnérables du peuple péruvien. Les différents témoignages nous ont permis de constater que la répression entreprise de manière disproportionnée et violente était dirigée contre la population civile, contre les différentes manifestations populaires et leurs alentours, et nous avons également constaté l’utilisation abusive d’armes létales avec de graves conséquences pour l’intégrité physique des péruviens et des péruviennes. Le peuple péruvien a droit à l’ouverture de toutes les instances juridictionnelles, nationales et internationales, pour obtenir vérité et justice. » Marie Jose Cano
[1] Tant le terme « cholo », qui signifie métis, comme le terme « Serrano », qui dans d’autres pays, peut simplement signifier « qui vient de la campagne », ont au Pérou une connotation péjorative et raciste et sont utilisés pour désigner les personnes pauvres ayant des traits indigènes.
[2] Le terme « Fujimontésinisme » fait référence à l’ancien dictateur péruvien Alberto Fujimori et à son conseiller Vladimiro Montesinos, qui, sous la dictature de Fujimori, était responsable du service national de renseignements du Pérou et dirigeait les crimes contre l’humanité et la corruption commis au cours de cette période.
Rédaction et révision de la traduction par Helena Zelic
Édition de Tica Moreno
Traduit du portugais par Claire Laribe
Langue originale : espagnol
https://capiremov.org/fr/experiences/trois-mois-de-resistance-au-perou-dans-notre-pays-ils-tuent-par-balle/
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