Tiré du blogue de l’auteur.
Ce n’est clairement pas l’enjeu majeur du référendum d’autodétermination de ce dimanche 4 novembre. Ce n’est pas non plus le critère exclusif qui doit présider au devoir d’inventaire de 165 ans de souveraineté française sur l’archipel. Ce n’est certainement pas non plus le levier décisif qui permettrait de contenir le réchauffement climatique en-deçà de 1,5°C ou 2°C comme le préconise l’Accord de Paris. C’est par contre une illustration supplémentaire du peu de considération de l’Etat et des différents gouvernements qui se sont succédé pour la crise climatique et les pollutions engendrées par l’exploitation du nickel.
Selon les données de la Banque Mondiale, la Nouvelle-Calédonie émet, par habitant, autant de CO2 que les Etats-Unis ou le Canada : plus de 16 tonnes par habitant et par an. Des émissions en très forte progression ces dix dernières années. C’est plus du double des émissions de CO2 par habitant de la Nouvelle-Zélande, pays pourtant parmi les plus riches et plus « développés » de la planète, situé dans la même région du globe. Seuls des pays comme le Qatar, Koweit ou l’Arabie Saoudite font pire.
La Nouvelle-Calédonie n’est pourtant pas soumise à des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Ni dans le cadre du protocole de Kyoto (qui prend fin en 2020). Ni dans le cadre de l’Accord de Paris qui porte sur les périodes suivantes, à partir de 2020. La contribution que la France a soumis dans le cadre de l’Accord de Paris le dit très clairement : les émissions de gaz à effet de serre de la Nouvelle-Calédonie « ne sont pas couvertes par la contribution prévue déterminée au niveau national de l’Union européenne et de ses Etats membres ». Alors que la Nouvelle-Calédonie se situe dans une des régions du monde les plus exposées aux conséquences des dérèglements climatiques, subissant de plein fouet l’augmentation du niveau de la mer, elle n’est donc pas couverte par l’Accord de Paris et soumise aux engagements de l’UE et de la France.
Tout comme 25 autres territoires ayant des liens avec certains pays européens (France, Royaume-Uni, Pays-Bas et Danemark), la Nouvelle-Calédonie dispose en effet d’un statut spécifique, celui de « pays et territoire d’outre-mer » (PTOM). Si ce statut confère la citoyenneté européenne à leurs ressortissants, ces territoires sont considérée comme ne faisant pas partie de l’UE, et ne sont donc pas soumise au droit européen. Si certaines politiques économiques de l’UE s’appliquent – les produits originaires des PTOM importés par l’UE ne sont pas soumis aux droits de douane ni aux restrictions quantitatives – ce n’est pas le cas des politiques climatiques.
Selon le dernier diagnostic de l’Ademe disponible en ligne et portant sur les émissions de GES en Nouvelle-Calédonie, 52 % des émissions directes de la Nouvelle-Calédonie sont le fruit de la métallurgie et des activités minières – ce total comprend les émissions des centrales électriques dédiées. Si ce diagnostic date malheureusement de 2008, la situation n’a pu qu’empirer depuis (cf. courbe ci-dessus) puisque les émissions ont explosé sous l’effet de l’expansion de l’exploitation du nickel. Le constat est donc sans appel : l’essentiel des émissions du territoire sont dues à l’exploitation d’un produit qui est essentiellement exporté. Le tout sans aucune contrainte en matière de réduction d’émissions.
Totalement juste jusqu’en 2016, ce constat doit désormais être nuancé. Le Congrès de Nouvelle-Calédonie, par les compétences qui lui sont dévolues par l’article 22 de la loi organique du 19 mars 1999, a en effet adopté le 23 juin 2016 un schéma pour la transition énergétique (voir ici). Ce plan couvre 70% des émissions du territoire et fixe des objectifs de « réduction des émissions » par rapport à un scénario tendanciel à partir des données 2010 : la courbe d’émissions, en forte croissance avant 2010, a été prolongée, selon cette même tendance en croissance, pour les années suivantes et c’est, sur cette base-là, que des objectifs ont été fixés. Ce ne sont dont pas des objectifs de réduction absolus, mais une réduction par rapport à la très forte hausse initialement envisagée. Ces objectifs, faibles par ailleurs (10% pour la mine, 35% pour l’habitat et 15% pour les transports) vont donc au mieux réduire un peu la progression des émissions en Nouvelle-Calédonie. Notons également que le Congrès de Nouvelle Calédonie a confirmé que le secteur de la mine et de la métallurgie, le plus consommateur d’hydrocarbures du pays, resterait exempté de nombreuses taxes sur les hydrocarbures.
Disons-le autrement : selon ce scénario de « transition énergétique », la Nouvelle-Calédonie, qu’elle devienne indépendante ou pas ce dimanche, va battre chaque année un nouveau record d’émission de GES. Le tout, sous la responsabilité de son Congrès, mais avec l’assentiment de l’Union européenne et de la France. Ainsi, l’engagement d’Emmanuel Macron consistant à fermer les centrales à charbon sur le territoire national ne concerne pas la Nouvelle-Calédonie qui dispose pourtant 12 centrales thermiques, dont la centrale à charbon de Prony (Mont-Dore) (puissance installée de 110 MW). Cette centrale, construite entre 2004 à 2010, visait à faire face à l’alimentation de l’unité de production de nickel et de cobalt de Vale sur le site du gisement du plateau de Goro (dire usine du Sud), et elle est possédée pour 25% par des filiales d’Engie (dont Engie Cofely qui se targue d’être un des leaders de la transition énergétique).
Comment pourrait-il en être autrement alors que l’appui indéfectible à l’exploitation du nickel de la part des autorités françaises – au mépris du climat et de la protection de l’environnement – ne s’est jamais démenti depuis des dizaines d’années ? Pendant des dizaines d’années, les autorités françaises, n’ont eu de cesse d’enfermer l’économie de l’archipel calédonien dans une dépendance totale envers l’exploitation du nickel. Quitte à accepter, lorsque c’était de leur compétence, une exemption fiscale de 200 millions d’euro pour la construction de la centrale électrique au charbon sur le site du complexe nickélifère de Koniambo (usine du Nord) et à la confirmer, par l’intermédiaire Michel Sapin et Manuel Valls, auprès des propriétaires actuels Société Minière du Sud Pacifique et Glencore, en septembre 2016. Quitte à soutenir aujourd’hui à hauteur d’une garantie d’État de 320 millions d’euros la construction d’une nouvelle centrale thermique, cette fois-ci au gaz - avec les unités de stockage de GNL et de regazéification nécessaires - aux fins de production de l’usine métallurgique de Nouméa de la SLN, filiale d’Eramet.
Que la responsabilité en matière de climat, de protection de l’environnement, de (dé)régulation de l’exploitation minière soit désormais celle du Congrès de Nouvelle-Calédonie ne doit pas faire oublier la responsabilité historique de la France, et de ses gouvernements successifs, dans le fait d’avoir enfermé la Nouvelle-Calédonie dans une dépendance dangereuses et extrêmement polluante à l’exploitation du nickel.
Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, Anthropocène, 2015.
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