En avril 2021, un sondage Nanos révélait pourtant que les trois quarts de la population canadienne – et 82 % des Québécois et des Québécoises – sont favorables à la ratification du Traité et ce même s’il faut résister à d’éventuelles pressions étasuniennes. Quand des politicien.ne.s canadiens auront-ils le courage de faire ce premier pas en vue de retirer l’épée de Damoclès nucléaire d’au-dessus de nos têtes ?
Le désarmement nucléaire demeure insignifiant et le péril nucléaire entier
Depuis 1986, la diminution de 80 % du nombre total d’ogives nucléaires dans le monde, en apparence très importante, n’a aucunement réduit le risque d’annihilation de l’humanité par les armes nucléaires. On a beau avoir la capacité de détruire l’humanité 15 ou 20 fois, celle-ci ne peut disparaître qu’une fois. En effet, même une très petite fraction des quelques 13 080 armes nucléaires actuelles suffirait – par exemple dans une guerre entre l’Inde et le Pakistan – à tuer instantanément des dizaines de millions de personnes là-bas, mais aussi à provoquer des changements climatiques pour toute la planète entraînant une famine qui pourrait tuer 1 ou 2 milliards de personnes. Une guerre nucléaire totale entre les États-Unis et la Russie créerait un « hiver nucléaire » pendant une bonne dizaine d’années, conduisant à une extinction massive de la plupart des populations humaines et animales. Nous avons déjà frôlé la catastrophe à de nombreuses reprises. Nous ne pourrons toujours être chanceux. Le désarmement nucléaire est urgent !
Deux traités majeurs : le TNP et le TIAN
Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) est entré en vigueur en 1970. Tous les États parties s’y engageaient « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire » (notre emphase). Mais force est de constater que les puissances nucléaires n’ont jamais vraiment rempli leur engagement à désarmer et sont même présentement engagées dans la direction opposée : elles mettent toutes en œuvre des programmes de modernisation voire d’augmentation de leur arsenal et de création de nouvelles armes nucléaires et de nouveaux vecteurs pour elles.
Les cinq « États nucléaires » du TNP (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France) ont adopté une rare déclaration conjointe le 3 janvier 2022. Ils y rabâchent encore que les armes nucléaires « tant qu’elles existent, doivent servir à des fins défensives, de dissuasion et de prévention de la guerre ». Et ils s’engagent à « prévenir une course aux armements qui ne profiterait à personne et nous mettrait tous en danger » alors même qu’ils y sont déjà pleinement engagés !
C’est face à cette absence de volonté flagrante que, dès 2010, un regroupement international de gouvernements, d’ONG, d’agences des Nations Unies, etc. s’est formé en vue d’en arriver à un traité rendant illégale la possession même des armes nucléaires et visant leur interdiction totale. C’est leur travail qui a abouti au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN, 2021). Malgré ses limites – aucun État nucléaire ne l’ayant signé ou ratifié – le TIAN a le mérite de réaffirmer l’urgence du désarmement nucléaire, d’offrir un cadre pour sa réalisation et de dénoncer implicitement l’absence de bonne foi des États nucléaires concernant cet objectif vital pour l’humanité. Ces pays affichent une fin de non-recevoir face au TIAN et entendent « préserver l’autorité et la primauté » du TNP... à jamais.
Deux poids, deux mesures
Les États-Unis et l’OTAN antagonisent de plus en plus la Russie et la Chine dans une nouvelle guerre froide qui accroit les risques de l’utilisation volontaire ou accidentelle des armes nucléaires.
Il est frappant de voir – autant dans le discours des États-Unis et de l’OTAN sur le désarmement nucléaire que dans leur discours face aux menaces que représenteraient la Russie et la Chine – que les arguments sont sans possible réciprocité. Ainsi, on affirme que les armes nucléaires sont indispensables à NOTRE sécurité, mais qu’il est totalement inacceptable que d’autres pays en acquièrent. On décrète que la présence de l’armée russe à la frontière ukrainienne est menaçante. Mais qu’en est-il de la présence militaire et des grands exercices de l’OTAN aux portes de la Russie, alors même qu’on lui avait donné l’assurance, par le passé, que cela ne se produirait jamais ?
Quand ce qui est bon pour nous n’est pas permis aux autres, il n’y a pas d’ordre international équitable. Il y a plutôt la loi du plus fort. Rappelons qu’au chapitre des dépenses militaires, les États-Unis, à eux seuls, sont responsables de 39 % du total mondial, presque autant que les 12 pays suivants pris ensemble dans le classement du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI). Évidemment, dans leur cas, c’est pour le bien. Ce sont les armes des autres qui sont menaçantes !
L’urgence d’agir
Face à cette spirale menaçante, nous devons exiger que le Canada rompe avec la rhétorique de nouvelle guerre froide lancée par les États-Unis contre la Chine et la Russie, qu’il cesse de jeter de l’huile sur le feu par ses déclarations et ses déploiements militaires. Et pour contribuer à amoindrir le péril nucléaire, le Canada doit cesser de défendre la politique nucléaire de l’OTAN et s’engager à signer et ratifier le TIAN.
En septembre 2020, 56 anciens premiers ministres, ministres de la Défense ou des Affaires étrangères de 20 pays membres de l’OTAN (dont le Canada), du Japon et de la Corée du Sud ont appelé les dirigeants actuels de leurs pays à « faire preuve de courage et d’audace » et à signer et ratifier le TIAN. Parmi les signataires figuraient les Canadiens Jean Chrétien, Lloyd Axworthy, John Manley, Bill Graham et Jean-Jacques Blais.
Que ce soit sur l’OTAN, les armes nucléaires, la Russie ou la Chine, la politique étrangère du Canada est plus que jamais calquée sur celle des États-Unis. Trudeau, Joly et Anand signeront peut-être eux aussi une lettre « courageuse » dans une dizaine d’années... quand ils ne seront plus en position d’agir dans le sens de leur appel.
Tout comme pour l’urgence climatique, c’est à nous, citoyennes et citoyens, de faire pression sur les élu.e.s maintenant pour qu’ils posent les gestes nécessaires face au péril nucléaire.
Judith Berlyn
Martine Eloy
Raymond Legault
Suzanne Loiselle
pour le Collectif Échec à la guerre
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