Édition du 5 novembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Toute accusation est un aveu : Israël et le double mensonge des « boucliers humains ».

De nombreux rapports d’organismes de défense des droits de l’homme montrent que les groupes armés palestiniens n’utilisent pas de boucliers humains, mais qu’Israël le fait. Les fausses allégations d’Israël sur les boucliers humains palestiniens ne sont que des tentatives pour justifier son propre ciblage des civil·es.

Tiré de l’Agence Média Palestine
21 septembre 2024

Par Craig Mokhiber

Un Palestinien blessé attaché à l’avant d’un véhicule militaire israélien et l’utilise comme bouclier humain, Jénine, 22 juin 2024. (Photo : Social Media)

La prétendue pratique des « boucliers humains » est l’un des arguments les plus fréquemment déployées dans l’arsenal de la hasbara israélienne.

Depuis des décennies, Israël utilise systématiquement ce ressort de propagande pour justifier ses crimes de guerre, rejeter la responsabilité de ses crimes sur d’autres, contourner le principe de distinction du droit humanitaire, déshumaniser les victimes palestiniennes et armer ses mandataires occidentaux et les médias complices de munitions pour protéger l’impunité israélienne.

Mais une série d’enquêtes internationales révèle deux conclusions claires sur ces accusations :
Premièrement, les groupes armés palestiniens n’utilisent généralement pas de boucliers humains.
Et, deuxièmement, Israël le fait.

Le droit international

L’expression « boucliers humains » désigne une violation particulière du droit international humanitaire et des droits de l’homme. Cette pratique est strictement interdite en toutes circonstances.

Comme le résume le commentaire du CICR, qui fait autorité en la matière, il s’agit du « regroupement intentionnel d’objectifs militaires et de civil·es ou de personnes hors de combat dans l’intention spécifique de tenter d’empêcher que ces objectifs militaires soient pris pour cible ». (« Les personnes hors de combat » comprennent les combattant·es qui ont déposé les armes, les prisonnier·es, les malades et les blessé·es, etc.)

Le cas classique est celui où un groupe de soldat·es force des civil·es de l’autre camp à marcher devant elles et eux dans une zone de combat ou dans une structure non sécurisée, dans l’espoir que l’ennemi ne tirera pas sur les soldat·es de peur d’atteindre les civil·es.

Mais Israël, avec son allégation systématique de « boucliers humains » chaque fois qu’il tue un grand nombre de civil·es et détruit des infrastructures civiles protégées, ne tient pas compte de cette définition. Au lieu de cela, il étend simplement la phrase à tous les décès de civil·es. Sans preuve, les politicien·nes occidentales·aux complices, leurs porte-parole officiel·les et les médias répètent consciencieusement le mantra d’Israël, encore et encore, du bouclier humain.

Pour Israël, les réfugié·es qui vaquent à leurs occupations quotidiennes dans les camps de réfugiés, les patient·es et les médecins dans les hôpitaux, les personnes qui prient dans les églises et les mosquées, et les travailleur·euses humanitaires qui distribuent de la nourriture aux affamé·es sont tous·tes des boucliers humains.

Peu importe qu’elles et ils n’aient pas été contraint·es par le Hamas et qu’elles et ils ne se soient pas porté·es volontaires pour protéger qui que ce soit ni quoi que ce soit. Et peu importe qu’il n’y ait souvent aucun objectif militaire légitime (ou proportionné) dans les situations où Israël invoque les boucliers humains.

Si ces civil·es sont tués par des bombes ou des balles israéliennes, selon le récit israélien, c’est de leur propre faute ou de celle du Hamas, parce qu’elles et ils vivent dans les mêmes endroits densément peuplés.

Mais la simple présence de forces armées ou de membres de l’ennemi dans des zones civiles peuplées ne constitue pas l’utilisation de boucliers humains. Par ailleurs, Israël devrait examiner attentivement les implications de ses propres affirmations, étant donné qu’il maintient son quartier général militaire dans un quartier animé de la ville de Tel-Aviv.

La présence de combattant·es dans un lieu civil protégé ne supprime pas non plus le statut de protection de ce lieu. On peut voir des soldat·es israélien·nes dans tous les hôpitaux israéliens. Cela fait-il de ces hôpitaux une cible militaire légitime ? Bien sûr que non. Refuser la même protection aux Palestinien·nes constitue à la fois une grave violation du droit humanitaire et (que les journalistes occidentales·aux prennent note) un acte de racisme flagrant.

Il va sans dire que ce n’est pas ainsi que fonctionne le concept de bouclier humain dans le droit international.
En prétendant que c’est le cas, Israël et ses mandataires occidentaux ignorent volontairement trois éléments gênants : La logique, les faits et le droit.

La pratique d’Israël de ciblage les civil·es

Tout d’abord, l’acceptation de ces affirmations exige que les mandataires souples d’Israël en Occident ignorent des décennies d’expérience et de nombreux éléments de preuve recueillis selon lesquels Israël ne fait souvent aucune distinction entre les civil·es et les combattant·es dans ses activités militaires et, dans de nombreux autres cas, prend directement pour cible les civil·es et les infrastructures civiles.

Israël attaque régulièrement des hôpitaux, des écoles, des abris et des camps de réfugié·es. Ses tireur·ses d’élite et ses drones traquent et exécutent les civil·es. Ses armes guidées par l’intelligence artificielle, qui portent des noms cruels tels que « Où est papa », sont conçues pour attendre que les cibles soient chez elles avec leur famille avant de les bombarder. Elles abattent même des civil·es brandissant des drapeaux blancs, y compris des enfants et des femmes. Ces pratiques criminelles sont bien connues et bien documentées par les enquêtes successives des Nations unies et des organisations internationales, israéliennes et palestiniennes de défense des droits de l’homme.

Mais la logique même des boucliers humains repose sur l’idée de dissuasion, c’est-à-dire que les soldat·es hésiteront à tirer si des civil·es sont en danger. Une telle logique n’existe pas avec une force militaire comme celle d’Israël qui ne fait pas de distinction entre les civil·es et les combattant·es et qui pratique régulièrement le ciblage direct des civil·es.

En effet,la doctrine israélienne Dahiya, sur la base de laquelle Israël procède depuis longtemps à la destruction massive et intentionnelle de zones civiles afin de terroriser les populations civiles, est la preuve qu’Israël ne peut être dissuadé par l’utilisation de boucliers humains palestiniens ou libanais. La vague actuelle de génocide perpétrée par Israël à Gaza ne laisse aucun doute sur sa volonté de tuer intentionnellement et sans hésitation des civil·es palestinien·nes. La directive Hannibal, en vertu de laquelle Israël tue ses propres citoyen·nes (soldats et civil·es) pour les empêcher d’entraver ses objectifs militaires, signifie qu’il ne sera peut-être même pas dissuadé par l’utilisation d’un bouclier humain composé de ses propres citoyens.

Étant donné que les groupes qui contestent Israël en sont parfaitement conscientes, pourquoi essaieraient-elles d’utiliser une tactique qu’elles savent inutile ? La réponse est qu’elles ne le font pas. Ainsi, l’accusation de boucliers humains ne résiste pas à l’épreuve de la logique.

Mais elle échoue également au test de la loi. Tout d’abord, les situations dans lesquelles Israël prétend que des boucliers humains sont utilisés ne peuvent pas être considérées comme des cas de boucliers humains selon la définition juridique internationale décrite ci-dessus. En clair, et comme cette définition l’indique clairement, la simple présence de combattant·es à proximité ne transforme pas magiquement les civil·es en boucliers humains.

Par conséquent, l’accusation d’Israël concernant les boucliers humains n’a généralement aucun fondement juridique.

Deuxièmement, Israël allègue l’existence de boucliers humains pour tenter de retirer la responsabilité de ses forces et de les exonérer de toute responsabilité juridique. Mais ce qui leur échappe, c’est que même si des boucliers humains étaient utilisés, cela ne réduirait pas les obligations légales des attaquant·es.

En fait, les allégations d’utilisation de boucliers humains ne justifient pas une attaque contre des civil·es sans les contraintes imposées par le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, et l’attaquant reste responsable, même si l’utilisateur des boucliers humains l’est également.

L’attaquant doit toujours respecter les principes de précaution, de distinction et de proportionnalité pour éviter de blesser des non-combattant·es. En d’autres termes, la déclaration de boucliers humains n’est pas une excuse applicable en vertu du droit international.

Par conséquent, en droit, même en présence de boucliers humains, la tentative de rejeter la faute sur le tireur et de l’exonérer de toute responsabilité échoue.

Les Palestinien·nes n’utilisent pas de « boucliers humains », mais Israël le fait

Et puis il y a l’épineux problème des faits.

Israël n’a produit, lors de ses attaques récentes et en cours contre Gaza, aucune preuve crédible de l’utilisation de boucliers humains par les palestinien·nes. Il s’appuie au contraire sur la répétition par cœur et sans esprit critique de cette accusation par ses soutiens et mandataires occidentales·aux et par les sociétés de médias favorables à Israël.

Cela ne veut pas dire qu’aucun·e combattant·e palestinien·ne n’a jamais utilisé de boucliers humains dans l’histoire. Mais l’accusation selon laquelle elles et ils le font régulièrement ou systématiquement est une accusation sans preuve, et une accusation régulièrement brandie non pas pour demander des comptes aux contrevenant·es, mais plutôt pour justifier la perpétration de crimes de guerre israéliens.

Dans le même temps, nous avons tous vu les vidéosde soldat·es israélien·nes utilisant des Palestinien·nes comme boucliers humains à Gaza (et en Cisjordanie). Nous avons vu de nos propres yeux des images de Palestinien·nes (souvent des enfants) attaché·es au capot de jeeps militaires israéliennes, forcé·es de marcher devant une colonne de soldat·es israélien·nes ou de conduire les soldat·es dans des bâtiments ou d’autres structures. Cette pratique est aussi ancienne que l’État d’Israël lui-même.

Lors de chaque attaque israélienne successive contre des communautés palestiniennes, le schéma est le même : Israël accuse les Palestinien·nes d’utiliser des boucliers humains, les organisations internationales et les groupes de défense des droits de l’homme enquêtent, et les enquêtes révèlent que la partie qui utilise systématiquement des boucliers humains n’est pas la Palestine, mais Israël.

En effet, le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem a documentél’utilisation répétée par Israël de boucliers humains au moins depuis 1967. Les enquêtes menées par Amnesty International et Human Rights Watch sur les attaques menées par Israël dans le cadre de l’opération « Plomb durci » à Gaza ont montré qu’Israël avait utilisé des boucliers humains (y compris des enfants), mais n’ont trouvé aucune preuve que des groupes palestiniens l’avaient fait.

De même, les commissions d’enquête des Nations unies qui ont enquêté sur les attaques israéliennes massives contre Gaza en 2008-2009 et en 2014 ont examiné les affirmations d’Israël et n’ont trouvé aucune preuve de l’utilisation de boucliers humains par les Palestiniens. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a constaté « l’utilisation continue (par Israël) d’enfants palestinien·nes comme boucliers humains » entre 2010 et 2013. Le rapporteur spécial des Nations unies sur le terrorisme a fait le même constat.

L’enquête d’Amnesty International sur les attaques israéliennes « Plomb durci » fait état d’une constatation typique : « Dans plusieurs cas, les soldat·es israélien·nes ont également utilisé des enfants palestinien·nes comme boucliers humains ». Cependant, contrairement aux allégations répétées des responsables israéliens concernant l’utilisation de « boucliers humains », Amnesty International n’a trouvé aucune preuve que le Hamas ou d’autres combattant·es palestinien·nes aient agi de la sorte.

Et dans le rapport sur les « meurtres sous drapeau blanc » de civils palestiniens, Human Rights Watch a confirmé qu’« Israël affirme que le Hamas a combattu à partir de zones peuplées et a utilisé des civils comme “boucliers humains” — c’est-à-dire qu’il a délibérément utilisé des civils pour dissuader les attaques contre les forces palestiniennes… Human Rights Watch n’a trouvé aucune preuve que les victimes civiles (dans son enquête) ont été utilisées par les combattant·es palestinien·nes comme boucliers humains ».

Mais la pratique israélienne de l’utilisation de boucliers humains est de notoriété publique en Israël et fait depuis longtemps l’objet d’un débat public. Des soldat·es israélien·nes, s’adressant à l’organisation israélienne Breaking the Silence, ont eux-mêmes avouécette pratique répandue. Les médias israéliens en ont fait état, notamment dans un article paru le mois dernier dans Haaretz. L’armée israélienne a même défendu publiquement son « droit » à utiliser des boucliers humains dans des procès israéliens successifs. Bien entendu, les cas où elle a perdu son argumentaire n’ont eu que peu d’impact sur l’armée, qui continue la pratique jusqu’à aujourd’hui.

Ainsi, les tactiques de désinformation de la hasbara israélienne ont constitué un pilier important de sa stratégie de destruction de Gaza depuis le début de la vague actuelle de génocide à Gaza, il y a près d’un an. Les fausses accusations de bouclier humain ont été la clé de ces tactiques.

Mais cette tromperie s’effondre même après un examen superficiel. Si les politicien·nes et les journalistes occidentales·aux faisaient preuve d’un minimum de diligence avant de répéter les affirmations israéliennes, si elles et ils les soumettaient aux tests du droit, des faits et de la logique, la vérité serait rapidement révélée. La partie qui utilise régulièrement des boucliers humains est Israël, pas la Palestine.

Un adage veut que dans le discours public sur la Palestine, « chaque accusation israélienne est un aveu ». Le double mensonge des boucliers humains en est un exemple.

Craig Mokhiber est un avocat international spécialisé dans les droits de l’homme et un ancien haut fonctionnaire des Nations unies. Il a quitté l’ONU en octobre 2023, après avoir rédigé une lettre ouverte mettant en garde contre un génocide à Gaza, critiquant la réaction internationale et appelant à une nouvelle approche de la Palestine et d’Israël fondée sur l’égalité, les droits de l’homme et le droit international.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine

Source  : Mondoweiss

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