25 mai 2022 | tiré de mediapart.fr
Une ambiance surréaliste a régné sur l’assemblée générale de Total en ce mercredi 25 mai. Et pour cause, dès le matin, 250 activistes climatiques ont bloqué l’accès à la salle Pleyel (Paris) où se tenait cette grand-messe actionnariale. Les militant·es ont réclamé « des engagements concrets et immédiats » de Patrick Pouyanné, le PDG du groupe, sur le retrait de Total de Russie et la fin de tout nouveau projet d’énergies fossiles.
C’est donc devant une salle presque vide et sous des applaudissements timides que le patron de la compagnie pétro-gazière a inauguré l’assemblée générale qu’il a qualifiée de « moment de démocratie actionnariale auquel Total est attaché ».
Capture d’écran de l’assemblée générale de Total du 25 mai 2022. © Total
Dans la foulée, Jean-Pierre Sbraire, le directeur financier de la firme, s’est félicité de l’année 2021 qui a vu un « fort rebond de la demande de pétrole et de gaz, avec des niveaux de prix élevés », conséquence, entre autres, de « phénomènes météorologiques ». Et de se réjouir : « Nous avons su tirer pleinement parti de cet environnement favorable. »
Dans cet étrange huis clos, le « monsieur Finance » de Total a ensuite déroulé des slides affichant les profits astronomiques de la compagnie fossile – 14,2 milliards d’euros en 2021, un record pour une entreprise française. Pour chacun d’entre eux, Jean-Pierre Sbraire a expliqué en quoi le pétrole était un produit qui permettra de « financer la transformation énergétique du groupe » ou encore pourquoi le gaz fossile était le moteur de la croissance de Total.
Un avis consultatif au service du greenwashing
Après cet exercice comptable promettant 7 milliards d’euros aux actionnaires du groupe, Marie-Christine Coisne-Roquette, du conseil d’administration, a enchaîné : « Le débat sur le climat et la transition énergétique amène nombre d’injonctions contradictoires. Certains aimeraient un arrêt brutal du pétrole, mais ce n’est ni possible, ni souhaitable. Il faut trouver le juste équilibre, et notre stratégie s’inscrit dans la durée. »
La question climatique a en effet vite été un des sujets centraux de cette assemblée : pour la seconde année consécutive, Total a sollicité l’avis consultatif de ses actionnaires sur sa stratégie climat. Une pratique de plus en plus popularisée par les majors et baptisée « Say on Climate ».
Mais comme l’indique Lucie Pinson, directrice de l’ONG Reclaim Finance : « Ce concept a malheureusement été dévoyé au service de la stratégie de greenwashing des entreprises, avec la complicité d’une majorité d’investisseurs. » En effet, le plan climat présenté cette année par Total, s’il vise la neutralité carbone d’ici à 2050, demeure incompatible avec l’objectif de freiner le réchauffement à 1,5 °C.
Les seuls projets gaziers et pétroliers que Total envisage d’entériner d’ici à 2025 représentent l’équivalent de 18 centrales à charbon.
En contradiction avec l’Agence internationale de l’énergie qui exhorte à la fin immédiate de tout investissement dans les énergies fossiles pour respecter l’accord de Paris, Total prévoit d’allouer 70 % de ses dépenses d’investissement dans le gaz et le pétrole, y compris pour développer de nouveaux projets.
Les seuls projets gaziers et pétroliers que Total envisage d’entériner d’ici à 2025 représentent l’équivalent de 18 centrales à charbon. La compagnie est ainsi le premier développeur d’hydrocarbures en Europe et le septième au monde.
Par ailleurs, la coalition Climate Action 100+, qui regroupe plus de 700 investisseurs incarnant 68 000 milliards de dollars d’actifs, a produit récemment une étude concluant que la stratégie climatique de Total ne satisfait que trois des dix critères qu’elle juge indispensables pour un plan de transition complet aligné sur 1,5 °C.
Quant à l’ONG Oil Change International, elle vient de publier un rapport sur les majors où elle épingle tout particulièrement Total en tant que multinationale pétro-gazière qui émettra le plus de CO2 entre 2022 et 2025 du fait des nouveaux investissements qu’elle approuvera sur cette période. L’association indique que le plan climat du groupe « se traduira par une croissance totale de la production et des ventes de pétrole et de gaz jusqu’à 2030 ».
Une fronde étouffée dans l’œuf
Comme l’an dernier, face à ce faux plan climat présenté par Total, une poignée d’actionnaires a tenté de se rebeller. En vain.
Un groupe d’une douzaine d’investisseurs et d’investisseuses, dont les gestionnaires d’actifs français Meeschaert et OFI, a proposé notamment d’établir un mécanisme de consultation annuelle des actionnaires sur la base de critères climatiques détaillés. En réponse, Total s’est engagé entre autres à publier des objectifs de réduction de rejets de gaz à effet de serre d’ici à 2025 et 2030.
Une autre résolution, déposée par onze actionnaires internationaux, demandait à Total de s’aligner clairement sur l’accord de Paris. Mais celle-ci a été balayée d’un revers de main par la multinationale.
Résultat : l’exercice de « démocratie actionnariale » si cher à Patrick Pouyanné s’est résumé par un vote à 89 % de l’illusoire plan climat de Total par ses actionnaires. L’année précédente, la stratégie climatique du groupe avait été adoptée à 92 %. « Cette approbation massive du pseudo-plan climat de TotalEnergies enterre définitivement la crédibilité des “Say on Climate” », a lâché en réaction au vote Lucie Pinson de Reclaim Finance.
Cynisme fossile
Le PDG de Total a aussi durant l’assemblé longuement disserté sur la présence controversée de la firme en Russie. Patrick Pouyanné a d’abord insisté sur sa « condamnation la plus ferme de l’agression russe en Ukraine », arguant que le groupe a déjà versé « 10 millions d’euros en soutien aux Ukrainiens ».
C’est que, malgré le conflit, Total poursuit ses activités gazières en Russie. 30 % de la production de gaz de Total y est réalisée via des participations capitalistiques dans la firme gazière russe Novatek (19,4 %), le site gazier de Yamal LNG (20 %) et le champ gazier de Termokarstovoye (49 %). Mais le boss de la compagnie tricolore s’est justifié en disant qu’il ne s’agissait là que d’« activités indirectes » qui respectaient les sanctions émises par l’Union européenne contre Moscou.
« Patrick Pouyanné a choisi de mettre le gaz russe au centre de la stratégie de Total. Résultat, la major dépend fortement de la Russie, et préfère aujourd’hui prendre le risque de financer la guerre de Vladimir Poutine plutôt que de faire machine arrière, fulmine Edina Ifticene, chargée de campagne pétrole et gaz à Greenpeace France. Pour Total, les profits passent donc avant l’éthique. C’est scandaleux. »
Le patron de Total s’est aussi épanché sur le mégaprojet pétrolier du groupe en Ouganda qui doit voir le jour à l’horizon 2025. La compagnie française prévoit de forer 400 puits pétroliers en bordure d’un des plus grands lacs d’Afrique et de construire un oléoduc de 1 445 kilomètres jusqu’au littoral tanzanien, le East African Crude Oil Pipeline (EACOP). Il s’agira du plus long pipeline chauffé et enterré au monde.
Mais Patrick Pouyanné l’a assuré : « C’est un engagement exemplaire en matière de développement durable », permettant de « créer de la valeur pour les communautés locales ».
« Nous allons proposer aux médias d’aller à la rencontre des populations [...] l’immense majorité est favorable au projet », a ajouté le dirigeant, passant sous silence que, là-bas, lesopposant·es aux velléités fossiles de Total sont menacé·es et arrêté·es, et que plus de 100 000 personnes ont été expropriées de leurs terres avant même de recevoir une compensation.
Durant cette assemblée générale, « le groupe français a poussé le cynisme jusqu’à brandir d’une main un “plan climat” insignifiant, tout en multipliant de l’autre les projets monumentaux de pétrole et gaz, conclut Lorette Philippot, chargée de campagne finance et énergies fossiles aux Amis de la Terre. Alors que l’humanité est en ce moment même confrontée à des vagues de chaleur mortelles et qu’il nous faudrait agir immédiatement pour espérer garder une planète vivable pour toutes et tous, Total nous promet le pire ».
Mickaël Correia
Un message, un commentaire ?