Édition du 18 juin 2024

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Planète

Extraits

Total face au réchauffement climatique (1968-2021)

"Total savait et Total n’a rien fait, sinon fabriquer du doute. En écho au récent coup de tonnerre scientifique et médiatique sur l’attitude délétère de la multinationale face au changement climatique", nous publions un court extrait de l’étude publié sur le site Terrestres.org sur l’histoire des rapports de la compagnie TOTAL aux changements climatiques.

26 octobre 2021 | tiré sur site terrestres.org
https://www.terrestres.org/2021/10/26/total-face-au-rechauffement-climatique-1968-2021/ - lien pour lire l’intégralité de l’étude de plus de 90 pages abondamment illustrée.

Quatrième multinationale pétrolière au monde et l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre de la planète, Total nous promet aujourd’hui de devenir vert tout en augmentant d’un tiers sa production de gaz d’ici 2030. Un article paru le 19 octobre dans la revue Global Environmental Change démontre que cette entreprise était informée de l’enjeu de l’effet de serre depuis au moins 1971.

Ayant ensuite acquis vers 1984-1986 la certitude des bouleversements climatiques à venir, Elf et Total — regroupés depuis 1999 dans ce qui se nomme aujourd’hui TotalEnergies — ont pourtant participé, aux côtés d’Exxon, à la fabrique du doute et bloqué entre 1988 et 1994 les premières velléités de régulation politique des émissions. Après cette phase de fabrique du mensonge climatique, TotalEnergies a organisé son irresponsabilité par de nouvelles tactiques allant des marchés du carbone aux engagements volontaires dérisoires, des promesses technologiques de capture du carbone au greenwashing. Les historien·nes de 2040 estimeront sans doute qu’il s’agissait là aussi de violents mensonges climatiques.


Résumé

Dans le sillage de travaux récents sur d’autres grandes entreprises de combustibles fossiles, nous présentons de nouvelles recherches sur archives, sources primaires et entretiens décrivant la façon dont Total [et Elf avec qui la fusion s’est opérée en 1999] a répondu aux évolutions des savoirs scientifiques et des politiques climatiques depuis 50 ans. Nous montrons que le personnel de Total a été alerté dès 1971 sur l’impact potentiellement catastrophique de ses produits sur le réchauffement climatique, qu’il a été plus pleinement informé sur la question dans les années 1980, qu’il a commencé à entretenir le doute sur la base scientifique du réchauffement climatique à la fin des années 1980 et qu’il a finalement adopté une position à la fin des années 1990 consistant à accepter publiquement la science du climat tout en œuvrant à retarder des décisions ou en promouvant des actions périphériques au contrôle des combustibles fossiles.

Nous montrons également qu’Exxon, par le biais de l’International Petroleum Industry Environmental Conservation Association (IPIECA), a coordonné une campagne internationale visant à contester la science du climat et à affaiblir la politique climatique internationale et ce dès les années 1980. Il s’agit de l’une des premières études longitudinales sur les réactions d’une major pétrolière face au réchauffement climatique, décrivant les phases de prise de conscience, de préparation, de déni et de retardement.

CONCLUSION

Nous avons documenté un demi-siècle de réactions évolutives de Total [et Elf] face au réchauffement climatique. En 1971, l’entreprise publie des alertes scientifiques sur le changement climatique, mais le sujet est mis en sourdine dans la sphère publique durant le reste de la décennie. Au milieu des années 1980, la question de l’enjeu climatique remonte au premier plan des préoccupations stratégiques des majors pétrolières globales, et Exxon, à travers l’IPIECA, dirige les efforts d’organisation internationale des compagnies pétrolières pour contester les sciences du climat et freiner les régulations pour réduire les émissions des énergies fossiles. Les entreprises françaises Total et Elf [l’une privée mais détenue au tiers par l’État, l’autre société publique] commencent alors chacune à mettre en avant les « incertitudes » des sciences du climat dans leur communication mais aussi avec les autres Majors dans les arènes internationales au travers de l’IPIECA, et vont développer un lobbying efficace contre les premières tentatives de politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Parallèlement, Elf et Total cherchent à acquérir une crédibilité environnementale au travers d’engagements volontaires, de mécénat et de communication verte.

Vers la fin des années 1990, Elf et Total se distancient de la stratégie de contestation ouverte du consensus scientifique sur le changement climatique [poursuivie encore plusieurs années notamment par Exxon], mais continuent d’intensifier leurs investissements dans la production de pétrole et de gaz (secteur amont) et de mobiliser des stratégies rhétoriques pour invoquer l’incertitude, minimiser l’urgence climatique et éluder les questions autour des combustibles fossiles comme cause principale du réchauffement climatique. Vers le milieu des années 2000, l’entité fusionnée Total intensifie ses efforts pour reconquérir de la crédibilité scientifique ; le groupe fait déclaration d’allégeance au GIEC et organise une conférence sur le changement climatique. Il promeut une répartition des rôles entre le monde de la science et celui des affaires, où la science décrit le changement climatique et les entreprises seraient les porteuses de solutions, ce qui lui permet de revendiquer sa légitimité pour définir les politiques appropriées, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Ce cadre permet à Total de se présenter comme une entreprise pétrolière socialement responsable et de draper ses investissements structurels dans la poursuite de la production de combustibles fossiles dans un récit positif sur la « transition énergétique ».

Notre étude se situe au carrefour de l’histoire environnementale et de l’histoire des entreprises, et contribue au champ de l’agnotologie, l’étude de la production culturelle de l’ignorance ou du doute. De nombreux observateurs des politiques du changement climatique ont décrit les relations à la science selon un prisme dichotomique de l’acceptation ou du déni, l’histoire de Total [et Elf] met en lumière de multiples nuances et de multiples facettes des positionnements par rapport aux savoirs climatiques, tels que l’allégeance publique au consensus scientifique tout en détournant l’attention de la responsabilité des produits fossiles. L’examen de ces postures multidimensionnelles pourrait aider à comprendre les réactions historiques des entreprises face au réchauffement climatique, mais aussi les jeux d’acteurs d’aujourd’hui.

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