Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Planète

Les GES ne plafonnent pas mais croissent à un taux croissant

Contre la bourgeoisie suicidaire le mouvement écologiste s’unifie

Régulièrement les grands médias annoncent le plafonnement ou la baisse des émanations des gaz à effet de serre (GES), La Presse pour le Canada, le Washington Post pour la Chine, The Economist pour l’Europe, le New York Times pour le monde. Et pourtant il n’en est rien.

Cette baisse ou ce plafonnement ou tout simplement une décélération de la hausse du CO2, le principal GES, on ne la voit pas quand on examine l’évolution de l’étalon de mesure par excellence soit celle de l’observatoire de Mauna Loa à Hawaï qui enregistre la densité du CO2 depuis 1958. Au XXIe siècle, la réalité a plutôt été une accélération du taux de croissance de chaque décennie (ligne noire). La baisse du taux de croissance des premières années de la présente décennie s’explique par l’effet de la pandémie. Mais le record de 2023 vient effacer toute illusion :

Source : Trends in CO2, Global Monitoring Laboratory, Earth System Research Laboratories, NOAA

Est-ce que les autres GES compenseraient ? Le taux de croissance du méthane, même en baisse annuelle depuis le début de la présente décennie, reste en moyenne pour le début de celle-ci le plus élevé depuis la décennie 1980 :

Source :Annual Increase in Globally-Averaged Atmospheric Methane, Global Monitaring Laboratory, NOAA

Quant aux émissions d’oxyde nitreux atmosphérique et de l’hexafluorure de soufre atmosphérique, les deux autres GES en importance, elles sont tendanciellement en nette croissance depuis l’an 2000 :

Source : Annual Increase in Globally-Averaged Atmospheric Nitrous Oxide and Atmospheric Sulfur Hexafluoride, Global Monitoring Laboratory, NOAA

Ce mensonge systématique — en comparaison, les « fake news » de l’extrêmedroite sont de la petite bière — est propagé par les grands médias et corroboré par les grandes gueules de ce monde, intellectuels organiques du capitalisme.

L’embêtant pour leur politique de communication c’est que les démocraties parlementaires qui s’accrochent vaille que vaille aux droits fondamentaux n’ont pas encore réussi à faire taire leurs scientifiques. Ce n’est pas pour avoir tenté de le faire tel le canadien gouvernement Harper ultra-conservateur qui en plus a saboté le recensement de 2011. On imagine ce que font ou pourraient faire les démocraties dite illébérales et les régimes carrément dictatoriaux qui commencent à être légion. Une présidence Trump, encore plus déterminée que ne l’était le gouvernement Harper, ne pourrait-elle trouver le moyen de faire taire les scientifiques de l’observatoire de Mauna Loa ?

Feux de forêt et guerres en rajoutent à la « fake news » du plafonnement des GES

Cependant, s’il est difficile de faire mentir les données provenant directement d’une lecture instrumentale de la densité des gaz atmosphériques, il n’en est pas de même pour celles provenant des émanations à la source soit celles colligées en grande partie par les entreprises elles-mêmes souvent sans supervision selon des méthodologies variées puis regroupées par les gouvernements, dont l’intérêt est de les minimiser, et enfin centralisées à l’ONU. Évidemment, ces données restent essentielles car elle sont les seules à pouvoir être distribuées par pays et par secteurs. Mais elles ne passent pas le test de la comparaison des grands totaux mondiaux par type de gaz dont l’arbitre est la croissance de la température terrestre qui ne décélère pas et est peut-être en accélération si l’on se fie à l’année 2023 :

Selon Copernicus, «  la température mondiale moyenne sur les 12 derniers mois (juin 2023-mai 2024) est la plus élevée jamais enregistrée » soit « 1,63 °C au-dessus de la moyenne préindustrielle de 1850-1900 » nettement au-dessus du 1.5°C. Alors, qui ment effrontément ? Le mensonge ne provient pas seulement de données tordues mais aussi d’émanations de GES non rapportées qui sont de plus en plus substantielles. L’an dernier, selon la chronique Down to Earth du 13 juin 2024 de The Guardian, « les incendies dévastateurs ont émis environ 6,5 milliards de tonnes de dioxyde de carbone, annulant les efforts de lutte contre les émissions… » soit 17% des émanations officiellement rapportées de CO2 » pour 2023. L’année en cours est mal partie avec des incendies dévastateurs en Méditerranée et qui débutent en Californie.

Les guerres en rajoutent. Selon The Guardian,

[l]e coût climatique des deux premières années de la guerre de la Russie contre l’Ukraine est supérieur aux émissions annuelles de gaz à effet de serre produites individuellement par 175 pays… […] L’invasion russe a généré au moins 175 millions de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (tCO2e), en raison de l’augmentation des émissions dues à la guerre directe, aux incendies de paysages, aux vols détournés, aux migrations forcées et aux fuites causées par les attaques militaires sur les infrastructures de combustibles fossiles, ainsi que du coût futur de la reconstruction en termes de carbone. […] Cela équivaut à faire rouler 90 millions de voitures à essence pendant une année entière - et c’est plus que le total des émissions générées individuellement par des pays comme les Pays-Bas, le Venezuela et le Koweït en 2022.

Les émanations de GES de la guerre-massacre contre Gaza durant les 120 premiers jours dont 30% proviennent des avions cargo étatsuniens connus pour avoir transporté des bombes, des munitions et d’autres fournitures militaires vers Israël, toujours selon un autre article du Guardian, ont été équivalentes à celles annuelles d’un micro-état comme le Vanuatu sans prendre en compte la reconstruction :

Le coût en carbone de la reconstruction de Gaza sera supérieur aux émissions annuelles de gaz à effet de serre générées individuellement par 135 pays. […] Historiquement, les gouvernements ont mal pris en compte le coût climatique de la guerre et, plus largement, du complexe militaro-industriel. […] Dans l’ensemble, les conséquences de la guerre et de l’occupation sur le climat sont mal connues. Grâce en grande partie à la pression exercée par les États-Unis, la déclaration des émissions militaires est volontaire, et seuls quatre pays soumettent des données incomplètes à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

On peut se consoler, au moins pour les émanations de méthane, grâce au développement récent des satellites en mesure de détecter le pot aux roses des grands émetteurs qui ne peuvent plus se cacher :

Source : The European Space Agency

La grande bourgeoisie fonce droit devant jusqu’à l’absurde réactionnaire

À qui et pourquoi cette gargantuesque « fake news » globale et durable peut-elle être utile ? Évidemment à ce 1%, cette grande bourgeoisie, s’appuyant sur la moyenne bourgeoisie du 9%, qui mène l’économie à la tête de quelques centaines de transnationales, dont le noyau stratégique financier de quelques dizaines « too big to fail », quelques centaines de grandes universités et think-tanks et une dizaine de gouvernements-clefs. Contraints par la loi d’airain de la compétition entre capitaux qui pousse à la centralisation-concentration des entreprises et son corollaire au niveau de la hiérarchie des États, ce 1% n’en a que pour la maximisation des profits et la puissance dominatrice des États jusqu’à la guerre.

Pour le reste c’est « Après moi, le déluge ».

« L’industrie mondiale du pétrole et du gaz a engrangé environ 4 000 milliards de dollars de bénéfices en 2022, contre une moyenne de 1 500 milliards de dollars ces dernières années. Le secteur pourrait dépenser cet argent de bien des manières, mais jusqu’à présent, les entreprises semblent vouloir rembourser leurs dettes et reverser une bonne partie de ces bénéfices à leurs actionnaires. » Au Canada, ces superprofits n’ont pas empêché Shell de gagner« plus de 200 millions de dollars en vendant des crédits carbone pour des réductions qui n’ont jamais eu lieu, le tout en faisant du lobbying contre les réglementations visant à plafonner les émissions. » Quant aux cinq grandes banques canadiennes, selon Greenpeace, elles « continuent à injecter plus de 100 milliards de dollars par an dans les combustibles fossiles… ».

Si le gouvernement canadien ne cesse de tergiverser à propos du contrôle des émanations de l’industrie pétrolière au point d’en être ridicule, il n’hésite pas une seconde à se conformer aux ordres des ÉU et de l’OTAN eu égard au niveau de son budget militaire. Faut-il pleurer ou rire des frasques de la CAQ à propos du troisième lien, scandale écologique doublé d’absurdité économique drapé par l’empoisonneuse sécurité qui fait avaler une dose léthale de racisme et de sexisme à une populace figée par la peur, ce pour quoi la CAQ est passé maître avec le PQ pas loin derrière. Jusqu’au soi-disant progressiste Projet-Montréal qui déroule le tapis rouge à l’archi-polluante Formule 1, dans tous les sens du mot, occasion d’enrichissement autant pour la transnationale responsable que pour les petits commerces, au point de devoir s’auto-humilier parce que la pluie abondante a gâché la fête.

La grande « fake news » du soi-disant progrès de la lutte climatique sert à perpétuer le train-train capitaliste de l’absurde petite politique politicienne jusqu’au risque d’une troisième guerre mondiale dont le terrain est labouré par deux guerres génocidaires auxquelles il faudrait ajouter les deux guerres civiles hautement meurtrières du Soudan et de la Birmanie et bien d’autres. Quand les grandes puissances de l’OTAN dénoncent à juste titre la guerre génocidaire ukrainienne mais qu’ils arment l’État sioniste perpétrant un plus important génocide tout en traitant d’antisémites ceux et celles qui dénoncent le sionisme qui en est la cause, quitte à renier les droits fondamentaux sensés porter notre civilisation, l’absurde devient incommensurable. Faut-il se surprendre que dans un tel contexte, le grand public perde de vue l’enjeu central à la survie de l’humanité, soit les crises conjointes des courses folles vers la terre-étuve et vers la sixième grande extinction.

Il est certainement rationnel de stratégiquement bloquer la montée des extrêmes droites qui surfent sur l’absurdité du monde mais non pour revenir au libéralisme parlementaire qui leur a pavé la voie avec son austérité néolibérale.

À la recherche de la stratégie unificatrice contre la marginalité toujours vaincue

Afin de tenter de se sortir de la marginalité, une bonne partie de la nébuleuse québécoise écologiste, à l’invitation de Mob6600, s’est réunie en une « rencontre inter-luttes » le 15 juin sous la thématique « Quels moyens pour la lutte sociale et écologiste ? » dans le cadre du « Camp climat » dans la forêt Steinberg. Une quinzaine de groupes, en cinq minutes chacun, s’y sont présentés. Ces présentations et la discussion qui s’ensuivit ont permis de souligner points forts et points faibles à corriger. La grande majorité des groupes étaient petits et même groupusculaires à l’exception de deux, Fondation Suzuki et le CCMM-CSN, qui se donnent une vocation de « soutien à la mobilisation citoyenne », par exemple construire des coalitions dans un bassin de 140 organisations ou le soutien logistique, en plus de tâches qui leur sont propres vis-à-vis le grand public ou le mouvement syndical comme des campagnes, de la représentation et de l’éducation. Chacun se démarquait pas ses caractéristiques soit de domaine d’intervention (Northvolt, friche L’Assomption, pipeline 9B, feux de forêt, extension du Port de Montréal à Contrecœur, transport collectif) et la particularité de ses méthodes (diversité des tactiques, désobéissance civile, procès politique, réunions d’information, blocages, représentation, mémoires, rapports scientifiques, comités paritaires, sites web et Facebook, actions clandestines en soutien, podcasts).

Ressortaient deux groupes. Mères au front est une fédération d’une trentaine de groupes locaux comptant environ 8 000 membres. Chaque groupe mène ses propres luttes mais le centre donne la priorité à certaines comme les enjeux de la Fonderie Rouyn-Noranda, Northvolt et les caribous. Mob6600, étant donné son attache territoriale reconnue dans la discussion comme facteur facilitant la mobilisation, a amorcé la transition vers l’action de masse par des manifestations et des activités culturelles ce qui ne l’empêche pas dans un cadre de diversité des tactiques de faire de la représentation et de l’action directe tels des blocages.

La discussion a permis de souligner les défauts du fonctionnement en petits groupes exigeant la super-militance tels l’éparpillement et l’épuisement militant. Les victoires sont rares. Même les victoires contre l’exploitation des hydrocarbures ouvraient la voie à la filière batterie quoique ce n’était pas le cas du projet de pipeline Énergie-est. La moindre des choses est de ne pas se condamner les uns les autres, plutôt se faire résonnance, tout en ne fermant pas la porte à l’indispensable critique mutuelle et en reconnaissant l’avantage de la diversité d’opinions et des tactiques qui permettent de rejoindre différents milieux. Constamment réagir dans l’urgence peut faire perdre de vue le fondement anticapitaliste et décolonial des luttes et faire oublier le ralliement des personnes opprimées, premières victimes de la crise climatique, et l’unité avec les peuples autochtones, fer de lance de la lutte climatique.

La grande difficulté reste la transcroissance vers les mobilisations de masse d’autant plus que l’ennemi est puissant monétairement comme légalement, et n’hésite pas à s’unir du fédéral au municipal (Mob6600, Northvolt) malgré leurs chicanes par ailleurs. Des initiatives rassembleuses s’annoncent comme la coalition d’une quarantaine de groupes « La suite du monde » pour la manifestation climatique de la fin septembre qui n’a pas eu lieu l’an dernier. Mais la gent étudiante, en ce moment démobilisée quant à la lutte climatique, et le mouvement syndical, dont la mobilisation a déjà déçu, seront-ils de la partie en masse ? Rien n’est moins certain.

On remarque aussi le projet « Les soulèvements du fleuve » comme « volonté de mettre en branle un mouvement de résistance au développement industriel, colonial et extractiviste. De mettre en résonnance ce qui résiste et s’organise. Une tentative qui rassemble de multiples groupes, initiatives et usages. […] On pourrait ainsi résumer cette ultime lubie du gouvernement : éventrer le Nord, bétonner le Sud et transformer le fleuve Saint-Laurent en autoroute. » Voilà qui est bien dit mais y aura-t-il une suite et une croissance de cette coalition anti-décroissance ? Il est certainement exact que Contrecœur, Ray-Mont Logistique, Northvolt et les mines qui l’approvisionnent, l’élargissement du Port de Québec veulent faire du fleuve et de ses affluents une autoroute de la marchandise comme jamais aux dépends des bélugas et de la préservation des berges riches en source de vie. Les soulèvements du fleuve pourrait être la coalition en opposition au Projet Saint-Laurent de François Legault.

Le volet politique Québec solidaire et sa dissidence aux abonnés absents

Manque à ce panorama de la lutte climatique le volet proprement politique tout comme il faisait défaut au Festival de la décroissance conviviale dans la même forêt Steinberg il y a deux semaines. Depuis le dernier Conseil national de Québec solidaire, on sait que le nouveau programme de facto a balancé par-dessus bord tant le cadre général de la décroissance que la priorité à la production de batteries pour le transport collectif de la part de l’usine Northvolt. La dissidence à cette orientation semble penser que la simple lutte contre la privatisation d’HydroQuébec et la nationalisation des entreprises exploitant les ressources naturelles suffiraient à corriger le tir. Le bilan du socialisme du XXe siècle a plus que démontrer que la nationalisation mur à mur sans démocratisation de la planification afférente, telle en Union soviétique, peut faire pire en dommage environnemental. Hydro-Québec, nationalisée depuis plus d’un demi-siècle, ne poursuit-elle pas une politique croissanciste de capitalisme vert ?

On peut penser qu’une planification démocratique d’une économie socialisée et décentralisée du XXIe siècle opterait sans hésiter pour une décroissance matérielle réduisant drastiquement le niveau moyen de consommation tout en élevant celui du 50% mondial le plus pauvre.

En bénéficierait grandement le niveau de bien-être de tout le monde grâce à une société de sobriété solidaire et égalitaire. Ce qui signifie au moins la fin du règne de l’auto solo et du bungalow avec son corollaire d’étalement urbain au bénéfice de logements collectifs dans des quartiers et villages quinze minutes reliés par des parcs nature et un réseau de transport actif et public. Mais il semble que le mouvement écologique québécois devra se passer de l’outil essentiel d’une orientation dite écosocialiste sur la scène politique autrement qu’en vain discours du dimanche. Québec solidaire et sa dissidence en restent à se chamailler pour la meilleure chaise sur le pont du Titanic.

Marc Bonhomme, 16 juin 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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