Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Des manifestants sikhs devant le consulat de l’Inde à Toronto, le 25 septembre 2023 après le meurtre du séparatiste sikh Hardeep Singh Nijjar, citoyen canadien. Photo Burston/AFP

“L’Inde et le Canada s’enfoncent dans une crise diplomatique rarement vue depuis la guerre froide”, s’alarme Le Journal de Montréal. Mardi, l’Inde a exigé le départ de 41 des 61 diplomates canadiens en poste dans le pays d’ici au 10 octobre.

Selon le quotidien, l’annonce du gouvernement indien est une nouvelle mesure de représailles depuis que le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a déclaré que des allégations sérieuses permettent de lier le gouvernement indien au meurtre d’un citoyen canadien d’origine sikhe, Hardeep Singh Nijjar, en juin dernier, en Colombie-Britannique. La situation actuelle, juge l’ex-ambassadeur canadien en Norvège Artur Wilczunski, “rappelle les pires années de l’Union soviétique”.

Un autre ancien diplomate canadien abonde dans les pages du Globe and Mail : si les allégations d’Ottawa s’avèrent fondées, écrit David McKinnon, le Canada ne pourra plus considérer l’Inde comme “une démocratie inoffensive faisant contrepoids à la Chine”.

• “Cela prouverait qu’elle est en réalité ce qu’elle a toujours été : un géant complexe déterminé à prendre sa place dans le monde et à faire progresser ses intérêts.”

Un monde où les intérêts passent avant les valeurs

Pour l’auteur de cette tribune, “il faut sérieusement repenser cette relation pour la ramener sur de bons rails”. “Nous avons cru à tort qu’elle allait de soi, parce qu’elle reposait sur des valeurs partagées et sur notre vaste diaspora indienne”, déplore-t-il. D’où des maladresses de la part d’Ottawa, qui aurait irrité l’Inde en soutenant la cause indépendantiste sikhe.

Plus largement, ce diplomate appelle à revoir les priorités diplomatiques du Canada, trop axées selon lui sur les valeurs aux dépens des intérêts, dans un monde qui “a radicalement changé”. “Nous ne sommes pas assez pris au sérieux parce que nous paraissons vouloir avant tout imposer nos jugements”, dénonce-t-il.

Dans un éditorial, le Globe and Mail va dans le même sens en notant qu’aucun des alliés du Canada n’a condamné l’Inde et son Premier ministre, Narendra Modi, avec force dans cette affaire. À commencer par les États-Unis, bien décidés pour leur part à faire passer leurs intérêts avant leurs valeurs dans leur relation avec l’Inde, partenaire clé face à la Chine.

• “Si Trudeau a été pris au dépourvu par cette situation, c’est peut-être parce que son gouvernement – ​​qui semble toujours avoir quelques longueurs de retard sur les développements mondiaux majeurs – n’a pas compris que le monde était une fois de plus en train de se réorganiser et qu’une nouvelle guerre froide était en marche.”

Une bataille déséquilibrée

Un chroniqueur du Financial Times juge toutefois que l’Occident ne peut pas fermer les yeux sur ce meurtre commis au Canada : “Ignorer le rôle possible des gouvernements étrangers dans les assassinats présenterait des risques majeurs pour la sécurité nationale et la stabilité sociale.” Car, argue le quotidien, qui serait le prochain pays dans la mire ?

Chose certaine, conclut le magazine L’Actualité, le Canada est isolé dans cette affaire : “Après la Chine, c’est maintenant avec l’Inde que le Canada se retrouve en froid. Dans un cas comme dans l’autre, le gouvernement Trudeau est à peu près laissé à lui-même pour livrer bataille contre une puissance face à laquelle il ne fait pas vraiment le poids.”

Martin Gauthier