Édition du 12 novembre 2024

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TAFTA : cinq premiers enseignements des documents révélés par Greenpeace

L’analyse des documents révélés par Greenpeace Pays-Bas ce lundi 2 mai ne fait que commencer. Il est néanmoins possible de tirer plusieurs enseignements politiques et pratiques, près de trois ans après le début des négociations. En voici cinq. Pour avancer et débattre. Au grand jour et sans le filtre des opérations de communication de la Commission européenne et du gouvernement.

Vous ne trouverez dans ce post de blog aucune analyse technique des 248 pages de documents confidentiels rendus publics par Greenpeace Pays-Bas ce lundi 2 mai à 11h (disponibles ici). Ce travail est en cours, mené par de nombreuses organisations et spécialistes. Néanmoins, ces fuites interviennent après deux années d’intenses actions de relation publique menées par la Commission européenne pour tenter de désarmer la critique et limiter la contestation. De plus, pour la première fois, ces documents comprennent des éléments tangibles sur ce que défendent les Etats-Unis dans les négociations. Suffisant pour établir quatre premiers enseignements.

1. Transparence et communication ne se valent pas. Nous voulons la transparence totale.

Depuis les premières vives critiques portant sur la méthode et le contenu des négociations, il y a deux ans, la Commission européenne ne cesse de répéter qu’elle fait des efforts de transparence et elle publie de nombreux documents sur son site. Force est de constater que ces documents sont très éloignés des ceux qui viennent d’être rendus publics. Un exemple ? Cécilia Malmstrom, commissaire au commerce, dit partout qu’elle défend le principe de précaution, « un outil clef pour nous en Europe » (voir ce discours prononcé le 26 janvier dernier). Le principe de précaution n’est tout simplement pas mentionné dans la note « tactique » sur l’état des négociations rédigée par la Commission européenne en amont du cycle de négociations du mois d’avril (document 16 mis en ligne par Greenpeace Pays-Bas) : il est donc faux de dire que l’équipe de Cécilia Malmstrom défend le principe de précaution lorsqu’elle se retrouve face aux négociateurs américains. Au contraire, l’approche américaine, qui consiste à renverser la charge de la preuve sur le régulateur, ne semble pas pas avoir été formellement exclue par la Commission européenne dans la négociation du chapitre "mesures sanitaires et phytosanitaires" (document 11 mis en ligne par Greenpeace - Article Sciences et risque)

=> Exigence : que l’ensemble des documents de négociations soient rendus publics, pour que l’ensemble des citoyen.ne.s européen.ne.s et américain.ne.s puissent savoir de quoi il retourne.

2. La Commission ne pourra plus jamais dire que nos critiques sont des « mythes »

La publication de ces documents – que nous exigions depuis longtemps – va clarifier les débats. La Commission, qui avait beau jeu, jusqu’ici, d’affirmer que nos critiques étaient infondées et qu’il fallait lui faire confiance, montre qu’elle a usé d’un double langage. D’un côté, elle a cherché à rassurer rassurer les populations, utilisant des arguments tels que le principe de précaution, et de l’autre, elle négocie sans accorder beaucoup d’intérêt aux règles de protection environnementale et sanitaire qui disparaissent derrière les intérêts des multinationales européennes. Il est par exemple possible de lire dans le chapitre sur la coopération réglementaire (document 9 dévoilé par Greenpeace) qu’un des objectifs est d’obtenir un « environnement réglementaire favorable à la concurrence » qui soit « prévisible » pour les investisseurs : les intérêts économiques et financiers sont donc mis dans la balance d’éventuelles décisions sanitaire ou environnementale qui viendraient rompre cette « prévisibilité ». D’une manière générale, ce chapitre sur la coopération réglementaire confirme nos très vives critiques face à un dispositif qui permettrait aux intérêts privés d’intervenir en amont des processus législatifs et réglementaires pour en réduire l’ambition.

=> Exigence : il est temps que le débat public s’organise sur la base des critiques sincères émises par les ONG, syndicats et citoyen.ne.s et non plus sur la base des opérations de communication de la Commission ;

3. Tafta n’oppose par les intérêts américains et européens, mais les intérêts des multinationales et ceux des populations (et de la planète)

C’est un des éléments les plus frappants à la lecture de certains passages des documents révélés par Greenpeace. Ainsi, le document 16 portant sur l’état des négociations évoque à plusieurs reprises que les multinationales américaines ou européennes ont été ou devront être consultées sur tel ou tel aspect de la négociation. Ce alors que la population, les ONG et les syndicats sont tenus éloignés de la négociation par la Commission européenne. Récemment, François Hollande, Manuel Valls et Matthias Fekl sont intervenus publiquement et simultanément pour demander de la « réciprocité » entre les Etats-Unis et l’UE, justifiant ainsi les demandes de l’UE consistant à libéraliser les marchés publics locaux et le secteur financier américains. Les documents fuités confirment cette réalité : les négociations visent à faire correspondre les intérêts économiques et financiers des deux côtés de l’Atlantique, loin de l’intérêt des populations dont les aspirations à plus de sécurité en matière de protection de l’environnement ou sur le plan sanitaire sont mises de côté.

=> Exigence : il est nécessaire de recentrer le débat sur l’essentiel. Il ne s’agit pas de savoir qui de l’UE ou des Etats-Unis a le plus à gagner (ou à perdre) avec le Tafta, mais comment les intérêts des multinationales européennes et américaines sont promues à travers un tel accord, au détriment de l’intérêt général.

4. François Hollande doit stopper les négociations du Tafta au nom de l’impératif climatique

Lors de l’ouverture de la conférence environnementale, François Hollande a déclaré que « la France serait très vigilante pour que les accords commerciaux ne remettent pas en cause, de manière subreptice, les avancées qui ont été décidées lors de la COP21 ». Les documents révélés par Greenpeace confirment nos craintes exprimées à plusieurs reprises (voir ici, ici ou encore ici par exemple) : les négociations du Tafta ne tiennent aucunement compte de l’impératif climatique. Le document portant sur l’état des négociations (Document 16 révélé par Greenpeace) est très révélateur à ce sujet : les parties sur le développement durable et le commerce de l’énergie et des matières premières (p. 18-19) n’évoquent nullement la contrainte climatique. Pas plus que les autres documents fuités où le terme « climat » n’apparait nulle part.

Aucun des intérêts commerciaux et des objectifs de libéralisation du commerce énoncés dans ces documents ne sont donc soumis à des objectifs de réduction des émissions de CO2 ou à des limitations d’usage des énergies fossiles. Comme si les Etats-Unis et la Commission européenne niaient les effets sur le climat des politiques de libéralisation des échanges, qui sont pourtant dûment circonstanciés. Comme si l’Accord de Paris et les engagements pris lors de la COP21 n’étaient déjà plus que de lointains souvenirs. Alors que a Commission européenne cherche à obtenir la libéralisation complète du marché transatlantique de l’énergie afin d’importer massivement gaz et pétrole non-conventionnels nord-américains, l’absence de référence au défi climatique est clairement une façon de remettre en cause les (rares) avancées qui ont été décidées lors de la COP21.

=> Exigence : que François Hollande, sur ce motif, justifie l’arrêt des négociations du Tafta : plus aucun accord de commerce et d’investissement international ne doit ignorer les engagements pris lors de la COP21.

5. Derrière (mais avant) le Tafta, se cache le Ceta, l’accord UE-Canada.

Ces fuites vont à nouveau focaliser l’attention médiatique sur le Tafta. C’est une très bonne chose tant la négociation de tels accords a horreur de se retrouver sous les feux des projecteurs. Mais il ne faudrait pas oublier que le Ceta, l’accord UE-Canada, qui est déjà conclu et qui doit être transmis au Conseil de l’UE dès le mois de mai 2016. Un accord à propos duquel le gouvernement français devra se prononcer à l’automne, et qui contient toutes les composantes les plus décriées du Tafta.

=> Exigence : rouvrir les négociations du Ceta, notamment au nom de l’impératif climatique et du respect des objectifs fixés par l’Accord de Paris.

Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France.

Maxim Combes

Economiste de formation, je suis engagé depuis la fin des années 1990 dans le mouvement altermondialiste, à travers Attac France notamment. Avec d’autres j’ai contribué à animer la coalition Urgence Climatique Justice Sociale en France et le réseau Climate Justice Now ! à l’échelle internationale. J’ai depuis contribué à la mise sur pied de la Coalition climat 21. Outre ce blog, je contribue au site d’Informations Basta ! (bastamag.net) Je viens de publier : Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, Anthropocène Et je suis le coauteur de : - La nature n’a pas de prix (Attac, Paris, LLL, 2012) - Les naufragés du libre-échange, de l’OMC à Tafta (Attac, Paris, LLL, 2015) - Crime climatique stop ! (Seuil, « Anthropocène », août 2015). - Le Climat est notre affaire (Attac, Paris, LLL, 2015)

Son blogue sur Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes

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