Ni la distance culturelle, ni l’islamophobie portée par la pensée néolibérale dominante ne doivent nous laisser insensibles face aux aspirations de libération et d’égalité qu’elles poursuivent.
« Un individu, un groupe, un parti ou une classe sociale qui « objectivement » regarde de l’autre côté pendant que des hommes ivres de sang massacrent des personnes sans défense sont condamnés par l’histoire à la putréfaction » affirmait le révolutionnaire Léon Trotsky.
Il y a eu peu de moments dans l’histoire de ce dernier siècle où un mouvement de libération aussi massif et juste comme celui qui s’est déclenché du Maghreb jusqu’au Proche Orient se soit retrouvé avec aussi peu de solidarité internationale de la part des peuples et des militants qui se réclament de gauche.
Le soulèvement de millions de jeunes, hommes et femmes arabes ou berbères, pour la dignité, la liberté et l’égalité subit littéralement en ce moment une pluie de projectiles de chars, de canons, de francs-tireurs, de bombes à fragmentation, de coup de matraque, d’arrestations et de tortures de la part des régimes sanguinaires de Syrie, Libye, Yémen, Bahreïn, etc.
Et pendant ce temps là en occident, nous nous contentons de regarder les images à la télévision, tandis qu’on veut nous anesthésier et nous rendre inactifs face à des événements présentés comme lointains ou éloignés à nos intérêts, parce qu’ils se passent dans le monde arabe. Les médias veulent nous convaincre que nous devons déléguer nos sentiments de solidarité et de désir de changement entre les mains des politiciens et des militaires professionnels.
Si nous voulons aider au triomphe de la liberté, nous devons au contraire sortir dans la rue et déployer de nouvelles stratégies et tactiques afin de réarmer la solidarité internationale face à tant de méfaits contre les révoltes arabes.
Nous savons que depuis la chute du Mur de Berlin il n’existe plus un monde bipolaire. Et que la Russie ou la Chine ne se préoccupent plus que du grand marché capitaliste sauvage et ne soutiennent pas les révoltes. Même le gouvernement bolivarien de Chavez, malgré tous ses discours de gauche, n’est pas prêt à défendre les millions d’arabes qui luttent pour leur indépendance et leur liberté contre des tyrannies corrompues. Chavez préfère maintenir ses alliances, ses affaires et ses amitiés avec des dictateurs.
Nous ne pouvons pas nous être très contents des faiblesses présentées par les autres gauches, alternatives ou celles regroupées au sein du Forum social mondial. Les faiblesses, la complexité, la diversité, les dilemmes et les schémas du passé ont fait échouer la timide tentative de donner une réponse globale et solidaire comme celle contre la guerre et l’occupation impérialiste de l’Irak en 2003. Car, dans la pratique, les révolutions dans le monde arabe nécessitent un soutien et un engagement plus fort que le simple rejet de l’impérialisme.
La faiblesse des mobilisations solidaire en occident facilite le progrès de la contre-révolution et laisse les révolutions arabes dans un terrible isolement. Jamais sans doute un processus révolutionnaire n’aura été aussi mésestimé et abandonné à son propre sort.
Face à la grandeur, à la spontanéité, à l’héroïsme, à l’ingénuité et à la générosité de l’un des mouvement d’émancipation les plus massifs de l’histoire, et son énorme valeur comme point d’appui pour l’avenir de l’humanité, il est angoissant et lamentable de constater que les gauches n’ont pas été capables de produire une réponse solidaire inconditionnelle et massive à la hauteur des enjeux.
Il faut bien poser la question ; quelle différence y a-t-il donc entre les actuelles manifestations en Syrie et la lutte à coup de pierre contre des tanks de l’Intifadah palestinienne ou avec les protestation de Tien An Men ? Quelle différence y a-t-il entre les souffrance des habitants de Misrata en Libye avec celle du siège de Stalingrad ou avec les Républicains madrilènes du « No Pasaran » ?
Il est vraiment insolite et aberrant que les gauches institutionnalisées n’aient pas élevés leurs voix contre les assassinats des manifestants. Ou de constater que c’est un impérialiste et un bourreau de Guantanamo tel qu’Obama qui mène la danse avec sa posture de dénonciation sélective. Cette situation est tellement désespérante et l’aide apportée par les gauches et tellement pauvre qu’il a été inévitable que les populations de Misrata ou de Benghazi en Libye se voient obligées de remercier – pour être encore en vie – les bombardements de l’OTAN et les manœuvres des démocraties corrompues et impérialistes de France, Grande-Bretagne, Italie et Espagne.
A quoi se doit ce silence ? Comment es-ce possible que des gauches qui se définissent comme anti-impérialistes se déclarent en faveur de dictateurs sanguinaires comme Al Assad ou Kadhafi ? Il est incompréhensible que des intellectuels et des artistes reconnus, antimilitaristes et pacifistes, ne manifestent pas contre les bombes à fragmentation et les bombardements d’artillerie des canons et des chars libyens ou syriens contre des populations civiles en lutte et qu’on ne place, sur les pancartes, que des « Non à la guerre » ou des « Non à l’intervention impérialiste ». Pourquoi passer sous silence ou au second plan l’autre guerre, celle des dictateurs contre leurs peuples ?
Cette accumulation d’aveuglements, d’abandons et de silences laisse tout simplement les révolutions en cours sans défense face à la répression. Il n’est pas normal que le rejet de l’intervention impérialiste soit l’excuse permettant d’abandonner les luttes populaires à leur sort. Il n’est pas normal qu’on délégitime les victimes rebelles parce qu’elles demandent toute forme d’aide, de reconnaissance ou d’assistance. En occident, on fait beaucoup trop la sourde oreille aux cris des populations arabes.
Sans aucun doute, rien n’est simple et la complexité des nouvelles révolutions nous obligent à donner des réponses complexes, mais nos raisonnements ne peuvent nous laisser paralyser dans un dilemme défaitiste. Il est faux de croire que la révolution libyenne était condamnée dès le départ par la supériorité militaire de Kadhafi ou par le jeu intéressé des bombardements de l’OTAN qui, évidement, ne sont pas la solution puisqu’ils tuent aussi sa souveraineté et son autonomie.
Bien qu’avec certains secteurs de gauche nous avons affirmé dès le début qu’il fallait soutenir la révolution en lui permettant d’obtenir des armes et en imposant un blocus à la dictature, il se fait que personne ne le fait réellement. Ainsi, les masses arabes sont laissées à leur sort, isolées par notre impuissance et par le seul rejet de « l’intervention », elles sont condamnées à périr face à la suprématie militaire d’un Al Assad ou d’un Kadhafi ou à se jeter dans les bras de l’impérialisme.
La gauche doit rompre avec les schémas liturgiques et avec le campisme. Nous devons soutenir et aider les révolutions, sans cesser bien entendu de dénoncer les intérêts poursuivis par les impérialistes, mais sans préjuger à l’avance du destin et de l’aboutissement de ces révolutions. Ce printemps révolutionnaire met en jeu le sort de l’humanité et tout dépend que les forces libérées dans ce processus ne soient écrasées, que leurs luttes héroïques puissent continuer à développer tout leur potentiel dans leurs aspirations démocratiques et égalitaires.
Et c’est de nous que dépend la capacité de susciter un vaste et massif mouvement de solidarité internationalistes en faveur de toutes les révolutions arabes pour que nous puissions, ainsi, suivre leur exemple.