Édition du 5 novembre 2024

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Europe

Sur la forte diffusion de la pandémie en Italie

L’énorme diffusion de la pandémie en Italie relève de l’état de la santé publique démantelée par les coupures budgétaires, des maladresses dans l’approche de la pandémie et de la diffusion par contact direct dû au maintien d’activités fonctionnantes laissant les travailleurs sans précaution. Analyse, suivi d’un récit de médecins de Bergame.

Tiré du blogue de l’auteur.

L’énorme diffusion de la pandémie en Italie relève de l’état pénible de la santé publique démantelée par les coupures budgétaires et les maladresses dans l’approche de la pandémie ; la diffusion par contact direct dû à la très grande quantité d’activités fonctionnantes laissant les travailleurs sans précaution et à grave risque de contamination.

1) L’Italie a décidé de se mobiliser contre l’épidémie en retard et avec maladresse. La santé publique italienne au cours de la dernière décennie a été démantelée : 37 milliards de coupures budgétaires dans les dernière dix ans, fermeture de plusieurs structures hospitalières et perte de lits passant de 4,5 lits par 1000 habitants à 3,2 en 2017 (la moyenne éuropéenne est de 5 places lits par 1000 habitants). En 2018, selon les données de l’OCDE, le cout public de la santé italienne par habitant a été de 2.200 dollars ; en France et en Allemagne le double. Voilà donc comme la gestion libériste du pays a créé l’affaiblissement des capacités de réaction face à la pandémie. A cela s’ajoute la maladresse : presque 5 mille médecins et travailleurs de la santé publique (presque 9% du total des contaminées en Italie) ont été contaminés et à leur ont transmis le virus à pas mal de gens cela parce que les contaminés étaient amenés directement dans les bureaux ou salles de visite et pas mis dans des SAS pour ensuite les filtrer vers la thérapie intensive ...

2) Plus de la moitié de toutes sortes d’activités ont continué et continuent à fonctionner ... donc une énorme quantité de travailleurs a été exposé à un haut risque de contamination dans des lieux fermés et sans protections : ainsi assez souvent ils ont été infectés et à leur tour ont infecté les gens de leurs familles ou ceux qui rencontrent allant au travail ou allant faire leurs courses. Ce n’est pas un hasard que cela s’est passé dans les lieux où il y a davantage d’activités hyper-productives (la Lombardie, l’Emilie-Romagne ... en général le Nord avec sa densité d’activités alors qu’au sud on a plus d’agriculture ...).

3) Le gouvernement n’a fait que réitéré des proclames de durcissement de l’« état de siège » et alors qu’il avait promis de fermer toutes les activités non-indispensables a fini par céder à la demande du patronat et a laissé en activité presque toute sorte d’entreprises. Les travailleurs dans les usines tout comme ceux des call centres, des supermarchés et meme le personnel de la santé publique n’ont pas été doté des dispositifs et du matériel nécessaire pour la protection. Force est de constater que la pandémie s’est répandue davantage dans les zones où il y a la plus haute densité d’activités économiques, notamment la Lombardie qui est aussi la région avec la plus haute pollution (meme à l’échelle européenne (un co-facteur assez influent).

Selon quelques experts le total des contaminés en Italie dépasse largement le nombre de ceux qui ont été recensés par la santé publique, il s’agirait donc de 450 ou 500 mille personnes. Le nombre de morts a dépassé les 5 mille, presque le double qu’en Chine. Selon d’autres études la pandémie aura des hauts et des bas et cela pourrait durer 2 ou 3 ans.

Entretemps la situation la plus catastrophique touche les sans-abris, les prisons et les centres de détention d’immigrés à expulser, les travailleurs au noir et tous les travailleurs qui sont en train de perdre beaucoup de leur revenu.

Mais nombre de politiciens de droites et même de « gauche » n’arrêtent pas de demander le « couvre-feu », les chars dans la rue, les drones et toute sorte de surveillance tout azimuts et des peines jusqu’à 5 ans de prison à qui ne reste pas à la maison et meme l’inculpation d’homicide pour les contrevenants les plus en infraction (ainsi que l’amende de 300 à 3 mille euros). Plus de 10 mille personnes ont fait l’objet de plainte parce que arrêtés dans la rue sans justification suffisante. Ne manquent pas les cas d’abus de la parte de quelques agents des polices qui pensent profiter du climat d’état de siège pour adopter des modalités très dures de « chasse aux pestiférés » allant de l’insulte à la menace d’être conduit en prison.

Pour ce qui est des mesures économiques la situation reste incertaine car pour l’instant il semble très très difficile que la majorité des pays européens puisse accepter la création d’eurobonds codiv19 sans aucune condition, comme le demandent l’Italie, l’Espagne, la Grèce et le Portugal. Le risque d’arriver à des contraintes similaires à celles imposées vis-à-vis de la Grèce est réel. On ne sait donc pas quelle sera la disponibilité financière pour faire face à la crise économico-sanitaire en cours. Cela pousse quelques-uns à demander d’appeler tout de suite Draghi à la place de Conte et de créer un gouvernement de « sauvetage national » avec tous les partis du parlement.

Voici la lettre des médecins de l’Hôpital “Papa Giovanni XXIII” publiée sur la revue du groupe New England Journal of Medicine.

"Nous travaillons à l’hôpital Papa Giovanni XXIII de Bergame, un établissement ultramoderne avec 48 unités de soins intensifs. Bien que Bergame soit une ville relativement petite, elle est l’épicentre de l’épidémie avec 6471 cas (le 23 mars) et plus de morts qu’à Milan et toute autre municipalité du pays (alors que la province de Bergame ne compte que 110 habitants).

Notre hôpital est très contaminé et nous sommes déjà au-dessus du point d’effondrer : 300 lits sur 900 sont occupés par des patients de Covid-19. Plus de 70% des places de soins intensifs sont réservées aux patients Covid-19 gravement malades qui ont un espoir raisonnable de survie.

La situation est si grave que nous sommes obligés de fonctionner bien en deçà de nos normes de soins. Temps d’attente long pour un poste aux soins intensifs au cours des dernières heures. Les patients plus âgés ne sont pas réanimés et meurent dans la solitude sans même le confort des soins palliatifs appropriés. Les familles ne peuvent avoir aucun contact avec des patients en phase terminale et sont informées du décès de leurs proches par téléphone, par des médecins bien intentionnés mais épuisés et émotionnellement détruits.

Dans les environs, la situation est pire. Les hôpitaux sont surpeuplés et sur le point de s’effondrer, et les pansements, les ventilateurs mécaniques, l’oxygène et les masques et combinaisons de protection pour le personnel de santé font défaut. Les patients sont allongés sur des matelas reposant sur le sol.

Le système de santé peine à fournir des services essentiels tels que l’obstétrique, tandis que les cimetières sont saturés et (l’accumulation de cadavres) crée un problème de santé publique supplémentaire.

Les travailleurs de la santé sont abandonnés à eux-mêmes tout en essayant de maintenir les hôpitaux opérationnels. En dehors des hôpitaux, les communautés sont également abandonnées, les programmes de vaccination sont suspendus et la situation dans les prisons devient explosive faute de distanciation sociale.

Nous sommes en quarantaine à partir du 10 mars. Malheureusement, le reste du monde ne semble pas avoir remarqué que l’épidémie de Bergame est hors de contrôle.

Les systèmes de santé occidentaux ont été construits autour du concept de soins centrés sur le patient (une approche par laquelle les décisions cliniques sont guidées par les besoins, les préférences et les valeurs du patient). Mais une épidémie nécessite un changement de perspective vers une approche de soins centrée sur la communauté. Nous apprenons douloureusement qu’il y a un besoin d’experts en santé publique et d’épidémies. Aux niveaux national, régional et individuel des hôpitaux, la nécessité d’impliquer ceux qui ont les compétences appropriées pour maîtriser les comportements épidémiologiquement dangereux n’a pas encore été prise en compte.

Par exemple, nous apprenons que les hôpitaux peuvent être les principaux véhicules de transmission de Covid-19, car ils se remplissent rapidement de patients infectés infectant des patients non infectés. Le système de santé régional lui-même contribue à la propagation de l’infection, car les ambulances et les agents de santé deviennent rapidement des porteurs. Les agents de santé sont porteurs asymptomatiques de la maladie ou malades sans aucune surveillance.

Certains risquent de mourir, y compris les plus jeunes, ce qui accroît encore les difficultés et le stress de ceux qui sont en première ligne.

Cette catastrophe ne pouvait être évitée qu’avec un déploiement massif de services communautaires dans la région. Pour faire face à la pandémie, des solutions sont nécessaires pour l’ensemble de la population, pas seulement pour les hôpitaux.

Les soins à domicile et les cliniques mobiles évitent les déplacements inutiles et soulagent les hôpitaux. Une oxygénothérapie précoce, des oxymètres de pouls et des fournitures adéquates peuvent être fournis à domicile aux patients présentant des symptômes légers ou convalescents. Il est nécessaire de créer un système de surveillance capillaire garantissant une isolation adéquate des patients en s’appuyant sur des outils de télémédecine.

Une telle approche limiterait l’hospitalisation à un groupe ciblé de patients gravement malades, réduisant ainsi l’infection, protégeant les patients et le personnel de santé et minimisant la consommation d’équipements de protection.

Dans les hôpitaux, la protection du personnel médical doit être prioritaire. Aucun compromis ne peut être fait sur les protocoles ; l’équipement doit être disponible. Des mesures de prévention de la contagion doivent être massivement mises en œuvre, dans tous les lieux, y compris les véhicules. Nous avons besoin d’hôpitaux entièrement dédiés à Covid-19 et séparés des zones non infectées.

Cette épidémie n’est pas un phénomène qui n’affecte que les soins intensifs, c’est une crise humanitaire et de santé publique. Elle nécessite l’intervention de spécialistes des sciences sociales, d’épidémiologistes, d’experts en logistique, de psychologues et de travailleurs sociaux. Nous avons un besoin urgent d’agences humanitaires qui opèrent localement.

L’OMS a tiré la sonnette d’alarme sur des niveaux alarmants d’inaction. Des mesures courageuses sont nécessaires pour ralentir l’infection. Le verrouillage est fondamental : en Chine, l’éloignement social a réduit la transmission de l’infection d’environ 60%. Mais dès que les mesures restrictives seront assouplies pour éviter d’arrêter l’économie, l’infection recommencera à se propager.

Nous avons besoin d’un plan à long terme pour lutter contre la pandémie.

Le coronavirus est le virus Ebola des riches et nécessite un effort coordonné et transnational. Ce n’est pas particulièrement mortel, mais c’est très contagieux. Plus la société est médicalisée et centralisée, plus le virus se propage.

La catastrophe qui frappe la riche Lombardie pourrait se produire partout."

La lettre originale est ici : https://catalyst.nejm.org/doi/full/10.1056/CAT.20.0080

Les signataires sont Mirco Nacoti, Andrea Ciocca, Angelo Giupponi, Pietro Brambillasca, Federico Lussana, Michele Pisano, Giuseppe Goisis, Daniele Bonacina, Francesco Fazzi, Richard Naspro, Luca Longhi, Maurizio Cereda e Carlo Montaguti.

Salvatore Palidda

professeur de sociologie à l’université de Gênes (Italie)

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