Le « modèle québécois », comme incarnation des idéaux progressistes de la Révolution tranquille, posait ses assises sur la réalisation d’un compromis entre croissance économique et partage de la richesse. L’équilibre précaire entre ces deux objectifs permettrait d’atténuer – sans les résoudre – les contradictions qui les opposent. La rupture de ce compromis social propulsée par un ensemble de facteurs économiques, idéologiques et politiques (libéralisation des échanges, stagflation des années 70, montée des gouvernements conservateurs, etc.) a ouvert la porte à l’émergence d’une nouvelle idéologie économique et sociale qui s’est imposée rapidement : le néolibéralisme.
Confrontée à cette restructuration idéologique de l’hégémonie capitaliste, la pensée économique « progressiste » s’est souvent vue contrainte de ranger ses objectifs sociaux au second plan en raison de son incapacité théorique et politique à renoncer à l’objectif de la croissance économique.
Dans ce contexte, il est important que les acteurs et actrices de la gauche économique se posent la question suivante : est-il toujours raisonnable, suite à la crise de 2008, à l’imposition du principe de l’utilisateur-payeur, aux stratégies de relance basées sur l’endettement public et l’exploitation accélérée des ressources naturelles, etc., de continuer à faire nôtre l’objectif de croissance économique ?
Au plan de la pensée économique, il est urgent de réapprendre à affirmer la prédominance des principes égalitaires et démocratiques pour ainsi définir un contre-discours crédible et cohérent à opposer aux critères d’efficacité économique du néolibéralisme.
Un premier critère caractéristique de gauche doit être la satisfaction des besoins de la population comme impératif d’interprétation et d’acceptation d’un service, d’une institution ou d’une politique économique. Ainsi, des propositions telles que l’augmentation du salaire minimum au seuil de faible revenu ou encore le maintien de bas tarifs hydro-électriques sont à évaluer selon leur capacité à répondre à des besoins essentiels et non en fonction des variations du PIB qu’elles peuvent créer.
Un deuxième critère caractéristique doit être de soumettre nos modes de production et de consommation aux limites écosystémiques de la planète. Viser un accroissement constant du pouvoir d’achat des salarié-e-s n’est en fait que le reflet d’une droite qui n’a que la croissance sans fin comme leitmotiv. Ainsi, une réflexion sur les transformations à apporter au mode de vie propre aux sociétés occidentales devrait occuper une place centrale au sein d’une pensée économique progressiste renouvelée.
La gauche économique doit s’opposer au principe de l’utilisateur-payeur qui réorganise l’accessibilité des services publics selon les moyens financiers de chacun, tout en fragmentant notre représentation de leur utilité – dans cette optique, un service public ne serait utile qu’à son utilisateur ou son utilisatrice et non à la collectivité. La gauche économique doit se faire le porte-voix de l’accessibilité universelle et de la gratuité des services publics. Ces deux principes sont la base même de la solidarité sociale et la concrétisation d’un « sens » de la collectivité.
La réactualisation de la pensée économique équivaut à repenser l’attitude des progressistes par rapport aux objectifs fondamentaux du système économique. S’il faut choisir entre d’un côté la croissance économique et de l’autre un principe de solidarité, la gauche économique devrait assumer pleinement et sans détour son attachement à la seconde alternative.