Après tout, des sondages crédibles de la veille des élections donnaient à Poutine une majorité absolue, même si un peu plus modeste que celle annoncée après le scrutin. C’est cette « démocratie dirigée » qui explique la capacité de Poutine à maintenir son niveau de popularité électorale malgré une corruption endémique, la pauvreté de la grande majorité de la population (selon le Centre russe du niveau de vie), le déclin continu des services publics, l’absence de démocratie.
Ce qui n’est presque jamais mentionné dans la presse occidentale est le fait que ce système politique a été mis sur place par le prédécesseur de Poutine, Boris Eltsine, suite à son coup d’État sanglant d’octobre 1993 contre la constitution démocratique. La nouvelle constitution, encore en vigueur, a été adoptée par un référendum truqué en décembre 1993 (cela selon le rapport d’une commission d’enquête mise sur pied par Eltsine lui-même mais qu’il a refusé de recevoir). Eltsine s’est fait réélire en 1996 également grâce à une fraude électorale (chose étonnamment avouée il y a seulement quelques jours par nul autre que le Président russe sortant).
C’est quand même curieuse, cette indulgence pour Eltsine de la part des gouvernements et de la presse grand public occidentaux, qui s’acharnent tellement contre Poutine. En fait, c’était plus qu’indulgence envers Eltsine. Il a été activement appuyé et encouragé tout au long de sa trajectoire criminelle. (En 1996, pendant la campagne présidentielle en Russie, le Président américain Bill Clinton est allé jusqu’à le comparer à Abraham Lincoln, qui avait dû lui aussi faire face à une guerre de sécession - cela après le bombardement aérien de la capitale de Tchétchénie, qui a fait cent milles morts.).
Comment expliquer ces doubles mesures ? Eltsine était en train réaliser le vieux rêve des puissances capitalistes - restaurer le capitalisme en Russie. Il fallait l’aider face à une opposition jugée encore redoutable. En plus, Eltsine appliquait fidèlement les recettes néolibérales de l’Occident, la « thérapie de choc », qui a enfoncé le pays une profonde dépression, rendant impossible toute résistance sérieuse à la politique d’expansion de l’OTAN vers les frontières de la Russie ou à son bombardement criminel de la Serbie.
Poutine arrive au pouvoir au début de la reprise économique (grâce largement à l’envol du prix de pétrole) et à un moment où le capitalisme, même si sous une forme particulièrement laide, est déjà fermement établi. En plus, il possède les moyens financiers, ainsi qu’une certaine volonté, de défendre contre les E-U et l’OTAN les intérêts géopolitiques de la Russie, comme il les comprend.
Le moment est donc venu pour que les États occidentaux se préoccupent de nouveau de la démocratie en Russie. Et la presse grand public, comme un chien fidèle, emboîte le pas.