Ce oui découle d’une reconnaissance du fait que cette initiative s’inscrit dans un contexte où les inégalités croissent fortement, les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres, y compris dans un pays comme la Suisse.
On voit une montée massive de la pauvreté et de la précarité, tout particulièrement dans de larges couches de la jeunesse qui n’ont jamais été confrontées au quotidien à des perspectives aussi sombres en termes d’accès à la formation, à l’emploi, au logement... ; de conditions de travail et de salaires ; de perspectives d’avenir en termes de retraites ; et plus globalement, de sécurité et de protection sociales.
Il nous faudrait rappeler aussi la dégradation de la qualité de vie et de l’environnement que subit une grande majorité de la population, à laquelle ne peuvent échapper qu’une petite minorité de nantis, de gros actionnaires, de spéculateurs, servis par une valetaille pléthorique : avocaillons d’affaires, prestidigidateurs, propagandistes et thuriféraires d’un système dont ils chantent les louanges et durcissent le trait, à mesure qu’il fonce droit dans le mur des crises financières et économiques qui ruinent et affament les populations et de la crise climatique qui menace gravement les conditions de vie de la majorité des êtres humains.
Le Titanic était insubmersible, le capitalisme met fin à l’histoire... Il n’y a pas d’alternative. Circulez y a rien à voir.
Comment, dans ces conditions, ne pas considérer avec une réelle sympathie la démarche des initiant·e·s du RBI qui affirment – à contre-courant du discours dominant – que la société a un devoir et une obligation : permettre à chacun·e de vivre décemment et donner à toutes et tous, sans exception, les conditions de l’exercice sans restriction des droits sociaux et politiques élémentaires ?
Comment ne pas saluer l’aspiration égalitaire, fraternelle, libératrice que portent de nombreux partisan·ne·s de ce projet ? Comment ne pas applaudir à la tentative de formuler une utopie concrète portée par des centaines de militant·e·s pendant les 18 mois de récolte de signatures... jusqu’au prochain rendez-vous du 5 juin dans les urnes. Les urnes diront non bien sûr, mais le chemin de toutes les grandes réformes sociales progressistes est pavé de batailles perdues, qui font pourtant avancer la perspective de gagner la guerre.
C’est pour ça que nous disons oui. Mais ce oui, s’il nous distingue des partisan·ne·s du statu quo, ne nous interdit pas la critique. La nôtre concerne bien sûr les aspects « concrets » de cette initiative : d’abord, le niveau d’allocation envisagé par les initiant·e·s, qui frise le seuil de pauvreté et ne permettrait pas à grand monde de quitter le marché du travail, ni aux chômeurs·euses de vivre correctement ; ensuite, l’opposition entre cette initiative et la perspective d’un salaire minimum ; enfin, le démantèlement envisagé de l’AVS, alors que le 2e pillier injuste et antisocial ne serait pas touché... Last but not least, l’hypothèse d’un financement par la TVA, impôt régressif et injuste.
Toutefois, le problème de fond est ailleurs : cette initiative se présente comme la garantie individuelle, pour chacun·e d’entre nous, concerné personnellement, d’une allocation monétaire destinée à être dépensée sur le marché. Or, notre chemin est assez différent : nous sommes favorables à une démarche collective... à des prestations publiques essentielles, fournies par des services publics et une sécurité sociale contrôlés démocratiquement par les usagers·ères et les travailleurs·euses, qui fournissent des prestations fortement subventionnées, si possible gratuites, à hauteur des besoins réels de chacun·e.
Le modèle de la gratuité ne doit pas se cantonner à l’école primaire ou secondaire, il peut et doit être étendu aux transports, au logement, à l’eau, à l’énergie, aux télécoms, à la santé, à la culture... Nous entendons que ces biens communs fondamentaux échappent à la sphère marchande et au profit privé, qu’ils soient ainsi socialisés et collectivisés. Il s’agit ainsi de briser le rouleau compresseur de la libéralisation, de la marchandisation et de la privatisation pour conquérir des espaces de satisfaction des besoins fondamentaux, démocratiquement exprimés, qui fassent reculer l’argent, le profit et la course à la consommation individuelle.
Cette vision d’un socialisme enraciné localement dans une démocratie des usagers·ères et des travailleurs·euses, de l’extension pied à pied d’un service public contrôlé par la communauté, contre l’accaparement égoïste, privatif et excluant de la richesse sociale par celles et ceux qui en ont les moyens... Voilà l’utopie qui nous inspire au quotidien. Elle nous semble en effet infiniment plus riche et prometteuse que le RBI, même si nous partageons une bonne partie des préoccupations de ses partisan·ne·s. On ne peut d’ailleurs que les remercier d’avoir initié ce débat essentiel.