Si le scénario n’est pas sensiblement différent de celui du 20 décembre, la nouveauté vient de l’alliance entre Podemos et Izquierda Unida (IU) : Unidos Podemos. Et le fait que cette dernière est en position de prendre la deuxième place au PSOE, voir même de disputer la première marche du podium au PP.
Contrairement à l’automne dernier où la direction de Podemos avait refusé une alliance avec IU, cette fois-ci, il y aura bien une candidature commune des forces de gauche. L’élément déterminant qui a poussé à cet accord est le résultat obtenu par Podemos (20,66%) et IU (3,67%) lors des précédentes législatives. Pour passer devant le PSOE (22,01%), le fameux « sorpaso », il devenait évident que l’addition des voix d’IU à celle de Podemos etait nécessaire. La direction de Podemos – contre l’avis de Iñigo Errejon, le numéro deux du parti, partisan de la transversalité – a donc laissé de côté le refus du positionnement gauche/droite, pour passer une alliance avec IU, plaçant de fait Podemos à gauche de l’échiquier. Si l’addition des voix des deux formations n’est pas automatique, les différents sondages tendent à montrer que l’option choisie se révèle payante et que les intentions de vote ont même tendance à augmenter (26% pour Unidos Podemos dans le sondage de Metroscopia du 18 juin). Podemos et IU sont les principales composantes de la nouvelle alliance électorale, toutefois il faut également rajouter Equo, le parti écologiste ainsi que les différentes plateformes locales : En Comun Podem en Catalogne, En Marea en Galice et A la Valenciana dans le pays Valencien.
Une campagne marquée par la question des accords pour former un gouvernement
La courte campagne pour les élections du 26 juin est dans l’ensemble assez similaire à celle du 20 décembre. Pour le PP, PSOE et Ciudadanos, les candidats et les programmes sont les mêmes. Toutefois le nouveau thème de campagne est celui des alliances. En effet, l’échec des négociations pour former un gouvernement et le parlement fragmenté qui devrait sortir des élections du 26 juin poussent les différents partis à se positionner par rapport aux possibles accords de gouvernement. Le PP (toujours donné en tête des intentions de vote, autour de 29%) défend l’idée d’une grande coalition avec le PSOE, Ciudadanos propose une grande coalition les incluant et Unidos Podemos réitère la proposition qu’avait fait Iglesias fin décembre au PSOE d’un gouvernement Unidos Podemos-PSOE.
Le PSOE est dans la position la plus délicate et il est le seul à n’avoir pas encore fait clairement part de ses intentions. Déjà le 20 décembre il avait réalisé le plus mauvais score de son histoire, mais cette fois-ci, si se confirme le « sorpaso », il serait relégué à la troisième place. La position extrêmement fragile de Pedro Sanchez, son secrétaire générale, risquerait d’être encore plus contestée et les tensions internes très vives. Si l’électorat du PSOE penche plutôt du côté de Unidos Podemos, la sociologie de la direction du PSOE, ses pratiques et le type de politique qu’il a mis en place quand il était au pouvoir le font pencher du côté du PP. Dans les deux cas, les conséquences seront sérieuses pour le PSOE. C’est le parti qui a le plus à perdre dans ces élections.
Polarisation des débats et attaques contre Unidos Podemos
La campagne a également été marqué par une polarisation accrue des débats entre le PP et Unidos Podemos, en lien avec les indications données par les sondages. A mesure que la nouvelle coalition est apparue comme étant en mesure de remporter la bataille à gauche, les attaques contre cette dernière se sont intensifiées. Les arguments utilisés n’ont pas véritablement changé (financement de Podemos par le régime chaviste voire même par l’Iran, proximité avec l’ETA, etc.) mais l’intensité de l’offensive a augmenté. Celle-ci est directement proportionnelle à la menace que représente Unidos Podemos pour les tenants du régime issu de la transition. En ce sens, elle est assez comparable aux campagnes de peur menées dans d’autres pays européens lorsque les intérêts des minorités privilégiés sont menacées. La polarisation profite d’une certaine manière à Unidos Podemos, le situant au-devant la scène et au PP qui apparait comme le seul parti à même d’empêcher cette ascension. A l’inverse, le PSOE et Ciudadanos sont relégués au second plan.
Un cadre européen contraignant
Si la question européenne est relativement absente de la campagne, elle n’est reste pas moins un élément clé. En effet, la Commission européenne a d’ores et déjà annoncé que pour respecter les engagements européens, le futur gouvernement espagnol, indépendamment de sa couleur, devra prévoir de nouvelles mesures d’austérité, à hauteur de 8 milliards d’euros. Et ce, alors que l’Espagne a déjà mis en place des réformes extrêmement régressives en termes de droit du travail, de salaires et de criminalisation des mouvements sociaux. A cela, s’ajoute de possible sanctions (qui seront décidés début juillet) pour déficit excessif. Cela va sans dire que le nouveau gouvernement, a fortiori, un gouvernement de Unidos Podemos sera confronté à une opposition très vives des Institutions européennes et ses marges de manœuvre – s’il respecte les traités – seront fortement limitées.
Les élections du 26 juin interviendront dans un contexte particulier, puisqu’elles auront lieu trois jours seulement après le référendum sur le « Brexit ». Les répercussions du vote britannique sur l’ensemble de l’Union européenne risquent d’être importantes, d’autant plus dans le cas d’une victoire du « leave ». C’est le fonctionnement actuel de l’Union et son architecture qui seront remis en cause.
De grands espoirs et des incertitudes
Le vote du 26 juin soulève de grands espoirs, non seulement dans l’Etat espagnol mais aussi dans toute l’Europe, d’autant plus après l’échec de Syriza. Toutefois, indépendamment du résultat du vote, il reste de nombreuses incertitudes. Pour ne citer que les plus importantes, la direction de Podemos a fait le choix tactique de proposer au PSOE de former conjointement un gouvernement. Si cette tactique a sans conteste permis d’aviver les contradictions internes au PSOE à court terme, sur le moyen et le long terme, cela replace la formation socialiste dans le camp du changement ; alors que justement Podemos avait réussi à mettre le PP et le PSOE dans la même case, celle des partis du système et que le PSOE a été le premier parti à mettre en place des mesures d’austérité.
Des interrogations planent également sur le fonctionnement interne de Podemos et la forme que pourra prendre l’alliance avec IU après les élections. Le modèle de fonctionnement vertical du parti violet a entrainé un essoufflement des structures de base du parti, en même temps qu’une certaine bureaucratisation. Une nouvelle assemblée citoyenne, comme elle est réclamée par plusieurs secteurs peut être l’occasion de remettre à plat le fonctionnement de l’organisation et d’y réinsuffler la démocratie horizontale des débuts. Dans le même temps, l’ouverture vers IU peut permettre de s’orienter vers la constitution d’une organisation large, souple et populaire de toutes les composantes du « changement ».
Troisième incertitude, la question territoriale. La CUP, organisation anticapitaliste et indépendantiste, a refusé début juin de voter le budget de la Generalitat, le gouvernement catalan, le privant ainsi de sa majorité. L’instabilité de l’exécutif catalan, ajouté à la possible première place de En Comun Podem (la plateforme catalane menée para Ada Colau et soutenu notamment par Podemos) risque de remettre sur le devant de la scène le devenir de la Catalogne et plus largement la question de la nature plurinacionale de l’Etat espagnol.
Enfin, l’audace, le caractère novateur et les choix tactiques de Podemos, et plus généralement de la gauche espagnole, interrogent les forces progressistes européennes. Si les contextes nationaux sont bien évidemment différents, les succès, tout autant que les ratés, des forces du « changement » sont une source d’inspiration précieuse pour celles et ceux qui veulent changer le système et se donner les moyens d’y parvenir.
Pierre Marion