Il a aussi ajouté qu’il allait retirer 7000 soldats d’Afghanistan. Toute la classe politique américaine ou presque a alors repris son antienne : Trump ne respectait pas les alliés des États-Unis, mettait en danger les Kurdes, ne finissait pas le boulot contre l’État islamique et donnait carte blanche à la Russie et à l’Iran. Son ministre de la défense, Mattis, un va-t-en-guerre confirmé et responsable de la destruction de Falloujah en Irak1 et auteur de phrases dignes d’un psychopathe2 a démissionné.
On aurait pu croire que les États-Unis avaient toujours respecté leurs alliés, en Irak en 2003 par exemple, et qu’ils étaient soudain en train de gagner la guerre asymétrique en Afghanistan, ce qui s’est avéré impossible en 17 ans de présence militaire dans ce pays. Alors qu’en 2017 les critiques de Trump avaient salué son comportement présidentiel lorsqu’il avait bombardé la Syrie ou lancé la plus grosse bombe (MOAB, Mother of all bombs) sur l’Afghanistan, cette fois-ci, alors que Trump parlait de réduction de la présence militaire, il fut honni et moqué par les Républicains comme les Démocrates.
Moins de deux semaines après, Trump commençait à rétropédaler et début janvier la marche arrière était complète. Après une visite en Israël et une autre en Turquie par son secrétaire d’État, Pompeo, Trump a renvoyé aux calendes grecques le retrait américain. Le président qui théoriquement préside et est le chef des armées préside donc aux reculades et virages à 180 degrés.
Initialement, une partie de la gauche du parti démocrate avait exprimé son approbation de ce qui semblait être la décision du retrait des troupes, impulsive mais bien orientée, du président américain. Elizabeth Warren a déclaré, le 3 janvier 2019, sur MSNBC, que le retrait des troupes était une bonne chose3. En moins de trois semaines, les partisans de la guerre permanente ont gagné la bataille, Trump s’est soumis à leurs désirs et a déclaré le contraire de ce qu’il avait affirmé le 19 décembre.
Trump est donc bien le clown, le bouffon qui amuse les foules, les berne grâce à sa maitrise du langage de la télé-réalité mais qui ne décide pas des vraies orientations de la politique étrangère américaine. Il en va de même pour la politique intérieure mais, étant donné le soutien actif des Républicains ploutocrates et anti-écologiques, l’inconsistance et le chaos permanent à la Maison Blanche ne donnent pas lieu à autant de dénonciations dans les médias.
Une journaliste indépendante, Caitlin Johnstone, a inventé une petite saynète sur le sujet :
Trump : On quitte la Syrie
Bolton : On ne quitte pas vraiment la Syrie.
Trump : On quitte la Syrie très lentement.
Graham : Très, très lentement.
Bolton : Ou peut-être jamais.
Trump : Lorsque l’État islamique aura disparu.
Bolton : Et l’Iran.
Trump : C’est moi qui ai embauché Bolton et je ne regrette rien.4
L’idée qu’il existe aux États-Unis un « double gouvernement » (Michael Glennon)5, un Establishment de la politique étrangère, appelé « blob », un complexe militaro-industriel tout puissant ou un « État profond » est souvent combattue. Puisque Trump lui-même dénonce le « deep state » les Démocrates ou liberals en nient l’existence, que pourtant Edgar Snowden certifie en disant qu’il en a fait partie6. Mike Lofgren en a fait un livre : The Deep State, The Fall of the Constitution and the Rise of a Shadow Government.
Quelle que soit l’expression choisie, force est pourtant de constater qu’en politique étrangère il est facile de contourner la parole présidentielle. Ceci n’est pas nouveau : dans son livre publié en 2015 avant l’arrivée de Trump au « pouvoir », National Security and Double Government, Michael Glennon mentionnait des exemples où Obama avait dû se plier aux demandes du « gouvernement de l’ombre » dans lequel les services secrets et le complexe militaro-industriel jouent un rôle de premier plan.
Trump est bien le désastre dénoncé par la gauche et les Démocrates et il est effectivement ignare et impulsif mais il donne satisfaction aux forces réactionnaires qui encadrent le pays. Il ne donne des sueurs froides à cet « État profond », que selon Snowden il ne comprend pas, que lorsqu’il semble s’écarter de la ligne militariste dominante. Lorsqu’il avait parlé, lors de la campagne de 2016, de meilleures relations avec la Russie et mentionné son souhait de faire revenir des soldats aux États-Unis, de façon non structurée ou planifiée, comme à son habitude, il avait fait tremblé les militaristes des deux partis.
Lorsque, début décembre 2018, il finit par approuver une augmentation du budget militaire pour cette année 2019, dix jours à peine avant sa déclaration sur la Syrie, il n’y a pas eu de dénonciations médiatiques importantes. Cette augmentation portera le budget militaire à 750 milliards de dollars7, un budget qui dépasse celui des 10 puissances suivantes et dont l’impact social est catastrophique dans un pays où les infrastructures vieillissantes s’écroulent et où de nombreuses écoles publiques sont délabrées.
Un président qui gonfle les dépenses de la « main droite de l’État » (Bourdieu) et poursuit des guerres ingagnables, injustes et inutiles n’est pas mis en cause dans les médias dominants. Un président qui, même pour de mauvaises raisons, car il pense que les États-Unis paient pour les autres, donne l’impression de comprendre le coût exorbitant des dépenses militaires et parle de limiter, très légèrement la présence militaire des États-Unis est un fou dangereux.
Un certain nombre d’observateurs évoquent le retour des néo-conservateurs américains autour de Trump8. Pompeo et Bolton en sont deux exemples. Ainsi la politique étrangère de George W. Bush qui a mené à la catastrophe et au développement des groupes terroristes qu’il s’agit de combattre en Syrie aujourd’hui refait surface. Daech est l’émanation d’Al Qu’aida en Iraq, grandement aidé par la création du camp Bucca, après avoir bénéficié du soutien américain en Afghanistan lors de l’occupation soviétique. Les fauteurs de guerre de l’époque Bush-Cheney, les partisans démocrates de la guerre en Irak, sont aujourd’hui les plus critiques des déclarations apparemment moins militaristes de Trump (il ne s’agit que d’apparence, bien sûr).
Les guerres coûtent cher au États-Unis, presque 6000 milliards depuis 20019 et ce pays ne les gagne pas il faut se demander donc pourquoi le complexe militaro-industriel ne dévie pas de sa ligne exceptionnaliste, impérialiste et désastreuse. Les guerres ingagnables ne sont bien évidemment pas perdues pour tout le monde : le secteur de l’armement fait des bénéfices quelle que soit l’issue d’une guerre.
Une guerre asymétrique comme en Afghanistan est une source de profits pour un grand nombre d’entreprises, des entreprises souvent dirigées par des proches de responsables politiques. Erik Prince est le frère d’une ministre de l’administration Trump, Betsy DeVos (éducation), qui après avoir dirigé la firme de mercenaires Blackwater dirige le Frontier Resource Group. Il propose de privatiser la guerre en Afghanistan10. Trump pourrait donc être tenté d’annoncer le retrait des troupes américaines puis de céder la place à une entreprise privée pour continuer la guerre ingagnable mais juteuse.
Il est impossible de faire confiance à Trump, ce qui n’est pas d’une grande nouveauté, mais ceux qui le dénoncent pour quelques paroles faussement antimilitaristes, savent très bien qu’il n’est qu’une marionnette facilement recadrable par les va-t-en-guerre néoconservateurs du complexe militaro-industriel. Trump est un bouffon velléitaire qui accepte son rôle, ceux qui l’entourent et lui dictent ses décisions ne sont pas des « adultes » mais des casseurs militaristes qui appauvrissent leur pays et sèment le chaos et la terreur dans le monde.
* Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
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