Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Solidarité avec la Grèce

Premiers éléments d’analyse du résultat des élections en Grèce

(tiré du site Europe solidaire sans frontières)

Alexis Tsipras, à la tête d’un Syriza mémorandaire, sort vainqueur des élections anticipées du 20 septembre 2015. Or, Jon Henley, dans le Guardian du 18 septembre, attribuait à Maarten Verwey le rôle de locataire – au mieux de colocataire – de la Villa Maximos, la résidence du premier ministre. Qui est donc ce Maarten Verwey ? Un fonctionnaire néerlandais du Ministère des finances, déjà actif à Chypre et qui est placé à la tête de la task force de l’Union européenne résidant à Athènes. Or, le mémorandum (Memorandum of Understanding – MoU) signé par Tsipras le 13 juillet – adopté par une large majorité parlementaire précédente (des députés de Syriza et ceux des Grecs indépendants, de Nouvelle Démocratie, du Pasok et de To Potami) – contraint le gouvernement d’avoir l’accord de la Commission européenne, de la Banque centrale et du FMI avant de finaliser et faire adopter un ensemble de lois d’application d’un nouveau programme d’austérité. Maarten Verwey sera le proconsul des créanciers et de leurs institutions.

C’est ainsi que Romaric Godin, dans le quotidien français La Tribune du 21 septembre, qualifie à juste titre la coalition issue des élections – Syriza et les Grecs indépendants – « d’une majorité d’application d’un mémorandum signé par Alexis Tsipras. Or cet accord dessine très précisément la tâche du prochain gouvernement en laissant à ce dernier une capacité d’appréciation quasi inexistante. En octobre, conformément au point 2.1 du mémorandum, Alexis Tsipras devra présenter un collectif budgétaire pour 2015, un projet de budget 2016 et un « chemin budgétaire » jusqu’en 2019 « soutenus par un paquet de mesures paramétriques et de réformes structurelles de grande ampleur et crédible. » Le texte de l’accord décrit une grande partie de ces mesures, notamment une deuxième réforme des retraites et la suppression de plusieurs subventions. » [1] En un mot, les droits démocratiques des citoyens et citoyennes grecs ont le statut qui leur est réservé dans une situation de pays néocolonisé.

Tsipras : le délégué

Tous les commentaires ont insisté sur le taux d’abstention de 43,43%, le plus élevé depuis la fin de la dictature en 1974. Syriza a obtenu 35,46% des suffrages (145 sièges, tenant compte du bonus de 50 députés attribué au premier parti) ; Nouvelle Démocratie 28,10% (75) ; Aube dorée (néonazis) 6,99% (18) ; Pasok-Dimar 6,28% (17) ; KKE (PC) 5,55% (15) ; To Potami 4,09% (11) ; Grecs indépendants 3,69% (10) ; Union du centre 3,43% (9). L’Unité populaire – le parti fondé entre autres par le Courant de gauche et le Red Network, ayant l’appui comme candidate de Zoé Konstantopoulou, ex-présidente du parlement – n’a réuni que 2,86% des suffrages et donc n’est pas représenté au parlement n’ayant pas dépassé la barre dite fatidique des 3%. L’entrée inattendue au parlement de l’Union du centre du politicien caricatural Vassilis Leventis, qui avait réuni 1,79% des suffrages en janvier, est un indice d’une dérive politico-médiatique : sur sa liste, Leventis avait réuni 6 membres directs de sa famille et d’autres candidats sans aucune expérience politique. (El Pais, 21 septembre 2015)

Une « sociologie » des résultats électoraux, terrain sur lequel s’aventurent quelques politologues, est hors de notre portée. Un constat est toutefois avancé par des militants actifs de l’Unité populaire : le tournant à 180 degrés opéré par la direction de Syriza après le référendum du 5 juillet – bien qu’il se profilât dès le 20 février – a suscité une désorientation marquée dans les rangs des salarié·e·s et de celles et ceux qui s’étaient identifiés avec la perspective, telle qu’elle pouvait apparaître en janvier 2015, de faire obstacle aux politiques mémorandaires. Au sein de l’Unité populaire a été sous-estimé, en partie sous l’effet de choc du « non » du 5 juillet, le sentiment ressenti par des couches populaires de l’énorme difficulté à faire obstacle à l’ensemble des mécanismes internes et externes de la machine austéritaire.

Pourtant, comme souligné dans d’autres articles, la mobilisation sociale avait atteint un plateau dès la fin 2012. Il en découlait un réflexe de délégation en direction d’un gouvernement, symbolisé par la personne charismatique de Tsipras, pour bloquer les effets socialement mortifères des deux premiers mémorandums (2010 et 2012). A cela s’est ajoutée la fatigue propre à la contrainte quotidienne de devoir réorganiser sa vie, dans quasiment toutes ses dimensions. L’exode contraint de 400’000 à 500’000 personnes souvent qualifiées révèle aussi la perte de vigueur dudit tissu social et la difficulté de se projeter dans l’avenir qui a trouvé une brève parenthèse dans les 15 jours antérieurs au « non » du 5 juillet (61,3% pour le non). Il y a là certainement des éléments expliquant l’abstention.

La direction Tsipras a, à la fois, su saisir l’inertie du processus délégationniste en faveur de Syriza et le rejet encore présent des « partis du vieux système ». Dès lors, au centre de la campagne menée par l’appareil d’un Syriza gouvernemental, un thème s’est imposé : face aux diktats des créanciers, nous sommes les seuls à pouvoir amoindrir leurs effets sociaux et à être apte à négocier une restructuration de la dette. Ce message a passé, comme le confirment les résultats. La désaffection militante qui a frappé Syriza, de manière nette, n’a pas influé sur les résultats électoraux comme certaines analyses le laissaient supposer. Si la mutation mémorandaire s’est produite, avec ses effets de désagrégation partielle de la coalition militante, la relève a été effectuée par le biais de l’appareil politico-clientélaire et institutionnelle.

Dans le climat socio-politique dominant en Grèce, il fallait être un académicien et partisan du « vote rationnel » pour penser qu’un fort secteur social voterait à partir d’une anticipation lucide des effets concrets de l’ensemble des mesures découlant du mémorandum. Ce d’autant plus que la maîtrise de la temporalité électorale était aux mains de l’appareil issu du gouvernement Syriza, que l’Unité populaire devait s’organiser dans la précipitation et que sa capacité d’explication liée à un réseau social actif était faible ; les comités pour le non référendaire n’ayant pas pris de consistance effective. La capillarité du message de l’UP n’était pas tangible, à quelques rares exceptions près.

Au-delà des résultats d’ensemble

L’examen schématique de quelques résultats dans les circonscriptions électorales est peut-être utile.

Dans les deux districts d’Athènes (A et B), on peut relever en pourcentage, respectivement, les résultats suivants :

• Syriza : 31,55 et 35,21 (en janvier 2015, il obtenait 33,61 et 37,09)

• Unité populaire : 3,58 et 3,77

• KKE : 5,83 et 6,80 (en janvier : 6,04 et 6,93)

• Aube dorée : 6,91 et 5,64 (en janvier : 7,05 et 5,73)

Dans les deux districts du Pirée (A et B, respectivement) :

• Syriza : 33,62 et 42,05 (en janvier 2015 : 34,40 et 42,06)

• Unité populaire : 2,95 et 3,77

• KKE : 5,14 et 7,94 (en janvier : 5,27 et 8,18)

• Aube dorée : 7,83 et 8,40 (en janvier : 7,44 et 7,80)

A première vue, bien qu’une étude des transferts de votes ne soit pas disponible pour autant qu’elle soit possible, la distribution des votes partisans n’a pas été bousculée par la présence de l’Unité populaire dans ces quatre districts significatifs. Certes dans le district d’Athènes A, la présence de candidats médiatisés de l’Unité populaire – tels que Zoé Konstantopoulou – explique probablement le recul relatif de Syriza.

Quant aux néonazis d’Aube dorée, ils sont la troisième formation politique présente au parlement. Le leader d’Aube dorée, Nikos Michaloliakos, a insisté sur l’importance du résultat de son organisation – dont le procès justifié pour organisation « ayant une activité criminelle », initié en avril 2015, traîne en longueur – alors que « nous avions l’entièreté du système contre nous » (BBC.com). Les slogans repris par Michaloliakos et les porte-parole d’Aube dorée s’organisaient sur deux thèmes : « Non au mémorandum. Non à l’immigration illégale, nous ne permettrons pas qu’ils fassent de nous une minorité dans notre propre pays. » Aube dorée, à l’échelle nationale, a passé de 6,28% (17 députés) en janvier à 6,99% (18 députés) en septembre 2015. Sa progression est visible dans des districts frontaliers du nord comme Evros (de 7,5% en janvier à 8,71% en septembre), ou dans une île comme celle de Lesbos (4,66% à 7,78%).

Des rappels à l’ordre mémorandaire

Dès l’annonce par Tsipras de la formation d’un gouvernement de coalition avec les Grecs indépendants – donc d’une répétition de la formule précédente –, Martin Schulz, président du Parlement européen, n’a pas hésité à lancer une attaque contre Tsipras en affirmant : « J’ai téléphoné une deuxième fois à Tsipras pour lui demander pourquoi il reconduisait la coalition avec ce parti étrange d’extrême droite. » Le proconsul Maarten Verwey n’est pas suffisant. Schulz comme d’autres eurocrates veulent une coalition avec le Pasok et To Potami pour assurer une plus grande stabilité gouvernementale.

Les représentants institutionnels et politiques des créanciers connaissent l’agenda politique et légal découlant du mémorandum, Chaque décision sera « supervisée » et la question de la « restructuration de la dette » servira de mise au pas permanente du gouvernement.

On peut, de manière résumée, dérouler ainsi cet agenda. Dans l’immédiat, il faudra réviser le collectif budgétaire pour 2015 et fixer les lignes de force du budget jusqu’en 2019. Fin octobre-début novembre, les inspecteurs béniront le budget nouveau-né dont ils ont surveillé la naissance. Puis s’enchaîneront : la réforme des retraites avec une première échéance en janvier 2016, une réduction drastique du financement des hôpitaux publics à hauteur de 22%, selon l’Association des médecins, etc. Pour les créanciers et la classe dominante grecque, la priorité durant l’automne sera de recapitaliser les banques grecques et d’éviter un « bail in » qui impliquerait, si cette recapitalisation n’est pas opérée avant décembre 2015, que les dépôts dits garantis, soit de 100’000 euros et en dessous, ne le soient plus. Il va sans dire que les dépôts supérieurs à 100’000 euros se sont évanouis entre 2010 et 2015.

Le gouvernement de coalition, représenté par Tsipras, sera le capitaine d’un bateau dont il ne tient pas la barre. Suivant les remous socio-politiques, l’exigence d’un élargissement de la coalition, y compris sous la forme d’un gouvernement « d’unité nationale », n’est pas à exclure.

Une première étape pour l’Unité populaire

Il est possible d’additionner les suffrages réunis par les formations (KKE, Unité populaire, Antarsya) se situant à gauche de Syriza. Pour l’heure, la seule conclusion d’une telle opération arithmétique est la suivante : il existe en Grèce un ensemble significatif de militant·e·s disposant d’un réseau social. Ce dernier sera testé dans les mois à venir. Au cours de cette phase électorale, la traduction politique du « non » du 5 juillet n’a pu être concrétisée. Les raisons caractérisées comme objectives doivent exister.

Pour l’Unité populaire, un bilan collectif sera certainement établi. L’angle d’approche adopté par des interventions de plusieurs porte-parole sur le thème euro-drachme semble avoir profité à l’offensive de la direction de Syriza. Pour des secteurs populaires, l’enjeu le plus immédiatement compréhensible et ressenti était celui des effets de la politique d’austérité. Dès lors, la présentation d’une sortie de l’euro comme nécessité contrainte pour faire aboutir des revendications vitales se rapportant aux besoins sociaux est politiquement la plus crédible. Faire du Grexit le point central d’une campagne politique consiste à faire de la conclusion ultime d’une bataille de classe contre le système politico-économique et institutionnel de l’euro le point de départ d’un programme. On peut dès lors douter de l’efficience de cette pédagogie programmatique en termes d’accumulation de forces sociales. Au même titre, une fois faite la caractérisation générale de la dette comme illégitime, insoutenable et odieuse, la liaison entre le refus de rembourser ne serait-ce qu’une fraction de cette dette et des besoins sociaux quantifiables immédiats (santé, éducation, etc.) est une articulation nécessaire pour créer une identification concrète entre refus de la dette et nécessités vitales.

Dans les semaines à venir, l’Unité populaire définira certainement sa configuration politique comme front politique. Il appartient à ses animateurs et animatrices de valoriser sa capacité de jonction avec des résistances sociales qui peuvent émerger sous les coups brutaux de l’application du troisième mémorandum. Dans ce sens, la dimension pour le moins européenne du combat engagé en Grèce est un défi qui s’adresse à des forces de la gauche radicale à l’échelle continentale.

Charles-André Udry
P.-S.

* « Grèce. Qui occupera la Villa Maximos ? » :
http://alencontre.org/europe/grece-qui-occupera-la-villa-maximos.html
Notes

[1] Article disponible sur ESSF (article 35912), Grèce : des marges de manoeuvre très limitées pour Alexis Tsipras – La logique du mémorandum va s’appliquer inexorablement.

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