Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/30/pour-une-veritable-securite-sociale-de-la-menstruation/
Un collectif d’autrices et militantes appelle à la création d’une sécurité sociale de la menstruation : « Il faut resocialiser la santé hormonale et menstruelle, en faire une affaire de santé publique, relevant du droit et non du marché »
Une des mesures fortes attendues pour cette rentrée 2024 est le remboursement des protections périodiques réutilisables pour les moins de 26 ans, sur présentation de la carte vitale en pharmacie, sans ordonnance. Annoncée en mars 2023, cette mesure était censée entrer en vigueur en septembre 2024 [1]. Nous l’attendons toujours. Et nous nous questionnons sur sa portée.
En effet, cette mesure est très limitée car elle ne concerne que les moins de 26 ans – comme si on cessait d’avoir des menstruations, ou d’être précaire au-delà de cet âge. En réalité, les besoins liés au cycle menstruel et à la santé gynécologique deviennent de plus en plus importants avec le temps : ils augmentent, par exemple, suite à un accouchement ou à l’occasion de la ménopause. En outre, il n’y a pas que les jeunes qui subissent la précarité menstruelle : l’étude utilisée par le gouvernement pour soutenir sa mesure [2] montre que les catégories les plus touchées sont les étudiant·es, mais aussi les mères célibataires.
De plus, cette mesure ne propose rien aux personnes n’ayant pas de carte vitale – celles qui viennent d’arriver en France, celles qui sont en situation d’exclusion administrative, celles qui sont au régime de l’AME et non de la sécurité sociale. Ni non plus, aux personnes qui, du fait de leurs conditions de travail ou de vie, ne peuvent utiliser d’absorbants réutilisables.
Enfin, au-delà des absorbants, qu’en est-il des consultations médicales – la gynécologie médicale étant la spécialité pratiquant le plus fort taux de dépassement d’honoraires ? Des antalgiques ou autres médications prescrites contre les effets des cycles hormonaux au quotidien ? Des informations et savoir-faire nécessaires pour utiliser ces produits, et comprendre ce que sont le cycle menstruel, la santé gynécologique, la ménopause ?
Qu’en est-il du temps de repos ? C’est aussi une ressource nécessaire pour certaines personnes, car les cycles hormonaux ont, tout au long de la vie, des conséquences considérables sur le travail et sa pénibilité. Une partie de cette pénibilité a été brièvement débattue en début d’année 2024, suite à deux propositions de loi pour un « congé menstruel » (déposées, l’une par le PS au Sénat et l’autre par les écologistes à l’Assemblée Nationale). Sans surprise, ces propositions de loi ont été rejetées par le gouvernement, arguant de différents prétextes : du coût de la mesure pour les finances publiques (sans se préoccuper du coût individuel pour les personnes concernées) à sa redondance (les modalités actuelles de prise de congé suffiraient [3]), en passant par la présomption d’abus qu’en feraient les femmes (on sait pourtant que le présentéisme touche particulièrement les femmes).
Ces propositions auraient pu être de petites avancées pour le bien-être d’une minorité de personnes menstruées – celles qui ont des règles « incapacitantes ». Or, les cycles hormonaux et la procréation peuvent avoir d’autres effets, souvent difficiles à concilier avec l’école, le travail, le quotidien : syndrome pré-menstruel, effets des traitements hormonaux, démarches d’aide médicale à la procréation dont les effets sont incomparables entre hommes et femmes, prises de pilule du lendemain, retours de couches, allaitements, premiers mois de grossesse sous silence, pré à post-ménopause… Les propositions de loi nécessitaient un voire plusieurs justificatifs médicaux dans l’année, frein administratif majeur et obligation d’évaluation par un corps médical qui fait preuve de défiance vis-à-vis de la parole des femmes. Enfin, la pénibilité de la vie hormonale est toujours considérée indépendamment de toute autre pénibilité genrée (violences sexistes et sexuelles, souffrance au travail particulière des femmes [5], inégalités de revenus, de pouvoir, etc). Celles-ci participent pourtant à l’épuisement de la moitié de la population qui s’efforce tant bien que mal, dans le silence des tabous, de concilier la vie hormonale et procréative avec la vie active.
Face à ces manquements, nous défendons une véritable sécurité sociale de la menstruation inconditionnelle [6] et démocratique : garantissant l’accès à un congé hormonal et menstruel sans justificatif médical et à des produits menstruels conventionnés, pour toute personne qui en fait la demande, par le biais des cotisations sociales. Ce sujet relève du droit et du service public, car c’est de santé qu’il s’agit, et la santé ne peut être laissée aux lois du marché, ni aux politiques discriminatoires et anti-migrant·es dont les récents gouvernements se sont rendus coupables. Nous demandons des absorbants, mais aussi de bonnes informations, des espaces et des temps de repos, des infrastructures sanitaires (eau, WC, gestion des déchets), des soins gratuits et plus généralement des conseils et échanges autour des cycles hormonaux et de leur évolution au cours de la vie, loin des représentations hygiénistes, sexistes et âgistes sur lesquelles les industries menstruelles ont fondé leur communication. La « précarité menstruelle » ne naît pas seulement du manque d’argent, c’est un problème global : une société dans laquelle l’hôpital est attaqué, où s’étendent les déserts médicaux, où les soins sont de plus en plus chers, où la recherche publique et le travail social sont sous-financés, où l’information non publicitaire est rare, produit aussi de la précarité menstruelle.
Il faut resocialiser la santé hormonale et menstruelle, en faire une affaire de santé publique, relevant du droit et non du marché. On pourra alors parler de justice menstruelle.
Premières signataires :
Annabel Brochier, ergonome et psychologue, spécialisée en santé des femmes au travail
Jeanne Guien, chercheuse indépendante, autrice d’Une histoire des produits menstruels
Lanja Andriantsehenoharinala, médecin généraliste, impliquée en santé gynécologique et sexuelle
Élise Thiébaut, autrice de Ceci est mon sang. Histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font
Cécile Thomé, chercheuse, spécialisée en sociologie de la contraception, Sciences po, Centre de sociologie des organisations
Aurore Koechlin, chercheuse, spécialisée en sociologie de la gynécologie
Marion Coville, co-organisatrice du festival Les Menstrueuses
Héloïse Morel, co-organisatrice du festival Les Menstrueuses
Stéphanie Tabois, co-organisatrice du festival Les Menstrueuses
Laetitia Della Bianca, sociologue, Université de Lausanne
Camille Frémont, experte CSE – Santé au travail
L’association Pour une M.E.U.F. (Pour une Médecine Engagée, Unie et Féministe)
Cette tribune pour une Sécurité Sociale de la Menstruation est ouverte. Si vous souhaitez la signer, merci d’écrire à l’adresse :
tribunessm@proton.me
[1] En mars 2023, E. Borne avait annoncé cette mesure pour « l’année prochaine ». Par la suite, des publications gouvernementales ont annoncé une entrée en vigueur « courant 2024 », tandis que des publications de professionnels du secteur (mutuelles, forum AMELI) annonçaient septembre.
[2] Règles Élémentaires et Opinion Way, Les protections périodiques, un luxe pour 44 millions de femmes en France. Enquête exclusive sur la précarité menstruelle, février 2023.
[3] « Aucun chiffrage fiable du coût d’une telle mesure n’a été réalisé. Cependant, la simple suppression du jour de carence pour les arrêts de travail menstruels liés à l’endométriose coûterait environ 100 millions d’euros par an à la Sécurité sociale. Un congé menstruel de deux jours par mois, accordé à toutes les femmes souffrant de dysménorrhées, se chiffrerait donc en milliards d’euros. C’est malheureusement inenvisageable, au vu de l’état actuel de nos finances sociales. » Débats sénatoriaux du 15 février 2024 – Santé et bien-être des femmes au travail.
[4] « Notre réflexion médicale est sexiste et raciste : une étude sur les urgences montre des discriminations dans la prise en charge des malades », France 3 Région, janvier 2024. ; « La douleur des femmes est sous-estimée par le corps médical, et ce n’est pas sans conséquence », Sciences et avenir, septembre 2024.
[5] « Le travail est plus souvent un milieu défavorable à la santé physique et psychique pour les femmes. » Des inégalités de santé persistantes entre les femmes et les hommes, Santé publique France, mars 2024.
[6] L’expression, ainsi qu’un certain nombre de principes économiques, sont empruntés au mouvement pour la Sécurité sociale de l’alimentation. À ce sujet voir « Encore des patates ? », brochure publiée par le Collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation, ou L’Atelier paysan, Reprendre la terre aux machines. Manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire, Seuil, coll. « Anthropocène », Paris, 2021.
Bonjour
Merci de nous avoir fait parvenir vos textes.
Voici le lien de la publication
https://www.pressegauche.org/Reaction-des-associations-feministes-a-la-nomination-du-gouvernement
N’hésitez pas à nous en faire parvenir d’autres
Merci de collaborer avec Presse toi à gauche
Ginette
rédaction Presse toi à gauche
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