L’urgence climatique
Les changements climatiques sont déjà une réalité et ils se produisent plus rapidement que prévu. Au niveau actuel de 1°C de réchauffement, nous commençons à voir les conséquences à travers des conditions météorologiques de plus en plus extrêmes et la hausse du niveau de la mer. Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C – température au-delà de laquelle même un demi degré d’augmentation aggravera considérablement les risques de sécheresse, d’inondations, de chaleur extrême et de pauvreté pour des centaines de millions de personnes – les plus grands scientifiques du climat sur la planète ont prévenu que nous n’avons qu’une douzaine d’années pour agir. Ils disent aussi que c’est abordable et réalisable. Au fond, l’élément clé qui fait défaut aujourd’hui, c’est la volonté politique. Sur la base des engagements actuels des États, le monde se dirige vers un réchauffement de 3°C. Une telle situation aurait des conséquences graves, en particulier pour les jeunes générations.
Une approche féministe de la justice climatique
Les pays industrialisés et les sociétés multinationales sont largement responsables de la crise climatique actuelle. Les effets des changements climatiques, toutefois, sont plus durement ressentis par les personnes qui sont le moins responsables du problème : les communautés dans les pays du Sud et les communautés à faible revenu dans les pays industrialisés du Nord. Ce sont également les personnes qui ont le moins accès aux ressources et à la technologie pour s’adapter aux conséquences et agir pour réduire leurs émissions.
La justice climatique signifie aborder la crise climatique non seulement comme un problème environnemental, mais comme un problème de justice sociale complexe, en plaçant au centre les populations qui sont les plus vulnérables à ses effets. Cela suppose de s’attaquer aux causes profondes de la crise climatique, y compris les modes de production, la consommation et le modèle d’accords commerciaux tout en faisant des progrès en termes d’équité ainsi que de protection et de réalisation des droits humains.
Une approche féministe de la justice climatique signifie donc d’aborder la question des changements climatiques comme un problème social complexe, mais également à travers une analyse genre intersectionnelle des relations de pouvoir inégales basées sur le genre et d’autres caractéristiques, comme le statut socio-économique, la race, l’origine ethnique, la nationalité, la capacité, l’orientation sexuelle, l’âge, etc. Ce type d’analyse vise particulièrement les causes profondes des inégalités, la transformation des rapports de pouvoir et la promotion des droits des femmes.
Les femmes en situation de vulnérabilité face aux effets des changements climatiques
Les changements climatiques affectent de manière disproportionnée les groupes sociaux les plus vulnérables. Les femmes et les filles, en raison notamment des rôles et des tâches qui leurs sont attribuées (s’occuper des terres, aller chercher l’eau, s’occuper des enfants et de la famille) et des discriminations (accès restreint aux ressources et à l’éducation) auxquelles elles font face dans de nombreuses régions du monde, sont affectées davantage que les hommes par les effets des changements climatiques. Par exemple, dans le cas d’une catastrophe naturelle, le risque de décès est 14 fois plus élevé chez les femmes et les enfants que chez les hommes. Le risque de violence et d’agressions sexuelles augmentent aussi pour les femmes et les filles pendant les déplacements causés par des événements climatiques extrêmes. Et les effets des changements climatiques ont des conséquences désastreuses sur leur santé (insécurité alimentaire, fatigue, chaleur, maladies hydriques), leur sécurité, leurs droits et leur situation économique (perte de récolte, couts plus élevé de la nourriture, achat d’eau, moins de temps pour occuper un emploi).
Les changements climatiques et la migration forcée
Selon l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) , il y a actuellement plus de 68 millions de personnes déplacées de force dans le monde. Parmi celles-ci, il y a 25 millions de personnes réfugiées, 3 millions de demandeur-e-s d’asile et plus de 40 millions de personnes déplacées. Beaucoup d’entre elles ont été contrainte de quitter leur foyer en raison de catastrophes naturelles ou de la dégradation de l’environnement. Pour les femmes et les filles, les déplacements forcés et le temps passé dans les camps de réfugié-e-s augmentent de manière importante les risques de subir diverses formes de violence, y compris des violences sexuelles.
Selon la Convention de Genève, une personne réfugiée est une personne qui a été forcée de fuir son pays à cause de la persécution, de la guerre ou de la violence. Parce qu’elles ne sont pas couvertes par cette définition, les personnes qui sont forcées de fuir à cause d’événements climatiques ne peuvent actuellement pas se voir accorder le statut de réfugié et ne sont donc pas protégées par le droit international. Comme l’actuel secrétaire général des Nations Unies et ancien Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, António Guterres, l’a souligné : « Il y a une lacune sur le plan de la protection dans le système international qui doit être comblée ». Il s’agit d’un enjeu important pour les femmes puisque des études ont montré que jusqu’à 80 % des réfugié-e-s et des personnes déplacées dans le monde sont des femmes et des filles.
Les femmes sont des agents de changement
Les femmes ne sont pas simplement des victimes des changements climatiques : elles sont aussi et surtout des actrices de changements et des porteuses de solutions. Lors de catastrophes naturelles, par exemple, les femmes peuvent jouer un rôle central lorsqu’elles sont incluses dans les réponses grâce à leur connaissance des réseaux sociaux leur permet de savoir plus rapidement qui sont les victimes potentielles, où elles se trouvent et les différents besoins des femmes, des hommes, des filles et des garçons. De plus, les femmes sont à l’avant-garde de stratégies d’adaptation aux changements climatiques. Les femmes, et particulièrement les femmes autochtones, vivent souvent en lien étroit avec leur environnement, en ont une connaissance approfondie et jouent un rôle de premier plan dans sa défense, sa préservation et sa protection.
Les connaissances environnementales des femmes autochtones en particulier ont été sous-évaluées et pourraient apporter une contribution importante à la recherche et l’élaboration de politiques sur les changements climatiques. Les peuples autochtones ont une connaissance approfondie des territoires qui sont la source de leur subsistance depuis des générations. Leurs connaissances sont beaucoup plus fines que la science sur les échelles spatiale et temporelle, et incluent la compréhension de la manière de faire face et de s’adapter à la variabilité et aux tendances environnementales. Les femmes autochtones qui utilisent les zones forestières pour leur subsistance, par exemple, génèrent des connaissances utiles et spécifiques à travers leurs pratiques quotidiennes de collecte de semences, d combustible et de fourrage.
Diverses études soulignent le lien direct entre la sous-représentation des femmes dans les instances décisionnelles et la méconnaissance des mécanismes de réduction de gaz à effets de serre. Cette sous-représentation compromet sérieusement l’efficacité des mesures de lutte aux changements climatiques, qui nécessitent l’implication de l’ensemble des parties prenantes. De plus, les femmes demeurent largement minoritaires dans les instances décisionnelles et d’élaboration des politiques publiques, fait illustré de manière frappante à la COP 21, où seulement 7% des leaders gouvernementaux étaient des femmes.
Nous saluons la collaboration du Canada avec la Women’s Environment and Development Organization pour former de nouvelles négociatrices à la Convention-cadre des Nations sur les changements climatiques (CCNUCC) provenant de la région des Caraïbes. Le Canada a aussi financé la participation de deux femmes qui ont agi à titre de négociatrices pour leur pays d’origine à la COP 23. Ce travail doit être renforcé pour inclure la participation de négociatrices d’autres pays, et de pays africains en particulier.
La cohérence des politiques pour la justice climatique féministe et les droits des femmes
Les énergies fossiles sont le principal moteur des changements climatiques. Pourtant, les pays du monde subventionnent encore cette industrie à hauteur de 500 milliards de dollars par année. Le gouvernement canadien lui-même a offert en moyenne 10 milliards de dollars par année de subventions à l’industrie des combustibles fossiles entre 2012 et 2017. Ces subventions sont incohérentes avec les objectifs de maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 1,5°C et réaliser les droits des femmes. En fait, pour assurer la cohérence des politiques en faveur de la justice climatique et des droits des femmes, le Canada devrait commencer par faire sa juste part en matière de financement climatique et d’aide publique au développement (APD).
Le financement climatique
Lors de la COP15 à Copenhague en 2009, les pays « développés » ont convenu de fournir aux pays en développement au moins 100 milliards de dollars par année en financement climatique, à partir de 2020, pour l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques. La juste part du Canada dans le cadre de cet engagement a été estimée à 4 % du 100 milliards et à 1,9 milliard de dollars par année de financement bilatéral. Le Canada s’est engagé à accroître sa contribution en 2020 pour 2020 pour atteindre 800 millions de dollars par année, ce qui représente moins de la moitié de notre juste part.
L’APD et la Politique d’aide internationale féministe (PAIF)
Le Canada affirme être un chef de file en matière de droits des femmes et d’égalité des genres et de droits des femmes. Bien que les discours, les conférences et les politiques soient utiles, il est maintenant temps de passer à l’action et d’investir dans des domaines qui permettent de faire avancer les droits des femmes dans le monde plutôt que les intérêts des grandes entreprises du secteur des énergies fossiles. Aujourd’hui, le Canada a une Politique d’aide internationale féministe (PAIF), mais sa contribution à l’APD est parmi les plus faibles dans les pays de l’OCDE (le Canada se classe au 16e rang sur 22 pays donateurs). Le Canada, dans un rapport à la CCNUCC, que « le financement climatique du Canada mettra l’accent sur le renforcement du pouvoir des femmes et des filles, et sur l’égalité des genres. » Il reste encore du travail à faire pour que les futurs plans du Canada en matière de financement climatique soient sensibles au genre et fassent la promotion d’une approche féministe de l’aide climatique internationale.
L’objectif internationalement reconnu pour l’APD des donateurs comme le Canada a été établi il y a déjà plusieurs décennies à 0,7 % du revenu national brut (RNB) des pays. En 2017-2018, le Canada a consacré 0,25 % de son RNB à l’APD (autour de 5,3 milliards de dollars), moins de la moitié de sa juste part (qui se situerait à un peu plus de 14 milliards de dollars). En fait, la contribution du Canada à l’APD est à un niveau historiquement bas et est deux fois moins généreuse qu’elle ne l’était en 1991-1992.
Si le Canada est sérieux au sujet de la justice climatique et des droits de la femme, il peut faire sa juste part en investissant un montant supplémentaire de 10 milliards de dollars dans le financement climatique (1,1 milliard) et l’APD (9 milliards). Il s’agit en fait du même montant que le pays consacre actuellement aux subventions à l’industrie des combustibles fossiles. L’argent est là. Ce dont nous avons besoin, c’est de la volonté politique.
Demandes
1. Soutenir plus efficacement le leadership des femmes, et des femmes autochtones en particulier, en matière d’adaptation et d’atténuation des changements climatiques par l’application d’une approche féministe dans les plans de financement. En particulier, encourager le développement de projets spécifiques liés au genre et au climat dans les pays qui font face aux plus grands impacts des changements climatiques.
2. En reconnaissance des profondes connaissances des femmes sur les questions environnementales, et des femmes autochtones en particulier, tel que souligné dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DDPA), assurer et soutenir leur participation effective aux instances décisionnelles chargés de l’élaboration et de l’application des politiques sur les changements climatiques à l’échelle internationale, nationale et locale.
3. Mettre fin aux subventions aux combustibles fossiles et investir plutôt cet argent pour s’assurer que le Canada fasse sa juste part en matière de financement climatique et d’aide publique au développement d’une manière tenant compte du genre.
4. Assumer un rôle de leadership sur la scène internationale pour combler les lacunes en matière de protection des réfugiés climatiques.
5. Identifier des indicateurs clairs et suivre les progrès accomplis dans l’intégration d’une perspective de genre et intersectionnelle dans toutes les politiques et programmes liés aux changements climatiques, en tenant compte des impacts différenciés de ces derniers sur les femmes, et sur les femmes autochtones en particulier, sur leurs droits et sur leurs moyens de subsistance.
6. Réduire les inégalités structurelles entre les genres (l’accès aux ressources, à la terre, à l’éducation, etc.) et défendre les droits des femmes afin de permettre aux femmes et aux filles de mieux faire face aux effets des changements climatiques et se préparer aux potentielles catastrophes, au Canada et à l’international.
L’AQOCI tient à remercier le Carrefour de solidarité internationale de Sherbrooke, le CECI, l’ŒUVRE LÉGER, Oxfam-Québec, les YMCA du Québec ainsi que la délégation jeunesse pan canadienne à Women Deliver pour leur participation à l’élaboration de ce document de plaidoyer.
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