Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Pour les électeurs environnementalistes, il est difficile d'aimer les libéraux

L’apparition dans les stations-service d’Ontario, à la fin du mois d’août, d’autocollant anti-taxe carbone sur les pompes à essence, gracieuseté du gouvernement de Doug Ford, rappelle que les questions environnementales seront centrales dans cette campagne électorale fédérale, qui débute officiellement aujourd’hui.

Tiré de The conversation.

L’Ontario et la Saskatchewan interjettent toutes deux appel, devant la Cour suprême du Canada, des décisions rendues par les tribunaux de leur propre province selon lesquelles le système fédéral de fixation du prix du carbone est constitutionnel.

Les libéraux, les néo-démocrates et les verts sont tous en faveur d’un régime national de tarification du carbone pour lutter contre les changements climatiques. Les néo-démocrates et les verts soutiennent que leur approche est plus vigoureuse que celle des libéraux.

Les conservateurs d’Andrew Scheer, pour leur part, tout en reconnaissant que les changements climatiques sont un problème important, s’opposent à toute forme de tarification globale du carbone. Ils ont proposé une taxe sur les grandes industries qui émettent des gaz à effet de serre au-delà d’une limite qu’ils n’ont pas encore fixée.

Bien que semblable à certains égards au mécanisme de tarification du carbone fondé sur les extrants des libéraux, leur proposition s’arrête là. Les sources visées par la proposition conservatrice représentent, au mieux, environ la moitié des émissions du Canada. Il n’y a pas de véritable plan pour le reste, si ce n’est un programme d’amélioration du rendement énergétique des maisons et des investissements dans la recherche et les nouvelles technologies.

Les changements climatiques, un enjeu clé

Les sondages d’opinion ont montré que les Canadiens sont de plus en plus préoccupés par les changements climatiques. Ils ont pris connaissance du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ont vu les feux de forêt sans précédent survenus dans l’Ouest canadien et en Ontario au cours des dernières années, ainsi que les inondations du printemps dernier en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick.

Une grande majorité des Canadiens semblent maintenant prêts à accepter une certaine forme de tarification du carbone.

La stratégie libérale visera donc à répéter les éléments clés de la campagne de 2015 qui ont mené à leur victoire. Il y a quatre ans, les libéraux ont cherché à attirer les électeurs modérés et progressistes qui, autrement, auraient pu voter pour le NPD, le Parti vert ou le Bloc québécois comme la meilleure option pour empêcher une victoire du parti Conservateur et de fait, une défaite pour la cause environnementale.

Pourtant, les libéraux se sont créé bien des problèmes depuis. Le plus important et le plus controversé a été le fort appui qu’ils ont apporté à l’achat et l’expansion du pipeline Trans Mountain, entre l’Alberta et la Colombie-Britannique.

L’augmentation de la production des sables bitumineux, facilitée par le gazoduc Trans Mountain et d’autres pipelines, pourrait saper une grande partie des gains en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre par la tarification du carbone et d’autres mesures.

L’élimination progressive de l’électricité alimentée au charbon s’est accrue, mais une norme à faible teneur en carbone dont on a beaucoup parlé n’a pas encore vu le jour.

Autres maux de tête pour les libéraux

Des complications surviennent également dans d’autres dossiers.

L’une des principales caractéristiques de la plate-forme libérale de 2015 était l’engagement à « rétablir les protections » perdues en raison des changements apportés au processus fédéral d’évaluation environnementale, à la Loi sur les pêches concernant l’habitat du poisson et à la Loi sur la protection des eaux navigables. Les changements étaient contenus dans le fameux projet de loi C-38 de l’ancien premier ministre Stephen Harper.

Le résultat final des efforts des libéraux - sous la forme des projets de loi C-68 et C-69, adoptés en juin - est mitigé. Les meilleurs résultats se trouvent dans le projet de loi C-68 puisqu’il rétablit et, selon certains, améliore les dispositions de la Loi sur les pêches relatives à la protection de l’habitat du poisson.

Le projet de loi C-69 est nettement plus modeste. Il a fait l’objet d’une opposition véhémente de la part des sénateurs de l’Ouest canadien et des conservateurs - et pas du tout justifiée. En effet, les dispositions du projet de loi concernant les eaux navigables ne modifient en rien le cadre C-38 du gouvernement Harper.

La situation en ce qui concerne le processus fédéral d’évaluation n’est guère mieux. Le projet de loi contient de modestes améliorations au processus d’évaluation par rapport à la version C-38 - notamment la suppression des restrictions sur la participation du public et l’exigence de meilleures justifications dans les décisions d’évaluation.

Toutefois, le nouveau règlement annoncé cet été exemptera les projets à fortes émissions de carbone de l’obligation de faire l’objet d’une étude d’impact fédérale. Ironiquement, ce volte-face de dernière minute des libéraux dans le secteur des ressources naturelles n’a rien fait pour gagner des appuis dans l’Ouest canadien - le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney a déclaré, qu’il a l’intention de contester la loi de toute façon.

Voter en tant qu’écologiste

Compte tenu d’un bilan libéral mitigé et d’un parti conservateur qui offre peu d’espoir de progrès mais plutôt des risques très réels de sérieuses réductions d’effectifs, que doivent faire les électeurs soucieux de l’environnement ?

La situation se complique encore davantage par le fait que les néo-démocrates de Jagmeet Singh semblent avoir commencé la campagne électorale dans un désarroi complet, en dépit des efforts considérables déployés pour établir leur bonne foi environnementale et ce, même au prix de s’aliéner l’ancien gouvernement néo-démocrate de Rachel Notley, en Alberta, au sujet du pipeline Trans Mountain. Le parti fait maintenant face à des défis de plus en plus sérieux de la part des verts d’Elizabeth May dans certaines régions du pays.

À l’échelle nationale, le Parti vert semble bien placé pour battre son précédent record de 940 000 voix aux élections d’octobre 2008.

Un défi majeur pour les verts réside dans le fait que leurs électeurs sont dispersés à travers tout le pays, ce qui signifie que leurs succès se traduisent rarement en sièges. En fait, l’impressionnante performance électorale du parti en 2008 n’a fait élire aucun député à la Chambre des communes.

Les verts devraient faire mieux cette fois-ci, renforcés par les bons résultats obtenus par les quelques députés récemment élus au niveau provincial en Colombie-Britannique, en Ontario ainsi qu’à l’Île-du-Prince-Édouard.

Des sièges dans le sud de la Colombie-Britannique, sur l’île de Vancouver, dans les provinces de l’Atlantique et ailleurs, comme dans la région de Kitchener-Waterloo-Guelph en Ontario, sont très possibles. Est-ce que cela sera suffisant pour maintenir un équilibre des pouvoirs dans ce qui pourrait être un gouvernement minoritaire ?

En même temps, voter vert risque de diviser davantage le vote environnemental, ce qui aiderait les conservateurs, surtout dans les courses serrées.

Il y a aussi un risque réel que les électeurs plus jeunes choisissent de ne pas voter du tout en raison de choix jugés peu attrayants. Étant donné la base très loyale et fiable des conservateurs, cette tendance pourrait jouer en leur faveur.

Il ne fait aucun doute que cette élection aura un impact majeur sur les efforts du Canada pour lutter contre les changements climatiques. Mais les choix disponibles sont un sérieux dilemme pour les électeurs canadiens.

Les campagnes électorales servent souvent à clarifier les enjeux. Cette course est susceptible de mettre les projecteurs sur la cause environnementale.

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

Mark Winfield

Professeur à l’Université York à Toronto.

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