Édition du 18 février 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Petite incursion dans le Trumpland

Du 2 au 4 juin avait lieu la rencontre annuelle du Left Forum à New York. Il s’agit d’un processus aminé par des universitaires de gauche (profs et étudiant-es) qui prend la forme d’ateliers, de plénières et de débats, selon un agenda déterminé par les participant-es eux-mêmes. Le programme est toujours rempli (372 sessions !) et accueille environ 2000 personnes, en grande majorité des États-Unis, mais aussi du Canada et du Québec.

La tornade

Depuis son intronisation, Donald Trump a pris tout le monde par surprise. Cela a beaucoup à voir avec la personnalité du nouveau président, dont les frasques et les grossièretés ne cessent de s’accumuler. Sur le fonds cependant, Trump essaie d’être « loyal » (si ce mot peut lui être associé) aux thèmes de l’extrême-droite républicaine en promettant le « nettoyage » de l’État. Il a en effet annoncé que les budgets dévolus à la santé, l’éducation et l’assistance sociale seraient amputés de 1000 milliards de dollars. 50 % des personnes qui ont eu accès à l’assurance-santé sous l’administration précédente vont perdre leur protection. À l’inverse, c’est l’extase du côté de l’armée (603 milliards de dollars de +, soit 9 % de + par rapport à 2017). Sur les grands dossiers, c’est la même tendance, comme par exemple au niveau de l’environnement. C’est tellement radical qu’une partie de la bourgeoisie s’inquiète, même si elle applaudit les baisses d’impôts (de 35 à 15%). Une bonne partie de Wall Street et de la Silicon Valley, les deux grands pôles du capitalisme états-unien craigne la déstabilisation s’annonce dans le sillon d’une profonde dislocation sociale. Elle craint aussi l’abandon de tout engagement à réduire les dommages causés par l’environnement qui viendront du retrait de l’accord de Paris.

Le retour des vieux démons

Ce virage est accompagné d’une transformation du dispositif idéologique mis en place par Trump. En traitant les Mexicains de voleurs et de violeurs, le président a ressuscité des blessures jamais refermées d’une société qui à l’origine, s’est construire sur le racisme, contre les Autochtones d’abord, puis contre les esclaves dont les descendants sont les 35 millions d’Africains-Américains d’aujourd’hui. Aujourd’hui, les Latinos sont devenus la cible même s’ils sont indispensables au capitalisme « sauvage » qui est imposé dans l’agriculture et la construction, et où les « illégaux » vivent dans la pauvreté et l’exclusion. Depuis quelques temps, les expulsions ont commencé à frapper des milliers de personnes, dont plusieurs résident aux États-Unis depuis des années. En Floride et en Californie par exemple, les immigrants, « légaux » comme « illégaux », vivent terrés chez eux, espérant la sollicitude de leurs employeurs qui souvent veulent les garder. Parallèlement, on observe la montée de groupes qui n’ont plus peur de s’afficher et d’agresser non seulement des immigrant-es, mais ceux et celles qui manifestent contre Trump. Des réseaux plus larges, comme ceux associés au Tea Party, disent que les États-Unis doivent redevenir un pays essentiellement blanc et chrétien. Fait à noter, ce virage remet en question les droits acquis par les femmes dans le cours des batailles pour les droits reproductifs, aujourd’hui menacés par un grand nombre d’États.

L’Empire déclinant

Trump a surpris beaucoup de monde en attaquant les alliés-subalternes (États-membres de l’Union européenne, le Mexique, le Canada), tout en dénigrant l’OTAN et l’ALÉNA. Il visait avec cela à conforter ses électeurs qui pensent que les États-Unis se sont fait « avoir » avec la mondialisation. En réalité, ce retour vers l’unilatéralisme et le protectionnisme tombe mal pour l’Empire déclinant, aux prises avec la compétition féroce des pays émergents, et ce dans un système globalisé où les capitaux, y compris les capitaux américains, sont transnationalisés. On comprend que cela passe mal parmi les grands opérateurs économiques et dans le fonds, il s’avère que Trump n’a pas d’idée comment gérer cela au-delà de déclarations bling-bling sans lendemain. Sur un autre registre, Trump est également incapable de réparer les pots cassés au Moyen-Orient et en Asie centrale. Ses gesticulations n’affaiblissent pas vraiment (jusqu’à date) ses adversaires comme l’Iran et la Russie qui étendent leur influence en Syrie, en Irak et ailleurs. Entre-temps, les pétromonarchies du golfe sont empêtrées dans leurs propres crises avec une monstruosité appelée l’Arabie Saoudite qui est derrière les dérives djihadistes tout en appuyant les États-Unis et Israël (cherchez l’erreur !), tout en créant un véritable génocide au Yémen. La gestion erratique de ces conflits par Washington est intiment liée à la nécessité d’entretenir l’idée de la « menace terroriste » qui sert de prétexte en or pour accentuer la militarisation et la suppression des droits. Au total et à la fin, on constate que l’influence et les capacités d’intervention des États-Unis dans le monde sont à la baisse presque partout.

Une impasse politique en sursis

Pour le moment, les Républicains qui dominent la Chambre des représentants, le Sénat et la majorité des législatures des États, ont peur de trop contester le président, tout en s’inquiétant des conséquences que la dérive actuelle pourrait avoir sur les élections de mi-parcours à l’automne 2018, notamment au Sénat où la majorité républicaine est ténue. Leur politique devient de plus en plus ambiguë au point où on remet en question la santé mentale de Trump ! Le défi est plus grand du côté des Démocrates. La défaite d’Hillary Clinton a révélé les fractures d’un parti qui a abandonné ses héritages rooseveltiens et keynésiens pour courtiser les « gagnants » de la mondialisation néolibérale de Wall Street et de la Silicon Valley. Une partie importante de sa clientèle traditionnelle s’est éloignée. Pendant sa campagne électorale désastreuse, Clinton n’a jamais été intéressée à parler aux couches populaires et moyennes affectées par la dislocation qui s’est aggravée sous le règne démocrate d’Obama et avant de son mari Bill. Aujourd’hui, on voit bien que ce parti qui s’appuyait traditionnellement sur le mouvement syndical, les communautés africaines-américaines et les intellectuelles est en profonde perte de vitesse, au point où on se demande où iront les 14 millions de gens qui ont appuyé Bernard Sanders lors des primaires démocrates. Il est évident qu’il y en a beaucoup qui se sont abstenus en novembre dernier. Malgré les sévères critiques adressées à Clinton par les médias intellectuels comme The Nation et the New York Review of Books, Clinton reste au cœur du dispositif qui consiste à garder le Parti Démocrate au diapason des élites économiques.

Mobilisations fragmentées

Depuis janvier, les mobilisations contre Trump n’ont cessé à commencer par la grande manifestation des femmes à Washington (500 000 personnes). Le 29 avril, 200 000 personnes ont marché pour l’environnement. Le 1er mai, des dizaines de milliers sont sortis dans la rue contre les menaces contre les immigrant-es et des dizaines de villes se sont déclarées « zones sanctuaires ». Des scientifiques et des universitaires sont en mouvement contre le climat de censure et d’intolérance qui devient de plus en plus important sous l’influence de l’extrême-droite chrétienne. Il y a cependant quelques grands « absents » dans le mouvement anti-Trump. La grande centrale syndicale AFL-CIO reste en retrait, alors que plusieurs de ses syndicats-membres appuient Trump pour ses grands projets d’infrastructure. Parallèlement, les organisations africaines-américaines sont attentistes, en partie parce que leur leadership reste sous l’influence des Clinton. L’objectif reste d’affaiblir Trump via les scandales qui l’éclaboussent (comme les liens entre son entourage et la Russie) et de viser l’élection de 2018, sans de « débordement » populaire.

Un regain encore timide à gauche

Dans ce contexte assez lourd, il y a des tentatives pour remettre un projet de gauche sur pied, non pas comme un ensemble fragmenté et disparate de « causes », mais comme une perspective politique large. Sur cela, la gauche américaine a toujours été divisée entre ceux qui pensaient construire un projet progressiste au sein du Parti Démocrate, et les autres qui espéraient ériger une convergence progressiste autonome. En réalité, le débat n’a jamais été tranché et en fin de compte, on est restés divisés. Mais aujourd’hui, il y a des éléments qui peuvent laisser penser qu’un changement est possible. La débâcle décrite plus haut du Parti Démocrate est un facteur. Le danger que représente la grande « transformation » imaginée par les Républicains et Trump est un autre. Il y a aussi des facteurs internes. Les mobilisations des dernières années, y compris celle du mouvement Occupy en 2012 et 2013, et plus récemment celles des Africains-Américains (Black Lives Matter) et d’autres ont révélé la faiblesse des initiatives dispersées, sans être capables repenser le politique et l’action politique. C’est extrêmement difficile aux États-Unis à cause du dispositif réactionnaire autour des deux grands partis, mais maintenant, on le dit ici et là, il faut réessayer.

De nouvelles initiatives

C’est entre autres l’initiative des Democratic Socialists of America (DSA), qui sont les héritiers de la tradition social-démocrate et qui depuis quelques temps connaissent un afflux de jeunes écologistes, étudiant-es et féministes. L’idée de la convergence fait également son chemin dans la nébuleuse d’extrême-gauche, traditionnellement répartie entre plusieurs micro-partis, et où, le sentiment d’urgence aidant, on cherche à créer diverses alliances inédites, notamment au niveau municipal. Finalement quand on tient compte des mouvements sociaux dynamiques, de l’ancienne gauche Démocrate qui évolue vers les DSA et les militantes de gauche actifs ici et là, c’est une force considérable qui émergera, si et seulement si une grande alliance arc-en-ciel apparaît. C’est ce qui explique d’ailleurs l’intérêt constaté par les camarades états-uniens, lors de la rencontre de New York, pour l’expérience de Québec Solidaire.

Péril en la demeure

Les États-Unis se retrouvent aujourd’hui dans une situation fragile qui est quelquefois difficile à percevoir, puisqu’ils restent LA superpuissance (l’ « hyperpuissance », comme le disait l’ancien ministre des affaires extérieures français Hubert Védrine). Ils continuent de disposer d’une indéniable supériorité militaire, qui leur permet d’intervenir partout, même si les résultats sur le terrain (comme on l’a vu en Afghanistan et en Irak) sont mitigés. On ne peut nier non plus l’avancée américaine dans la haute technologie qui se concentre à Silicon Valley, même si, à chaque jour, la Chine, l’Inde et d’autres États comblent leurs retards dans ce domaine. Verre à moitié plein, verre à moitié vide, l’Empire américain demeure, mais le déclin est bien palpable, comme l’avaient perçu, il y a déjà 20 ans, les néoconservateurs américains qui ont pris le pouvoir avec George W. Bush en 2001. A ce moment pensaient-ils, la relance de la « guerre sans fin » permettrait aux États-Unis de perpétuer leur domination et de faire du vingt-et-unième siècle un « siècle américain ». Cela n’a pas marché, mais avec Trump, on a les éléments pour une nouvelle tentative dans le genre. Si Trump survit politiquement, il pourra être tenté de pelleter en avant les problèmes intérieurs vers de nouvelles aventures guerrières. Cela n’annonce rien de bon.

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