Édition du 19 novembre 2024

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Europe

« Ne doit pas être porté à la connaissance du public »

L’Union Européenne prévoit une coopération avec des dictateurs est-africains dans l’unique but d’empêcher des réfugiés de venir en Europe

Heureusement qu’il y a des lanceurs d’alerte. Autrement, on ne saurait pas que le 23 mars, les ambassadeurs des états-membres de l’Union Européennes auprès les institutions européennes se sont rencontrés pour discuter de la coopération avec l’Erythrée, le Soudan, l’Ethiopie et la Somalie. Car l’Union Européenne ne veut pas seulement éviter que des ressortissants de ces quatre pays viennent en Europe, mais elle veut aussi négocier avec ces états pour « améliorer » le retour de réfugiés originaires de ces quatre pays. Si on voit déjà à Idomeni et dans le cadre de l’accord européen avec la Turquie que les Droits de l’Homme ne font plus partie des préoccupations fondamentales de l’UE, ça commence à devenir vraiment honteux.

Regardons donc qui sont nos nouveaux « partenaires » dans la « guerre contre les réfugiés » que mène actuellement l’Europe.

Erythrée : L’Erythrée est une dictature militaire sous les ordres d’Isayas Afewerki qui dirige le pays avec une brutalité impressionnante. Empêchant la mise en œuvre de la Constitution qui avait été votée en 1997, Afewerki est connu comme un tortionnaire qui, selon des organisations comme « Amnesty International » ou « Reporters sans frontières » est « le plus grand ennemi de la liberté de la presse en Afrique » (depuis 2007, le pays occupe la dernière place dans le « Press Freedom Index » qui paraît annuellement). On estime qu’en Erythrée, plus de 2900 chrétiens sont internés et torturés à cause de leur croyance dans des camps militaires et policiers.

Soudan : Le Soudan est dirigé par Umar Hasan Ahmad al-Bashir qui est arrivé au pouvoir après un putsch militaire en 1989 pour devenir président du pays en 1993. Al-Bashir est le premier chef d’état en exercice contre qui un mandat d’arrêt international a été émis par la Cour Internationale de La Haye (pour : génocide, crimes contre l’humanité et crime de guerre) – mais puisque ce mandat est resté infructueux, il a été suspendu temporairement en 2014.

Ethiopie : Si l’Ethiopie est, comparée aux autres pays concernés, l’état « le moins pire » sur cette liste (il s’agit d’un état fédéral qui suit quelques règles démocratiques), force est de constater que des organisations comme « Amnesty International » critiquent vivement le comportement du gouvernement vis-à-vis des groupes d’opposants ou des minorités comme les homosexuels – exécutions, tortures, viols font partie des agissements des autorités. Depuis 2009, dans le cadre d’une nouvelle « loi anti-terroriste », la liberté d’expression et de la presse a été radicalement supprimée et les « actes terroristes » mentionnés dans cette loi, comprennent des chefs d’accusation floues comme la « perturbation de l’ordre public », passibles de peines d’emprisonnement allant jusqu’à 15 ans et la peine capitale.

Somalie : Après la guerre civile qui a secoué le pays pendant de longues années, la Somalie compte parmi les pays où les organisations internationales relèvent le plus grand nombre de violations des Droits de l’Homme. On estime que 70000 enfants ont été forcés à intégrer les innombrables milices, la moitié des enfants entre 5 et 14 ans doit travailler, le système scolaire s’est quasiment effondré. L’homosexualité est interdite et passible de la peine de mort, les femmes n’ont pas le droit de bouger librement. Les milices islamiques d’Al Shabaab terrorisent la population, des viols systématiques ont lieu ainsi que des exécutions de ceux qui ne suivent pas à la lettre l’interprétation douteuse du Coran par ces milices. Les menaces de poursuites par la communauté internationale de poursuivre les violations des Droits de l’Homme n’ont provoqué aucune réaction en Somalie.

Le deal que prévoient ceux à qui on a laissé le soin de s’occuper de la politique européenne, comprend des aides économiques et des facilitations d’obtention de visas pour les diplomates de ces pays, en échange du retour des réfugiés originaires de ces pays. Pour le dire autrement : nous finançons ces régimes qui comptent parmi les pires au monde pour pouvoir renvoyer des réfugiés ayant réussi à fuir l’enfer de leur patrie. Ceux que l’UE renverra dans ces pays y risquent à nouveau l’emprisonnement, la torture et la mort.

On comprend pourquoi le protocole de cette réunion européenne du 23 mars porte la mention « ne doit, en aucun cas, être porté à la connaissance du public ». On avait pensé que l’Europe avait touché le fond en concluant son accord cynique avec la Turquie, mais ce n’est pas le cas – dans le cadre de la « guerre contre les réfugiés » que mène l’Europe, nous soutenons et finançons les pires régimes du monde. N’oublions pas que tout cela se passe, comme toujours, « en notre nom ». Et quand est-ce que nous nous déciderons à changer nos habitudes électorales ? Quand est-ce que nous nous déciderons à ne plus prolonger le mandat que nous donnons à ces criminels en costume trois-pièces qui mènent une telle politique en affirmant que c’est pour notre bien ? Tous ceux qui votent pour ceux qui mènent une telle politique, portent une part de responsabilité pour les atrocités commises dans ces pays avec le soutien de l’Union Européenne.

Kai Littmann

Militant anticapitaliste allemand.

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