Par Paul Beaucage
Parallèlement à sa carrière d’acteur, profitant pleinement de sa notoriété, Errol Flynn a écrit et fait publier des romans d’aventures et des ouvrages autobiographiques. Dans cet esprit, désireux de rendre compte de certains événements majeurs de la politique internationale de son époque, il s’est rendu en Espagne durant la Guerre d’Espagne ou la Guerre civile espagnole (1936-1939) et à Cuba, peu de temps avant que Fidel Castro et ses hommes n’effectuent la Révolution cubaine, en causant la chute de la dictature de Fulgencio Batista (1952-1959), le 1er janvier 1959. Or, Errol Flynn a décrit ces expériences singulières dans deux reportages de guerre distincts et complémentaires, que réunit un livre intitulé Moi et Castro, suivi de Ce qui m’est réellement arrivé en Espagne (2019).
Soixante ans après la mort de celui que l’on surnommait ironiquement « le Diable de Tasmanie », la direction d’une maison d’édition française éminemment sélective, Les éditions du sonneur, a décidé de rendre accessible à un lectorat francophone deux intéressants reportages qu’a écrits Errol Flynn. De cette façon, les lecteurs (trices) francophones de différentes parties du monde pouvaient se familiariser avec l’engagement politique sincère d’un acteur plutôt progressiste, qui entretenait un intérêt marqué pour la politique mondiale et qui n’hésitait à le publiciser en vertu des valeurs sociopolitiques qui lui étaient propres.
Flynn, correspondant de guerre en Espagne
Pour des motifs d’ordres chronologique et logique, considérons d’abord le premier des deux reportages d’Errol Flynn. Il n’y avait pas d’engagement politique partisan ou doctrinaire qui motivait la démarche de Flynn lorsqu’il s’est rendu à Madrid, en 1937, alors que sévissait la Guerre d’Espagne. Selon lui, il n’y avait aucun doute à l’effet que le gouvernement républicain espagnol de Francisco Largo Caballero (qui avait été légitimement élu par le peuple espagnol) restait la seule entité politique du pays de Cervantes qui était digne d’être reconnue par la communauté internationale. Dès lors, Flynn ne se gênait pas pour lui accorder un appui senti. Toutefois, cela n’a pas empêché l’acteur réputé de faire des « promesses d’ivrogne » devant des journalistes, comme celle de donner un million de dollars au gouvernement républicain espagnol « pour qu’il puisse construire des hôpitaux et acheter des ambulances ». Du reste, voici ce que nous rapporte Thierry Beauchamp, l’excellent traducteur et préfacier du livre d’Errol Flynn, à ce sujet : « Inutile de préciser que les Républicains ne virent jamais la couleur du million de dollars promis ».
Il n’en demeure pas moins qu’Errol Flynn a bel et bien profité d’un congé que lui a accordé le producteur Jack Warner (de la compagnie Warner Bros.) pour se rendre à Madrid, afin d’y appuyer une population qui subissait quotidiennement les bombardements dévastateurs que les troupes du général Franco, (aidées par les Armées allemande et italienne) lui infligeaient. Certes, le récit de guerre que la vedette hollywoodienne relate est particulièrement subjectif et ne touche pas vraiment à la vie quotidienne des Madrilènes de l’époque. Néanmoins, il faut souligner, à la décharge de l’acteur, qu’il n’a pas passé beaucoup de temps en territoire espagnol. Amateur de sensations fortes, aventurier, Errol Flynn souhaitait vivre une expérience vraiment unique en Espagne. Par conséquent, le point culminant de son périple de correspondant dans ce pays est survenu lorsqu’il a assisté, au front, à des bombardements intenses et à des échanges de tirs soutenus entre des soldats de l’Armée républicaine et des soldats de l’Armée franquiste. Bien sûr, Errol Flynn a pris de grands risques pour pouvoir assister à cette scène de bataille nocturne des plus spectaculaires. Or, malgré les blessures qu’il a subies en raison de sa témérité, Flynn n’a jamais pu se résoudre à mener une vie prudente ultérieurement.
Errol Flynn, témoin de la Révolution cubaine
Malgré ce que nous venons de soutenir au sujet du goût du risque qu’entretenait Errol Flynn, son voyage à Cuba, alors que le pays apparaissait en pleine ébullition sociopolitique, était de nature à surprendre davantage les observateurs du monde artistique que ne l’avait fait son équipée en Espagne, vingt-deux ans plus tôt. Pourquoi ? Parce qu’à cette époque (fin décembre 1958), l’acteur américain était confronté à des problèmes de santé majeurs, qui semblaient le condamner à rendre l’âme dans un avenir rapproché. Cependant, cet homme singulier tenait mordicus à donner à ses admirateurs (trices) une image particulièrement avantageuse, voire héroïque de lui-même. Or, compte tenu de la Révolution qui semblait s’annoncer à Cuba, on pouvait soupçonner qu’il n’ignorait pas que sa présence dans cette île caribéenne ne manquerait pas de lui valoir l’attention de différents médias américains, lesquels alimenteraient, bon-gré mal-gré, sa légende d’aventurier altruiste, conformément à ses souhaits. Ainsi, malgré le Maccarthysme qui avait sévi aux États-Unis, quelques années auparavant (1950-1954), le mouvement d’insurrection mené par Fidel Castro contre la dictature de Batista paraissait plutôt sympathique à une grande partie de l’opinion publique américaine (précisons que Castro ne revendiquait pas d’allégeance politique communiste à ce moment-là). Dans ces circonstances, Errol Flynn croyait qu’il n’aurait pas de compte à rendre aux autorités américaines pour expliquer sa rencontre avec le chef révolutionnaire cubain.
Manifestant a priori une plus grande ambition journalistique qu’il ne l’avait fait lors de son voyage en Espagne, Errol Flynn souhaitait vraiment pouvoir percer le mystère se rattachant à l’homme que l’on surnommait « El Comandante », Fidel Castro, qui demeurait largement méconnu à l’étranger. Certes, à cette époque, Castro était un opposant politique reconnu, dans son pays, par rapport au régime de Batista : le rebelle jouissait d’un soutien sociopolitique particulièrement important au sein du peuple cubain, qui, dans sa vaste majorité, voulait ardemment se débarrasser du régime corrompu et tyrannique qui l’opprimait. De manière cohérente, Castro souhaitait présenter une image favorable de lui-même aux citoyens de différents pays du monde. Or, bénéficiant de la complicité de Flynn, qui a promptement renoncé à toute objectivité, le chef de la rébellion a atteint son but. Sur le plan guerrier, comme à l’époque où il se trouvait en Espagne, Errol Flynn a pu être le témoin « privilégié » d’une scène de combat qu’il a vécue de très près. En l’occurrence, il s’agissait d’une bataille décisive : celle de Santiago, au terme de laquelle les vainqueurs, les troupes de Fidel Castro, procédèrent à la Révolution cubaine. Ladite bataille s’est-elle précisément déroulée ainsi que Flynn l’a affirmé, à travers son reportage ? Le correspondant de guerre s’est-il montré aussi courageux qu’il l’a prétendu ? On peut sérieusement en douter. N’empêche que le lecteur (ou la lectrice) de ce reportage verserait vraiment dans une regrettable mauvaise foi s’il (ou si elle) accusait Flynn, à l’instar des détracteurs (trices) de l’acteur durant les années 1950, d’avoir inventé une telle histoire de toutes pièces.
Entre la vérité et le mensonge journalistiques
En somme, les deux reportages de Flynn ont pour qualité de porter le lecteur (ou la lectrice) contemporain(e) à s’interroger sur la véracité des présumées nouvelles qu’on lui transmet par le biais de différents réseaux d’informations. Ainsi, l’ouvrage de Flynn nous rappelle pertinemment que, de nombreuses années avant la création d’internet dans le monde, les médias de masse avaient malheureusement tendance à diffuser une multitude d’informations erronées, voire sensationnalistes, au sujet de différentes célébrités dont faisait évidemment partie Errol Flynn... En conséquence, le principal intéressé ne se gêne pas, à travers son ouvrage, pour tourner en bourrique les reporters qui ont soutenu, contre toute logique, qu’il avait été tué à Madrid lors de la Guerre d’Espagne ; ou encore, pour ridiculiser ceux qui ont prétendu, sans s’appuyer sur la moindre preuve tangible, que Flynn n’était jamais allé à Cuba. N’empêche que le sens de l’humour appréciable que démontre le principal interprète de La rivière d’argent (1948) de Raoul Walsh lui évite de se livrer à une charge excessivement vindicative contre des journalistes peu scrupuleux ou manquant de rigueur.
Par ailleurs, on ne saurait s’étonner d’apprendre qu’Errol Flynn, cet acteur natif de l’Australie qui feignait d’avoir des origines irlandaises pour des raisons purement commerciales, ne se montrait pas aussi sévère envers lui-même qu’il l’était envers les journalistes professionnels, lorsqu’il devait jauger sa propre probité, face à un public auquel il dévoilait la prétendue histoire de sa vie ou des fragments de son existence. Fort heureusement, le lecteur (ou la lectrice) averti(e) d’aujourd’hui possède suffisamment de connaissances ou d’outils didactiques, pour distinguer la part du réel et la part de l’apocryphe qui caractérisent les reportages que l’acteur vedette a effectués. Dès lors, il (ou elle) pourra apprécier, à leur juste mesure, les forces et les faiblesses d’un homme célèbre qui avait la fâcheuse habitude de déformer la réalité afin qu’elle épouse ses souhaits les plus illusoires. Toutefois, il importe d’admettre qu’Errol Flynn avait le grand mérite de ne jamais se prendre trop au sérieux.
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