« Cela ne me semble pas raisonnable. Ce n’est pas une finesse politique ou une argutie politique, c’est tout simplement que le Parlement, en pleine campagne, ne sera pas réuni », a-t-il expliqué. Avant de préciser que le texte, bien sûr, finirait bien par être adopté un jour en France...
François Hollande, en tout cas, a déjà prévenu qu’il voulait « renégocier » ce futur traité européen, dont la rigueur et la coercition sont les maîtres mots. Ou plutôt, si l’on a bien écouté son intervention sur France-2 jeudi soir dernier, qu’il souhaitait y inclure un volet sur le soutien à la croissance, sans retoucher au reste. Le candidat socialiste a aussi annoncé son intention d’engager des négociations au plus vite avec Angela Merkel s’il est élu. Mais que contient exactement ce texte, négocié en une cinquantaine de jours à peine, par les capitales européennes ? Décryptage d’un traité explosif, écrit sous la dictée de la chancelière allemande.
1 - Vingt-cinq « parties contractantes »
Il y a des mots qui en disent long. Le traité ne parle pas des membres de l’Union, des pays de la zone euro ou autre, mais de parties contractantes (contracting parties). Nous sommes dans le registre du droit privé et commercial pas du traité diplomatique et étatique, ce qui en dit long sur l’évolution de l’Europe. Ainsi donc, 25 “parties contractantes” (pays de l’Union) vont s’engager à ratifier ce « pacte budgétaire » dans les mois à venir. La Suède, longtemps incertaine, a finalement décidé de suivre le gros des troupes, mais la République tchèque, elle, rejoint la Grande-Bretagne dans le camp des sceptiques, arguant de difficultés constitutionnelles. Londres avait pris ses distances dès le sommet du 9 décembre. Prochaine étape : les 25 signeront formellement le texte lors du prochain Conseil, début mars, ouvrant la période, qui s’annonce délicate, des ratifications nationales.
L’Europe connaît donc désormais trois degrés d’intégration : une zone euro à 17 ; une région où s’applique ce « pacte budgétaire », à 25 ; et enfin, un marché unique à 27. Au mieux, ce fiscal compact n’entrera en vigueur qu’au 1er janvier 2013, comme le précise l’article 14. A condition qu’au moins 12 Etats membres de la zone euro le ratifient d’ici là. Autrement dit : même si le traité est désavoué par cinq Etats de la zone euro, il verra quand même le jour. Tout a été fait pour éviter le psychodrame de l’automne dernier, lorsque l’avenir de la zone euro avait été suspendu, pendant quelques jours, au vote des députés slovaques sur le Fonds européen de stabilité financière. Et pour éviter, aussi, les blocages que l’Union avait expérimentés lors des « non » en série au référendum sur le traité de Lisbonne, en 2005.
D’ores et déjà, le cas irlandais s’annonce explosif. Un référendum devrait être organisé dans l’année. Lucinda Creighton, la ministre irlandaise des affaires européennes, a mis les choses au clair lundi : si son pays devait rejeter le traité, « il serait alors presque impossible (pour nous) de rester dans la zone euro ».
En France, en l’état actuel des forces, aucune majorité n’existe pour faire adopter une « règle d’or » qui serait inscrite en bonne et due forme dans la constitution. « Je rappelle que certains Etats n’ont même pas de majorité constitutionnelle pour ratifier un tel traité », a glissé lundi Martin Schulz, le président du Parlement européen, en ouverture du Conseil, dans une allusion sans détour à la délicate équation française.
2 - Un budget normatif
Popularisé sous le nom de « règle d’or », ce dispositif vise à imposer une stricte discipline financière aux pays de la zone euro, plus contraignante que celle prévue dans le traité de Maastricht. Les pays signataires seront dans l’obligation « d’avoir un budget général à l’équilibre ou excédentaire ». Il sera considéré que les pays respectent la règle si, dans le cadre d’un objectif à moyen terme affiché, il arrive que « le déficit budgétaire atteigne 0,5 % du PIB ».
Les pays peuvent déroger à cette règle dans le cas d’un événement « hors du contrôle de la partie signataire et qui a un impact sur les finances du pays » ou en cas de « contraction majeure de l’économie telle que l’a définie le pacte de stabilité et de croissance ». Enfin, dans le cas où l’endettement du pays est significativement en dessous de 60 % du PIB et que les circonstances économiques et financières sont très favorables, le pays signataire peut exceptionnellement utiliser l’arme du déficit budgétaire. Mais celui-ci ne doit pas excéder la barre de 1 % du PIB (article 3.1 a, b, c, d).
Ces dispositions budgétaires vont bien plus loin que le traité de Maastricht, qui autorisait un déficit de 3 %. Elles sont calquées sur les règles allemandes, inscrites dans la Constitution du pays en 2009. Celles-ci limitent le recours au déficit, qui ne peut dépasser que 0,35 % du PIB, à partir de 2016. Ces règles se dissimulent sous l’apparence du bon sens. L’Etat est supposé être gouverné comme un ménage tranquille : il ne doit pas dépenser plus qu’il ne gagne. C’est pourtant oublier ce qu’est un Etat. Il a le temps pour lui. Il a des missions de défense, de sécurité ou d’investissements sur le long terme qu’il est le seul à pouvoir assumer.
Avec ce traité, les pays européens enterrent toute politique keynésienne ou contra-cyclique. Il ne peut plus y avoir (sauf en cas de crise extérieure) de politique ambitieuse de grands programmes, ou simplement de soutien à l’activité. Au contraire, les critères choisis renforcent la pro-cyclicité des politiques économiques : les gouvernements seront tenus de couper dans les dépenses et de ralentir leurs efforts à chaque retournement de l’activité économique pour respecter l’impératif d’équilibre budgétaire, au risque d’aggraver encore les récessions, livrant ainsi un peu plus les pays à la volatilité des marchés. Et ce sont les mêmes gouvernements qui, après avoir négocié les termes de cet accord, ne cesseront de se plaindre de l’inconséquence et du « court termisme » des marchés.
Enfin, ces dispositions ne permettent absolument pas de répondre à la crise de l’euro. Pour reprendre une interrogation de Jean Pisani-Ferry, économiste à l’institut Bruegel, qu’auraient dit les pays européens si l’Irlande avait fait faillite avant la Grèce ? Il s’en est fallu de quelques semaines pour que cela soit le cas. Or dans le cas de l’Irlande, tous les critères affichés dans le traité de Maastricht étaient parfaitement respectés. Le pays était en excédent budgétaire et sa dette était inférieure à 60 % du PIB.
C’était aussi la situation de l’Espagne, avant l’explosion de sa bulle immobilière. Pourtant, en dépit de cette apparente saine gestion des finances publiques, ces deux pays sont en faillite. Ce qui démontre le caractère assez illusoire de ces critères censés prévenir toute crise à l’avenir, mais qui ne se contentent que d’un affichage, sans s’attaquer aux racines mêmes des déséquilibres de la zone euro.
3 - Des sanctions automatiques
Estimant avoir été piégée par la Grèce, l’Allemagne a imposé un durcissement des sanctions, en cas de non-respect des critères imposés. Ces sanctions étaient déjà prévues dans le traité de Maastricht. Mais l’Allemagne et la France, les deux premiers pays à ne pas s’y conformer, avaient obtenu en 2004 d’en être dispensées. Pour éviter toute faiblesse à l’avenir, les sanctions deviendront automatiques.
Le texte prévoit que « les parties signataires doivent instaurer à un niveau national, sur la base de principes agréés à partir d’une proposition de la commission européenne, un mécanisme de correction automatique, en cas de dépassement significatif par rapport à l’objectif de moyen terme ou d’ajustement pour y parvenir, conformément au pacte révisé de stabilité et de croissance » (article 3.2).
« Les signataires dont l’endettement dépasse 60 % du PIB doivent le réduire sur la base d’un douzième par an, comme référence » (article 3.3). « Les parties signataires qui font l’objet d’une procédure pour déficits excessifs devront instaurer un programme d’assainissement budgétaire et financier, comprenant le détail des réformes structurelles à mettre en place en vue de corriger ces déficits excessifs. » « Ces programmes seront soumis à la Commission européenne et au Conseil européen et leurs suivis seront réalisés dans le cadre de la procédure de surveillance inscrite dans le pacte de stabilité et de croissance. » « Leur réalisation et les budgets annuels seront surveillés par la commission et le conseil européen » (article 5).
« Un pays de la zone euro s’engage à appliquer les propositions et les recommandations de la commission européenne, s’il est considéré avoir outrepassé les critères de déficit dans le cadre d’une procédure pour déficit excessif » (article 6). Enfin, « quelque parti contractant considérant qu’un autre parti contractant ne satisfait pas à l’article 2 (sur les mécanismes automatiques de correction des déficits) peut saisir la cour européenne de justice ou demander à la commission européenne de dresser un rapport sur le sujet » (article 7).
A la lecture de ces lignes, qui reprennent en grande partie le dispositif déjà en place depuis le 1er janvier 2012 dans le cadre du « six-pack », l’esprit européen semble avoir disparu. L’Europe, censée avoir été érigée pour défendre la démocratie, en illustrer ses meilleurs principes, a abandonné toute référence au droit, à la politique, au débat. Les abandons massifs de souveraineté qui sont demandés à l’ensemble des pays européens ne sont pas récupérés à un stade supérieur, sous forme par exemple d’une plus grande solidarité entre Etats membres. Les sanctions sont automatiques. Des pays peuvent porter plainte contre d’autres.
La cour de Justice peut s’ériger comme référence suprême, dire ce que doit être un budget national. Mais jamais le Parlement européen. Des sanctions pécuniaires peuvent être imposées aux pays « déviants ». Mais à aucun moment, il n’est question de solidarité, d’entraide, de transfert budgétaire pour venir aux pays en difficulté. Ce qui est pourtant une des grandes questions pour l’avenir de la zone euro.
4 - Des sommets de l’Euro
Demandez à Nicolas Sarkozy d’apporter une preuve de son influence sur Angela Merkel, et il vous répondra : le gouvernement économique européen. Avant la crise grecque, Berlin ne voulait pas en entendre parler. A présent, plusieurs articles du « pacte budgétaire » sont consacrés à améliorer la gouvernance de l’euro. Principale innovation : un sommet de l’Euro qui va réunir les chefs d’Etat de la zone euro.
En apparence extrêmement modeste, cette disposition a fait l’objet d’une bataille nerveuse, depuis des semaines à Bruxelles. Car ceux qui veulent intégrer la zone euro à moyen terme, à l’instar des Polonais (Varsovie parle de 2015), souhaitent avoir leur mot à dire, eux aussi, sur l’avenir de l’euro. Ils veulent donc vouloir participer à ces réunions d’un nouveau genre. Impossible, selon Paris. Un accord a finalement été trouvé : ces sommets seront réservés aux membres de la zone euro, sauf s’ils viennent à débattre de certains sujets décisifs, comme la réforme des traités, ou l’architecture de la zone euro en tant que telle. Pas franchement décisif pour la sortie de crise...
5 - Dans cinq ans, du droit communautaire ?
C’est le dernier article du traité, et pas le moins corsé : dans le jargon bruxellois, l’article 16 correspond à une « clause de rapatriement ». En clair, les signataires s’engagent à « communautariser », d’ici à cinq ans, l’intégralité du contenu de ce texte « inter-gouvernemental ». C’est-à-dire d’intégrer au droit communautaire, garanti par la Commission européenne, ces quelques pages rédigées à la va-vite, en quelques semaines, entre la mi-décembre et la mi-janvier.
Cet article est accueilli favorablement par les élus du Parlement européen, qui y voient une clause de sauvegarde du projet européen… En décembre, le choix de Londres de ne pas participer au traité avait en effet mis en sommeil la méthode « communautaire », au profit d’une logique « inter-gouvernementale » plus efficace, pour rassurer les marchés. On ignore, pour l’heure, ce que pensent de cet article les Britanniques et les Tchèques, qui vont donc se trouver soumis, d’ici cinq ans, à des règles qu’ils ont décidé de ne pas cautionner en 2012. A moins, bien sûr, qu’ils ne choisissent de quitter l’Union d’ici là.