6 août 2020
Au président de la République de Colombie
Iván Duque
ivanduque@presidencia.gov.co
Au ministre des Affaires étrangères du Canada
François-Philippe Champagne
Francois-Philippe.Champagne@parl.gc.ca
Nous, les organisations de la société civile canadienne, nous nous opposons à la possible nomination à l’ambassade de la Colombie au Canada de Jorge Londoño de la Cuesta, ancien directeur général des Entreprises Publiques de Medellín (EPM), l’entreprise responsable du mégaprojet hydroélectrique Hidroituango.
Le 5 juillet dernier, des journaux colombiens ont annoncé que M. Londoño pourrait être nommé ambassadeur de la Colombie au Canada. EPM est l’entreprise responsable de la construction du mégaprojet hydroélectrique Hidroituango, mis en oeuvre malgré une forte opposition des communautés affectées. Depuis le début des travaux, les communautés dénoncent les cas de corruption et de violations des droits humains et environnementaux. M. Londoño a quitté son poste chez EPM en décembre 2019.
La période durant laquelle Londoño était directeur d’EPM a été marquée par la catastrophe d’Hidroituango. Au printemps 2018, le barrage monumental a failli s’effondre après l’affaissement d’un tunnel lié à cette structure. Cela a provoqué des inondations et a forcé l’évacuation de dizaines de milliers de personnes, dont plus de 130 mille se trouvent toujours en danger. Depuis, les autorités colombiennes ont confirmé que le tunnel en question, la galería auxiliar de desviación (GAD), ne faisait pas partie de la conception originale du barrage, mais que EPM l’a approuvé dans le cadre d’un plan plus large d’accélération des travaux. EPM a approuvé la construction du tunnel malgré les avertissements explicites du conseil consultatif technique du projet, et ce illégalement, plus d’un an avant d’obtenir le permis requis par les autorités environnementales. La série de décisions imprudentes prise par EPM a mis en danger la sécurité et les moyens de subsistance de dizaines de milliers de personnes. Les communautés touchées n’ont toujours pas reçu à ce jour une indemnisation adéquate pour les dommages subis par les inondations, qui ont détruit des maisons, affecté les moyens de subsistance et laissé de graves séquelles culturelles et psychosociales sur leurs passages.
Il est important de souligner que, depuis de nombreuses années, une variété d’acteurs et d’actrices, y compris les communautés touchées rassemblées dans le Mouvement Ríos Vivos, ont dénoncé des cas de corruption et des failles dans la conception d’Hidroituango. De nombreux expert.e.s ont fait part de leurs inquiétudes concernant les changements dans la conception et la construction du barrage, mettant en garde contre la possibilité qu’une catastrophe comme celle de 2018 se produise.
En d’autres termes, EPM, alors dirigée par M. Londoño, a violé les réglementations environnementales du pays et a effectué des travaux sans avoir les permis et les accords respectifs avec les communautés. En outre, M. Londoño fait également partie des personnes faisant l’objet d’une enquête du Contrôleur général de la Colombie pour leur présumée responsabilité fiscale dans les irrégularités du projet hydroélectrique de Hidroituango, qui auraient causé un préjudice estimé à 4 milliards de pesos.
En plus des dommages décrits ci-dessus, la catastrophe de 2018 a causé de grandes souffrances parmi les familles qui étaient toujours à la recherche de leurs proches disparus. Dans une région avec une histoire de crimes et de massacres perpétrés dans le cadre du conflit armé, il est présumé que sous les eaux du barrage d’Hidroituango se trouvent des corps et des tombes communes qui ne peuvent désormais plus être exhumés, mettant terme à l’espoir des familles de retrouver leurs proches.
Nous craignons que la nomination de l’ancien directeur général de EPM au titre d’ambassadeur au Canada soit une tentative d’obtenir un plus grand soutien politique et financier pour le mégaprojet, qui a déjà bénéficié de ressources considérables de l’agence gouvernementale canadienne Exportation et développement Canada (EDC) et de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). M. Londoño pourra également faire progresser d’autres projets miniers-énergétiques basés sur les relations diplomatiques entre le Canada et la Colombie. Ces projets ont historiquement eu de grands impacts sur l’environnement et sur les moyens de subsistance des communautés, qui sont souvent retirées de la prise de décision et qui ne sont pas indemnisées adéquatement pour les dommages causés par les activités extractives.
Les organisations de la société civile canadienne soussignées déclarons notre rejet face à la nomination potentielle de Jorge Londoño de la Cuesta comme ambassadeur de la Colombie au Canada, pour son manque de jugement et pour toute la douleur et l’injustice dans lesquelles il a été impliqué lorsqu’il assumait la direction de EPM.
Solidarité avec les communautés affectées du Mouvement Ríos Vivos !
Cordialement,
Rosa Peralta, du Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL)
Organisations signataires :
Campagne lavons les mains sales de la Caisse
Centro international de solidarité ouvrière (CISO)
Christian Peacemaker Teams – Canada
Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL)
Common Frontiers
Groupe de travail conjoint sur la Colombie de Common Frontier
Conseil central Montréal métropolitain de la CSN
Inter Pares
KAIROS : Canadian Ecumenical Justice Initiatives
La Alianza de Solidaridad y Acción por Colombia (CASA)
MiningWatch Canada
Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC)
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