Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Coronavirus

Les vaccins sont des biens publics mondiaux. La vie n’est pas un brevet

Quatre mesures, dont un tribunal Russell sur les crimes commis au nom de l’argent dans la lutte contre Covid-19…

La course au vaccin n’est pas une course saine et juste. Les grands médias en parlent comme s’il s’agissait d’un championnat du monde de football. Il ne s’agit pas de la santé de milliards de personnes. Le véritable objectif est de gagner le brevet sur le vaccin et donc des milliards et des milliards d’euros. La priorité, ce sont les milliards d’euros, pas les milliards de personnes. Les gens ne sont qu’un outil pour le profit.

Tiré de Pressenza.

Paul Hudson, à la tête de Sanofi, troisième entreprise mondiale du secteur de la santé en termes de chiffre d’affaires (34,5 milliards d’euros en 2018), l’a expliqué clairement et sans détour le 14 mai dernier : a) en déclarant que si sa société trouvait un vaccin contre Covid-19, elle servirait en priorité les Etats-Unis et b) en invitant les autorités européennes à être « aussi efficaces que leurs homologues américaines » dans le travail de « simplification des procédures réglementaires » (concrètement : liberté d’action maximale pour les entreprises). Aux États-Unis, les sociétés pharmaceutiques jouissent d’une liberté de fixer les prix de leurs produits plus grande que partout ailleurs dans le monde.

Et c’est là le double nœud du problème. Premièrement : Sanofi revendique la liberté des entreprises de décider pour qui, où et comment organiser l’accès au vaccin. Deuxièmement : le critère clé de sélection des priorités est la performance financière. Le vaccin sera produit et distribué en priorité en faveur des groupes sociaux et dans les pays où les performances seront plus élevées. Ce n’est pas un hasard si Sanofi est considérée comme l’une des entreprises les plus rentables du secteur. Rien qu’en 2018, elle a distribué plus de 3,7 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires ! Aujourd’hui, selon ce critère, les États-Unis et leurs futurs citoyens à vacciner et à traiter représentent le marché potentiel le plus sûr pour des rendements les plus élevés. En outre, les États-Unis sont en guerre avec l’OMS et s’opposeront fermement à toute tentative de réglementation mondiale en la matière et essayeront de préserver intact le droit aux brevets privés à but lucratif sur les vaccins (et le vivant, en général). L’UE, en revanche, ne plaît pas tellement au chef de Sanofi. La Commission européenne, le Parlement européen, la France, l’Allemagne, l’Italie… sans remettre en cause l’octroi d’un ou plusieurs brevets, parlent d’un vaccin anti-virus commun à l’échelle mondiale. En outre, tout comme l’appel signé le 19 mai par quelques dizaines de chefs d’État, de gouvernements et de ministres d’Afrique et d’autres pays du Sud monde, les autorités européennes affirment que le futur vaccin doit être considéré comme un « bien public mondial » ! Il y en a assez, à son goût, pour ne pas se taire et affirmer publiquement la décision de l’entreprise, même si elle est en contraste ouvert avec les plus hauts responsables de l’Etat français et de l’UE.

La déclaration publique du patron de Sanofi n’est pas une sortie imprudente maladroite. Il s’agit d’une déclaration délibérée et volontaire. Le « marché » de la santé est trop important et décisif pour l’avenir des entreprises pharmaceutiques pour qu’on le laisse s’éclipser au nom du droit à la santé des habitants de la Terre ou, pire encore, au nom d’une éthique de surface de la part des dirigeants politiques européens connus traditionnellement pour soutenir l’économie de marché capitaliste mondiale, tels que Macron, Merkel, Conte, Johnson… Rappelons que seul un quart (25 000) des employés de Sanofi dans le monde (plus de 100 000) se trouve en France.

La position de Sanofi, largement partagée par d’autres entreprises multinationales, est inacceptable car elle renforce la soumission de la science au service d’intérêts économiques (financiers) et de puissance (armement, logique de guerre, contrôle policier). La propriété privée à but lucratif des brevets sur les êtres vivants et l’intelligence artificielle n’est pas une chose bonne et juste.

La maintenir dans un contexte de grave pandémie mondiale et d’intolérables inégalités au sein de la population mondiale (si rien ne change, le risque est grand qu’en 2030, selon l’OMS, plus de 5 milliards de personnes n’aient pas de couverture santé), est un crime contre l’humanité.

Que faire ?

Première mesure. Tout d’abord, maintenir une forte pression sur l’opinion publique mondiale (et les parlements) sur la nécessité que les médicaments, les tests, les vaccins soient traités comme des biens publics mondiaux, hors marché, sous la responsabilité, y compris financière (d’où la gratuité), de la collectivité, sur une base participative, décentralisée, sans délégation à des tiers.

Il faut mettre fin aux monopoles sur les médicaments, les produits de diagnostic et les vaccins. L’OMS doit être libérée de l’influence des lobbies industriels et commerciaux et des logiques de puissance des Etats. Il est temps de libérer la science et l’économie de la finance prédatrice et de la guerre. Les brevets privés à but lucratif sont le moyen d’enlever à l’Etat le rôle qui lui revient en tant que principal responsable de la régulation de la vie collective et des droits de et à la vie.

Deuxième mesure, l’ouverture d’une session extraordinaire du Tribunal Russell sur les crimes de guerre économiques dans le domaine de la santé et en particulier sur les risques de crimes contre l’humanité dans la prévention et le traitement de la pandémie de COVID -19. Les guerres sont principalement dues aux guerres pour la suprématie économique sur les marchés mondiaux. La tâche de cette session sera d’évaluer comment les droits à la santé de tous les habitants de la Terre sont niés ou non garantis dans la lutte contre COVID-19 au nom du profit et de la « sécurité sanitaire » dite « nationale », mais en réalité étant celle des classes sociales privilégiées.

Troisième mesure, sans attendre que les risques précités se concrétisent, les pouvoirs publics doivent empêcher, soit par un accord général entre les Etats soit par décision nationale et multinationale, la concession de brevets sur l’ensemble des instruments de lutte contre la pandémie COVID-19. L’abrogation des brevets a déjà eu lieu dans le passé, par exemple au Brésil (sous la présidence de Lula, avec des résultats très positifs pour la population) ou aux États-Unis. Une forme plus souple et ad hoc serait la « licence obligatoire », c’est-à-dire l’imposition à la société détentrice du brevet d’accorder une licence pour l’utilisation du vaccin. La limite de cette formule (ainsi que celle de la « licence volontaire » par les entreprises) est qu’elle n’élimine pas la cause structurelle des problèmes, le brevet privé.

Quatrième mesure. Proposition minimale et à court terme. Nous faisons référence à une proposition déjà avancée par certaines ONG en 2010 et appelée « Medecines Patent Pool » en faveur des pays du Sud consistant à mutualiser les connaissances en créant un pool commun dans lequel seraient collectés les brevets, les secrets de fabrication, les financements éventuels… sous la responsabilité d’un organisme public international indépendant. Les sociétés détentrices des brevets donneraient leur accord pour que les fabricants de médicaments génériques des pays du Sud puissent produire et distribuer les traitements localement. C’est un petit pas en avant, à réaliser faute de mieux ! En fait, les bénéfices attendus pour les populations locales pourraient être importants, mais le régime ne contribuera pas à résoudre le problème des capacités autonomes de développement sanitaire de ces pays. Leur dépendance à l’égard de puissantes multinationales privées restera déterminante.

Si l’objectif global est de promouvoir et de sauvegarder le droit à la santé de tous les habitants de la Terre, la première mesure est le point de départ, comme le désarmement l’est pour l’objectif de paix, et la sécurité sociale générale pour l’éradication des facteurs structurels d’appauvrissement.

Note

(*) Respectivement professeur émérite de l’Université catholique de Louvain, Belgique ; président de Other News, Italie ; ancien ministre de la présidence et ancien ministre des affaires étrangères, Venezuela.

Riccardo Petrella

Titulaire d’un doctorat en Sciences politiques et sociales, et du doctorat honoris causa de huit universités : Suède, Danemark, Belgique (x2), Canada, France (x2) et Argentine. Professeur émérite de l’Université catholique de Louvain (Belgique) ; Président de l’Institut européen de recherche sur la politique de l’eau (IERPE) à Bruxelles (www.ierpe.eu). Président de "l’Université du Bien Commun" (UBC), association à but non lucratif active à Anvers (Belgique) et à Sezano (VR-Italie). De 1978 à 1994, il a dirigé le département FAST, Forecasting and Assessment in Science and Technology à la Commission de la Communauté européenne à Bruxelles, et en 2005-2006, il a été Président de l’Aqueduc de la région de Puglia (Italie). Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’économie et les biens communs.

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