Édition du 12 novembre 2024

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Europe

Les ouvriers russes n’ont rien à gagner dans cette guerre

Poutine a annoncé une mobilisation « partielle », bien que la loi ne prévoie pas un tel concept, ce qui donne carte blanche aux autorités. Lors de cette première vague, 300 000 réservistes doivent être appelés, ce qui constitue une perte d’environ 0,5 % de la main d’œuvre sur le marché du travail. Depuis le début de la guerre, le chef de l’État assurait pourtant aux femmes que les civils ne seraient pas enrôlés

16 octobre 2022 tiré d’Europe solidaire sans frontières

Quelques jours avant l’annonce de la mobilisation dite « partielle », les médias d’État ont prétendu que depuis février, « seulement » six mille soldats russes ont héroïquement perdu leurs vies, que tout se déroulait comme prévu et que l’ennemi serait bientôt vaincu. Pourquoi, alors, le milliardaire Prigojine fait-il des tournées des prisons pour y recruter des criminels pour son groupe Wagner ? Pourquoi mobiliser des centaines de milliers de civils sans expérience ? De toute évidence, les autorités tentent de résoudre leurs échecs politiques, diplomatiques, militaires et économiques aux dépens du sang des ouvrier·e·s.

L’État ne vous doit rien

Après la guerre avec la Géorgie en 2008, la réforme militaire visait à passer de l’armée de mobilisation du modèle soviétique à l’armée de réaction rapide, en réduisant progressivement le nombre de conscrits et en augmentant le nombre de soldats sous contrat. Aujourd’hui, l’armée compte plus de militaires sous contrat que de conscrits, soit 400 000. Mais pourquoi un tel manque d’engagement ? N’est-ce pas parce que, depuis trente ans, l’État se désengage de plus en plus de ses obligations, déclarant « ne rien devoir » ? Pourquoi ne pas contraindre les 4,5 millions d’agents de forces de sécurité à accomplir leur devoir envers la patrie ?

Cependant, il y a ceux qui acceptent d’aller se battre en Ukraine. Provenant des régions pauvres, précaires et subventionnées où les salaires sont bas (les autorités attirent avec des avantages pour les militaires, des paiements qui peuvent être dépensés en règlement des hypothèques et des prêts) et où l’armée est la seule mobilité ascendante : les républiques de Daghestan, Sakha-Yakoutie (Nord-Est de la Sibérie), la Bouriatie (à la frontière mongolienne), la Tchouvachie et la Crimée. Ce sont de ces mêmes républiques d’où sont partis en février les soldats sous contrat.

À leur arrivée à l’unité militaire, les soldats découvrent qu’ils doivent se munir eux-mêmes de fournitures médicales et de certains équipements (sacs de couchage, sous-vêtement thermique, sacs à dos, bottes), dont le coût total pouvait atteindre plusieurs centaines de dollars. Des vidéos circulant sur Telegram montrent des conscrits, qui n’avaient jamais tenu d’armes, être envoyés au front après quelques jours d’entraînement seulement !

Même dans les milieux pro-­gouvernementaux (à l’instar du militaire Igor Guirkine), on commence à se rendre compte que la Russie ne dispose pas d’une prépondérance d’équipements et d’armements. Tout d’un coup, il s’est avéré que pour produire des armements, pour avoir des soldats motivés, il faut une certaine base économique et industrielle, ce qu’on détruisait avec détermination au cours des trente dernières décennies. La Russie de Poutine n’a pas les ressources qui pourraient assurer la victoire militaire ni l’infrastructure économique que les travailleurs·euses seraient intéressé·es à défendre.

Résistance

Le fait de ne pas se présenter au bureau de recrutement expose à une amende, mais le plus souvent n’entraîne rien. De graves sanctions pénales ne sont réservées qu’aux déserteurs. C’est pourquoi au moins 300 000 personnes en ont profité pour partir au Kazakhstan, en Géorgie et en Finlande, les autorités laissant partir toutes et tous les dissident·e·s potentiel·le·s.

Il existe des dizaines de canaux d’aide et d’ONG sur l’application de messagerie instantanée Telegram, qui assistent les personnes pour échapper au service militaire ou pour partir à l’étranger. Les militant·e·s des droits des peuples ethniquement non-russes affirment que la corrélation est celle de classe plutôt que celle d’ethnie. Car celles et ceux qui quittent le pays sont aussi celles et ceux qui disposent de moyens pour partir, la « classe moyenne ».

En même temps, on voit une réaction plus proactive à la mobilisation : les activistes sont descendu·e·s dans les rues des deux capitales, bien que le nombre de manifestant·e·s ne soit pas relativement impressionnant. Le chiffre total de personnes détenues pendant les manifestations contre la mobilisation, du 21 au 26 septembre, s’élève à 2500 personnes. Les manifestations anti-guerre au Daghestan et en Bouriatie étaient particulièrement marquantes, avec une forte voire violente participation des femmes. Il existe aussi une résistance plus radicale, coordonnée à travers Telegram : sabotage des chemins de fer et incendie des bureaux de recrutement.

Tout se déroule « comme prévu »

Parmi les factions de l’establishment du Kremlin, nous pouvons déjà observer les contours d’une lutte interne pour une Russie post-Poutine. Ainsi, ces dernières (Kadyrov, Prigojine, entre autres) essaient de rendre les militaires les boucs émissaires et les responsables de l’échec du Blitzkrieg et de la situation de crise afin de les écarter plus tard. Depuis le début de la guerre, on a vu le départ de milliardaires (Iouri Milner, Anatoly Tchoubaïs) qui ne sont pas d’accord avec la ligne de Poutine de rupture radicale avec l’Occident et qui ne veulent pas perdre leurs comptes dans les banques occidentales. Divergences aussi sur la nécessité d’une annexion rapide des régions occupées.

Bien que les autorités n’aient eu aucun plan ni stratégie dès le départ, les conséquences sont assez évidentes. Dans tous les cas, le pays va glisser plus loin vers l’autoritarisme, comme en témoignent les récentes arrestations des militants syndicaux Kirill Oukraïntsev et Anton Orlov. Dans une guerre, ce ne sont pas les soldats qui comptent, mais les économies.

Alexandre Bazarov socialiste russe

Autodéterminez-vous, sinon on vous tue

Moscou essaie désespérément de maintenir son statut d’empire semi-périphérique et de garder l’Ukraine dans sa périphérie en l’occupant pour l’empêcher de tomber dans les mains du centre occidental d’accumulation capitaliste.

Du 23 au 27 septembre 2022, des soi-disant référendums ont eu lieu à Lougansk et à Donetsk, ainsi que dans les régions occupées de Kherson, Zaporijjia et Mykolaïv sur l’entrée de ces régions dans la Fédération de Russie. La « transparence » du vote était garantie par l’observateur André Chanclu, un militant français d’extrême droite. Les résultats sont, sans surprise, de 87 à 93 % « pour ».

La Chine, l’Iran et la Serbie ont déjà refusé de reconnaître l’annexion de ces territoires par Moscou. La Chine, dont les principaux marchés d’exportation sont les États-Unis et l’Europe, n’est absolument pas prête à rompre ses relations avec eux, sans toutefois condamner la Russie.

Dans la province de Kherson, seules les chaînes de télévision russes fonctionnent et il ne reste que les personnes âgées qui n’ont pas accès à Internet et qui votent comme le leur ont dit les autorités locales collaborationnistes. Les dernières nouvelles sur les rassemblements de masse contre la guerre à Kherson remontent au mois d’avril.

Les autorités russes déclarent qu’après l’entrée formelle des territoires occupés dans la Fédération, la constitution russe s’appliquera à eux, ce qui signifie que l’avancée de l’armée ukrainienne sur eux peut devenir un motif formel de déclaration de guerre.

Selon les analystes politiques russes, le président considère les « référendums » comme une base pour l’utilisation d’armes nucléaires tactiques en Ukraine, ainsi qu’une opportunité de redéployer légalement l’armée russe dans les zones nouvellement annexées. Et si la Crimée fait partie du « monde russe » pour les autorités russes, alors les nouvelles régions ne sont qu’une monnaie d’échange dans les négociations avec l’Occident et un moyen de faire pression pour forcer Zelensky à négocier plus vite. Après tout, après le sabotage du gazoduc Nord Stream, Poutine perd l’un de ses leviers de pression sur l’Europe. En réponse, le jour de l’anniversaire de son homologue russe, Zelensky a appelé à des frappes nucléaires préventives sur la Russie.

Concernant l’autodétermination pacifique en Ukraine, les socialistes comprennent que l’autodétermination des peuples, jusqu’à leur sécession, doit passer par une votation transparente, en l’absence de toute pression militaire bourgeoise. Le capitalisme est constamment en guerre, et les périodes de stabilité ne sont donc que des trêves temporaires. Si les conditions économiques sont objectives, n’oublions pas le facteur subjectif qui est la résistance des ouvrier·e·s

Alexandre Bazarov

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