Lire la première partie.
Lire la deuxième partie.
Miller a donc construit sa notoriété sur les pires stéréotypes véhiculés sur les Noirs dans les corridors et officines des milieux suprématistes américains. Le « prince-héritier » est d’ailleurs un précurseur de la « post-vérité » de Kellyann Conway, puisqu’il prétendait déjà, du temps où il était étudiant, l’existence de plusieurs « vérités » et que ses conceptions racistes et suprématistes de la société américaine reposaient sur des observations entérinées par des experts. On attend toujours que les sources de celles-ci soient divulguées au grand public.
L’ascension de Miller s’est d’abord faite par son adhésion à l’équipe Trump durant la précampagne présidentielle. Une fois Trump au pouvoir, il fut nommé conseiller à la Maison Blanche, sans que la nouvelle soit trop ébruitée. Peu de gens le savaient à ce moment-là, mais le premier décret sur l’immigration prononcé par Donald Trump fut écrit de la main de Stephen Miller. La suspension du décret par le Juge Robart de la Cour Fédérale de Seattle a révélé Miller comme véritable auteur du décret. Il n’a pas hésité ensuite à se porter à la défense de celui-ci et ses interventions sur les plateaux de télévision ne sont pas passées inaperçues.
Selon Miller, aucun juge de la Cour fédérale est en droit d’annuler ou de suspendre un décret présidentiel : le Président est l’autorité absolue dans l’exercice du pouvoir institutionnel. Point final. Or, cette conception autoritariste de la fonction présidentielle est un désaveu total de la Constitution américaine. Si la Cour fédérale ne peut contester ou abroger un décret présidentiel, cela revient à la rendre inexistante. Toujours selon Steve Miller, la Cour se doit d’appliquer strictement les décisions du président, sans jamais les contester dans le cadre d’un processus juridique qui risquerait d’invalider le décret présidentiel, comme souhaitait le faire le Juge Robart. Miller considère que l’autorité présidentielle est au-dessus de la constitution et qu’il n’est pas tenu de respecter ses clauses ni le partage des pouvoirs prescrit par elle. Cette superposition antidémocratique des pouvoirs – le Président n’étant plus redevable à aucune institution – est le signe d’une grave dérive autoritaire, pour ne pas dire un virage néofasciste à la Maison Blanche.
Dans une tirade enflammée contre le Juge Robart, Stephen Miller affirmait notamment que la Constitution n’avait plus force de loi, ni de droit, sur l’appareil politique lui-même quand celle-ci atteint l’exercice du pouvoir présidentiel. Non seulement Miller trahit-il son mépris de la Constitution, mais de la démocratie constitutionnelle elle-même. La Constitution des Etats-Unis ne soit pas un document parfait juridiquement, ses principes et ses articles de loi protègent les classes dominantes (voir l’ouvrage incontournable qu’est The Economic Interpretation of the Constitution du théoricien marxiste Charles Beard) et les représentants de la démocratie libérale.
Toutefois, la Constitution demeure un recours judiciaire pour la classe ouvrière dans sa volonté de réformer le système politique et économique. La lutte pour les droits civiques des Afro-américains en est l’exemple historique le plus probant. Or, pour Stephen Miller et les idéologues néoconservateurs de la Maison Blanche, la Constitution est désormais soumise aux décisions de la fonction présidentielle.
Au départ, la Constitution des États-Unis repose sur une séparation claire des pouvoirs par trois branches importantes : l’exécutif (le Président et son cabinet), le Congrès (le Sénat et la Chambre des représentants) et le judiciaire (la Cour fédérale et la Cour suprême). Cette séparation stricte des pouvoirs avait pour but – ce devrait toujours être le cas – d’empêcher le retour de la monarchie aux Etats-Unis et éventuellement d’une dictature. La Constitution est l’héritage et la continuité de l’idéal de la Révolution américaine : que le peuple américain et lui seul se gouverne et décide de son sort. La conception du pouvoir de Stephen Miller compromet justement l’héritage et l’avenir de la Constitution. Pire encore, elle le menace de disparition.
Le triangle idéologique à l’œuvre au sein de la Maison Blanche pousse la société américaine et le pouvoir politique vers un virage autoritaire qui met en péril les fondements mêmes sur lesquels les Etats-Unis sont entrés dans l’histoire, c’est-à-dire les principes de la démocratie libérale. La gauche américaine, quant à elle, est consciente que la démocratie libérale est aux services des classes dominantes, mais elle reconnaît aussi l’existence de certains espaces de liberté – durement acquis par la « lutte des classes » - qui sont nécessaires à la destitution du capitalisme. Ces espaces sont présentement menacés par l’administration Trump. La gauche se doit de passer à l’offensive à tous les niveaux de pouvoirs qui existent au sein de la société américaine. Cette lutte démocratique doit se faire en fidélité avec les principes de la Constitution, tout en exerçant un travail d’éducation populaire ciblant le véritable ennemi du peuple américain : le capitalisme néolibéral. Lors du prochain LEFT Forum qui aura lieu le 2, 3 et 4 juin à New York, ces questions seront débattues par les militantes et militants venus des quatre coins du pays qui seront réunis là-bas.
Toutefois, une question demeure (celle-ci sera le sujet de ma prochaine chronique) : la classe capitaliste soutient-elle la démarche du triangle idéologique néoconservateur de l’administration Trump ?