Édition du 17 décembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Les héros qu’on ne connaît pas

Tout le monde à part Stephen Harper ou Donald Trump sait qu’il y a dans notre histoire contemporaine des personnalités extraordinaires qui se sont battues pour les droits et la justice. Automatiquement, on pense alors à Mandela, Gandhi, Martin Luther King. Si on est plus à gauche, on pense au Che Guevara, Rosa Luxembourg, Angela Davis et tant d’autres. Chacune de ces personnes a son parcours particulier rempli d’héroïsme, mais aussi d’« angles morts », de défaites, voire d’erreurs. Si on s’en souvient, c’est que ces personnes se sont tenues droit, qu’ils et elles ont été loyales à leur cause, qu’ils et elles n’ont pas hésité à se mettre en péril pour des causes légitimes. Ce « panthéon » des héros et des héroïnes est important pour aviver nos mémoires et nous redonner le courage de résister à chaque jour.

En réalité, on sait aussi que l’histoire n’est pas « faite » par des géants et des géantes. Certes, ils et elles ont joué un rôle, souvent pour catalyser, symboliser, visibiliser des luttes et des mouvements en profondeur. Ceux-ci sont le produit des efforts conjugués de milliers et de dizaines de milliers de gens, qui ont aussi « tenu bon », qui ont construit des passerelles et participé à déchiffrer des stratégies et des méthodologies. Sans mon ami Willis Mcunu et des milliers de syndicalistes sud-africains qui ont affronté un régime terriblement brutal pendant des dizaines d’années, Mandela serait encore en prison et on aurait encore l’apartheid. Martin Luther King serait encore un pasteur au bon parler sans l’immense mouvement des droits civiques qui a bousculé les États-Unis au tournant des années 1960.

Parfois ces inconnu-es sortent un peu de l’ombre, par le hasard des luttes et des rencontres. Une personnalité surgit, de par ses propres efforts et de son propre courage, dans les moments intenses des luttes. J’ai eu la chance d’en rencontrer plusieurs, mais aujourd’hui, je pense à un en particulier. C’est maintenant un grand-papa, mais cela fait 50 ans qu’il résiste dans une société pas facile du tout qui s’appelle Israël. Et il s’appelle Michel Warschawski, mais tout le monde le connaît comme Mikado.

Fils d’un grand rabbin en France, Mikado est arrivé dans la tourmente comme militant étudiant lié à des groupes d’extrême-gauche. Ceux-ci à l’époque appuyaient la lutte palestinienne, et même les mouvements qui mettaient en place l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP). Il fallait le faire, car la grande majorité des Israéliens, y compris de gauche, voyaient les Palestiniens en général et les mouvements en particulier comme une vulgaire bande de terroristes. Mikado a tenu bon. Il est allé en prison pour refuser de servir dans l’armée. Encore aujourd’hui, il rencontre les Palestiniens dans les territoires occupés et construit des projets pour animer d’innombrables campagnes autour d’un des rares organismes qu’on peut définir d’israélo-palestinien, l’Alternative Information Center (AIC).

C’est un lieu de ressourcement, d’information et de liaison entre la Palestine et le reste du monde, en incluant des Israéliens déterminés à lutter ensemble avec les Palestiniens. Être loyal à la cause en Israël et en Palestine, ce n’est pas seulement se lamenter sur les politiques répressives de l’État. Ce n’est pas seulement condamner la répression, qui est la conséquence d’une politique d’occupation illégale et injuste. C’est remonter à la cause et la cause, c’est la réalité d’un État colonial. Quant à la solution, il n’y en pas 34, il y en a une, et c’est la fin de cette occupation. Seulement à cette condition, les deux peuples pourraient vivre ensemble.

Aujourd’hui dans cette région du monde, c’est un dur moment. La machine de guerre israélienne roule à plein régime. Les Palestiniens sont divisés. L’opinion en Israël est traversée de courants racistes et extrémistes qui appellent à l’expulsion, voire pire encore, des Palestiniens. Se tenir droit n’est pas facile. Mais il faut tenir. Et c’est pourquoi, les Palestiniens, avec l’aide de leurs amis dans le monde, veulent relancer la lutte. Le moyen qu’ils ont trouvé, c’est une grande campagne de boycottage d’Israël (BDS), vous en avez entendu parler.

Il n’est pas facile pour un Israélien de dire qu’il appuie BDS. Comme cela ne l’était pas pour les quelques Sud-Africains blancs qui travaillaient avec la résistance africaine à l’époque de l’apartheid. Pour Mikado, BDS n’a rien d’une opération contre les Israéliens, encore moins d’un projet « antisémite » (comme le répètent le gouvernement israélien et ses complices à Ottawa). C’est un choix nécessaire, qui peut faire bouger les choses et peut-être même, avec un peu de chance, ramener l’idée de la paix dans ce pays de guerre. On rêve un peu, comme Mandela en 1982, quand il croupissait dans les prisons de l’apartheid. Et pourtant, quelques années plus tard, l’impensable est devenu pensable.

PS. Mikado sera avec nous au Forum social en août. Vous pourrez entendre de vive voix un de ces héros anonymes qui fait qu’on garde notre humanité et notre dignité.

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