Quand le 3 avril dernier, à Santiago du Chili, plus d’une centaine de femmes se sont réuni devant le Tribunal constitutionnel, pour protester contre l’arrêt qui interdira l’usage de méthodes de planning familial, la manifestation a été entravée par l’escouade anti-émeute de la police. Les forces de l’ordre ont utilisé des camions à canon d’eau et des bombes lacrymogènes pour s’en prendre aux femmes criant leur indignation dans les rues du centre-ville, faisant 20 arrestations.
Le recours au Tribunal constitutionnel a été introduit par des sénateurs de l’opposition, suite à la décision de l’Exécutif, le gouvernement de la Présidente Michelle Bachelet, d’offrir la « pilule du lendemain » gratuitement dans les cliniques publiques des quartiers pauvres. Ce recul juridique historique [1] vise également à interdire la distribution du « stérilet de cuivre », comme on l’appelle au Chili, un dispositif intra-utérin popularisé pendant la dictature parmi les femmes pauvres du pays. Les services publics soumettaient à l’époque les femmes d’origine modeste à cette contraception, la plupart du temps à leur insu. Il est étonnant que les arguments pour interdire aujourd’hui l’usage du stérilet ne sont pas les effets néfastes sur la santé des femmes que représente le « stérilet de cuivre, mais plutôt les jugements de valeur conservateurs.
Le Tribunal constitutionnel est un organisme héritier de la dictature de Pinochet, une institution conçue à l’origine pour assurer au Forces armées un droit de veto sur la nouvelle démocratie. Actuellement, ce comité relevant du Sénat est formé par des politiciens de la droite conservatrice, affiliés à l’Opus Dei. C’est assez paradoxal donc de voir en 2008, les anciens suppôts de la dictature, les mêmes qui hier toléraient le contrôle autoritaire des naissances des femmes les plus pauvres du Chili, argumenter en défaveur du contrôle volontaire des femmes sur leur corps. Il est difficile, pour nous les femmes, de tolérer le pouvoir que s’attribue le Tribunal constitutionnel pour dicter la vie des êtres humains, à l’heure où le gouvernement chilien prétend montrer au monde une « démocratie consolidée ».
L’option pro-mort
L’élite ultraconservatrice qui mène la bataille contre l’avortement et la contraception prêche avec angélisme la protection du « droit à la vie ». La position pro-vie, celle dictée par la branche intégriste de l’Église catholique, cause en réalité des effets dévastateurs. Les spécialistes de la Faculté de médecine de l’Université du Chili ont soutenu que le pays est aux portes d’une catastrophe pour la santé publique. Ce jugement aura des impacts négatifs se comptant en morts, douleur, souffrance et grand dommage à la famille. Pour chaque « enfant additionnel » à la situation actuelle, mourront plus de deux embryons ou fœtus à cause des avortement clandestins. Le nombre de femmes mourant de complications suite à des avortements clandestins mal pratiqués pourrait quintupler. Il s’agit clairement d’une politique pro-mort massive.
Plusieurs questions demeurent en suspend pour nous les femmes. Au Chili, l’éducation sexuelle n’est pas offerte dans les collèges. Les jeunes filles et les jeunes hommes sont encore à discuter à mot couvert de leur sexualité, sans connaître l’usage adéquat d’un condom. Les femmes pauvres n’ont accès à la pilule que par sa distribution gratuite dans les cliniques de quartier, tandis que les femmes de bonne famille pourront continuer à payer en pharmacie pour effacer le péché à leur « vertu ». C’est un exemple des politiques restrictives, conservatrices, sexistes et classistes qui obligent les femmes latino-américaines à se convertir en mères et mettre en danger plus d’une fois leur vie et leur santé.
Il y en a encore qui ne comprenne pas que ce sont nous, les femmes, qui décidons quand nous voulons devenir mères, que nous sommes celles qui décidons combien d’enfants nous voulons et dans quelles conditions. D’autant plus que le modèle chilien donne si peu de garanties pour pouvoir élever nos enfants avec dignité.
(Traduction : Antoine Casgrain.)