Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

Les arguments qui justifient la prostitution au nom d’une « liberté du marché » ne tiennent pas la route

La prostitution exploite la vie des personnes pauvres et marginalisées, tout comme l’esclavage. Pourquoi alors tant de gens de gauche soutiennent-ils le commerce du sexe ?

Tiré de Entre les lignes et les mots

photo Prostituées « tanka » (ou « boat people »), transportées vers des acheteurs de sexe dans le sud de la Chine, 1848

La prostitution est un système d’exploitation sexuelle commerciale originant et reposant sur le racisme, le colonialisme, l’esclavage, le génocide et les violences commises à l’encontre des femmes et des jeunes filles les plus marginalisées et privées de leurs droits. Le commerce du sexe a de nombreux points communs avec la traite des esclaves.

L’esclavage transatlantique est un commerce international de personnes et de leur travail qui a duré des siècles, du début des années 1500 jusqu’aux années 1880. Depuis la fin de l’esclavage transatlantique en 1888, les États-nations et les institutions internationales ont reconnu légalement les droits fondamentaux des êtres humains et se sont engagés à les protéger. À la lumière de ces promesses de protections, la résurgence d’un esclavage des êtres humains semblerait impossible.

Les agressions sexuelles, le harcèlement et la prostitution, ainsi que les grossesses forcées, étaient monnaie courante pour les femmes vivant sous les régimes esclavagistes. Les soldats des navires négriers, ainsi que les esclavagistes et les autres hommes travaillant dans la traite des esclaves, violaient périodiquement des femmes et des jeunes filles réduites en esclavage.

À l’époque, comme aujourd’hui, la violence sexuelle était utilisée comme une arme de terreur – pour déshumaniser les femmes et humilier leurs maris, frères et fils qui se voyaient rappeler l’impossibilité d’empêcher un tel avilissement. En Amérique du Nord, il existait un commerce de « filles de luxe », dans lequel de jeunes femmes noires, généralement à la peau claire, étaient vendues à des fins de prostitution, à des prix quatre à cinq fois supérieurs à ceux des femmes envoyées travailler aux champs.

Les tactiques utilisées par les proxénètes et les propriétaires de maisons closes d’aujourd’hui pour banaliser le commerce du sexe, par exemple en qualifiant de « sugar daddies » et de « sugar babes » les transactions commerciales entre des hommes âgés et des adolescentes, ne sont pas sans rappeler celles utilisées par les esclavagistes pour banaliser le commerce des esclaves en le présentant comme un simple recours à une « main-d’œuvre ». Par exemple, dans une lettre datée du 1er avril 1789, un stratège pro-esclavagiste des Antilles suggère : «  Au lieu d’« esclaves », appelons les nègres « aides-planteurs » ; et nous n’entendrons pas alors de si violentes protestations contre la traite des esclaves de la part de divins pieux, de poétesses au cœur tendre et d’hommes politiques à la vue courte ».

Le but de la traite des esclaves était d’amasser le plus d’argent possible. Et l’objectif des proxénètes, des trafiquants et des tenanciers de maisons closes est aujourd’hui exactement le même. Pourtant, dans les deux cas, la marchandise vendue est le corps humain. Les femmes prostituées utilisent rarement leur nom véritable, adoptant un nouveau nom suggéré par leur proxénète ou le tenancier de leur maison close. Ces femmes sont considérées comme tellement inférieures qu’elles ne méritent d’être vendues que pour le sexe. Certaines d’entre elles sont tatouées par leur « propriétaire » pour les empêcher de s’échapper ou d’être contrôlées par un autre proxénète. Et l’espérance de vie des femmes qui travaillent dans l’industrie du sexe est inférieure à la moyenne, tandis que l’incidence de leurs meurtres y est bien plus élevée.

Cela fait plus de 30 ans que je mène des recherches et des campagnes contre le commerce du sexe dans le monde. Au cours de cette période, j’ai voyagé et passé du temps avec des centaines de femmes (et quelques hommes) qui m’ont confié leurs récits de violences et d’exploitation. En soutenant ici que la prostitution est une forme d’esclavage, je m’appuie sur la réalité de la vie de ces femmes, plutôt que de présenter une étude statistique de cas.

Les proxénètes, les propriétaires de bordels et les acheteurs de sexe que j’ai rencontrés au cours de mon itinéraire m’ont fait part de divers récits, généralement sans honte, sur la façon dont ils déshumanisent et « possèdent » les femmes qui se prostituent afin de rationaliser leur utilisation en tant que marchandise. Les liens entre l’esclavage et le commerce de la pornographie sont également évidents. Prenons l’exemple de vidéos pornographiques telles que Black Wives Matter et 12 Inches a Slave. À l’instar de la traite des esclaves, le commerce du sexe fonctionne comme une vaste entreprise commerciale.

L’existence du commerce du sexe repose sur la misogynie, les préjugés de classe, le racisme, le colonialisme et l’impérialisme. La nature sexiste du commerce du sexe a fait couler beaucoup d’encre, de même que la pauvreté qui en est un moteur essentiel. Par contre, on constate un vaste silence au sujet de la dimension raciste de la prostitution. Pourtant, bon nombre des 50 survivantes du commerce du sexe avec lesquelles j’ai passé du temps lors de mes recherches pour mon livre sur le commerce du sexe dans le monde, The Pimping of Prostitution (2017), ont parlé de la double oppression qu’elles vivaient en tant que femmes issues de communautés ethniques minoritaires. Je partagerai ici certaines de leurs expériences.

J’ai entendu de nombreuses survivantes noires du commerce du sexe établir un lien entre leur expérience de la prostitution et celle de l’esclavage. Vednita Carter, une abolitionniste afro-américaine du commerce sexuel, m’a dit :

« C’est à l’époque de la traite des esclaves que la traite sexuelle a commencé pour les femmes afro-américaines. Même après la libération des esclaves, les femmes et les filles noires ont continué à être achetées et vendues. Aujourd’hui, il y a trop de zones urbaines pauvres que des hommes de classe moyenne traversent en voiture dans le seul but de trouver une femme ou une fille de couleur à acheter ou à utiliser. »

Mme Carter se souvient d’une anecdote qui illustre les liens entre le racisme et la prostitution. Elle lui a été contée par deux femmes qui se prostituaient dans les rues de Minneapolis :

Les femmes, l’une noire, l’autre blanche, ont été arrêtées par un policier blanc qui les a fait monter à l’arrière de sa voiture de police. Après être resté assis dans sa voiture pendant une minute, le policier a dit à la femme noire de retourner à ce qu’elle faisait. Elle a rapidement sauté de la voiture. La femme blanche s’est mise en colère : « Ce n’est pas juste. Pourquoi l’avez-vous laissée partir et pas moi ? Le policier lui a répondu : « Parce que c’est tout ce qu’elle vaut. Elle ne sait rien faire d’autre. Vous, vous avez d’autres choix. Je vous emmène en prison pour vous donner une leçon, dans l’espoir que vous sortirez de la prostitution et que vous ferez quelque chose de votre vie.

«  Je pense que cette déclaration dit tout, ajoute Carter. Les femmes noires sont au bas de l’échelle sociale. Le point de vue de cet officier sur les femmes noires est ancré dans l’éthique de notre société depuis l’époque esclavagiste. »

En 1996, Mme Carter a créé Breaking Free, un service d’aide aux femmes et aux jeunes filles prostituées à Minneapolis. Elle me dit que plus de 60% des utilisatrices de ce service sont des Noires. «  Selon les données de l’ensemble du système américain de justice pénale, les femmes et les jeunes filles de couleur sont largement surreprésentées dans les arrestations, les inculpations et les condamnations pour des délits liés à la prostitution. Les femmes Noires sont plus susceptibles de se voir retirer leurs enfants que les femmes blanches de la rue, et plus susceptibles d’être arrêtées », déclare Mme Carter.

Les femmes et les jeunes filles afro-américaines sont beaucoup plus vulnérables à la prostitution que leurs homologues blanches. Par ailleurs, de nombreuses femmes originaires de pays d’Asie du Sud-Est tels que les Philippines, la Corée du Sud, le Cambodge et le Viêt Nam sont vendues à des hommes qui les visitent en tant que touristes sexuels.

Dans le cadre de mes recherches sur le commerce du sexe dans les zones où il est légalisé, telles que les bordels à vitrine de De Wallen, le quartier rouge d’Amsterdam aux Pays-Bas, les attitudes racistes des acheteurs de sexe à l’égard des femmes prostituées sont monnaie courante. Pour ces hommes, choisir une femme de couleur tient essentiellement à réaliser un fantasme fondé sur des stéréotypes racistes et colonialistes. Cela se reflète également dans la publicité de ce commerce : Les femmes afro-caribéennes sont présentées comme plus aventureuses sexuellement, les femmes chinoises et d’Europe de l’Est comme plus soumises, et les femmes latinas comme plus sensuelles.

La commercialisation des services sexuels mise souvent sur des stéréotypes racistes et colonialistes. Par exemple, lorsque l’Asian Women for Equality Society aux États-Unis a analysé 1 472 publicités en ligne pour la prostitution, elle a constaté que 90% d’entre elles utilisaient des tropes racistes concernant les femmes asiatiques comme argument de vente. Les femmes étaient « caractérisées et présentées comme soumises, exotiques, nouvellement immigrées, fraîchement débarquées, jeunes et inexpérimentées – c’est ce que les hommes recherchent chez les femmes asiatiques ».

En Europe, les femmes sont également commercialisées selon des critères stéréotypés et racistes. L’une des nombreuses femmes asiatiques que j’ai interviewées dans les bordels à vitrine de De Wallen s’est expliquée comme suit :

«  Je viens de Thaïlande et le propriétaire de cette fenêtre dit aux hommes qui défilent à l’extérieur que je suis prête à faire n’importe quoi parce que je suis « orientale ». Il leur dit que je ferai de l’anal sans protection et que je serai très soumise. Les clients blancs s’attendent à ce que je fasse tout, peut-être plus que les filles blanches. »

La preuve du caractère endémiquement raciste du commerce du sexe est bien en évidence. Il suffit de prendre l’exemple du scandale du club de football britannique Leicester City en 2015. Trois joueurs du club – James Pearson, Tom Hopper et Adam Smith – se trouvaient en Thaïlande pour un match officiel. Pendant leur séjour, les hommes ont engagé un groupe de femmes prostituées et les ont soumises à une orgie. Les femmes ont rapporté que les hommes avaient prononcé des phrases offensantes, notamment : «  Allez … vous êtes des salopes » : «  Allez … toi, les yeux bridés…  » Une autre femme s’est entendue dire qu’elle était «  une putain de puante… absolument 1 sur 10 », tandis qu’une troisième femme s’est fait dire de « manger de la merde ». Des images de ces violences filmées à l’aide d’un téléphone portable ont été partagées avec d’autres joueurs de football et des amis de ces hommes au Royaume-Uni. Elles sont rapidement devenues l’un des films de porno « gonzo » (hyper-brutal) les plus populaires en ligne.

Le scandale thaïlandais a valu à ces footballeurs de perdre leur emploi et d’être sévèrement condamnés pour leur « comportement honteux ». Pourtant, les hommes blancs qui, en temps normal, ne se soucient guère de la violence à l’égard des femmes, justifient souvent leur propre racisme en reprochant aux hommes de couleur leur misogynie. Prenons l’exemple des agressions sexuelles collectives qui ont eu lieu dans la ville allemande de Cologne lors du réveillon du Nouvel An 2016. Les quelque 1 000 responsables ivres et agressifs en cause auraient été d’apparence « arabe et nord-africaine ». En conséquence, un certain nombre d’hommes blancs du Royaume-Uni ont décidé que c’était le moment de défendre les femmes et de condamner les violences sexuelles. Certains hommes ont mis cela sur le compte du fait que les agresseurs semblaient être d’origine musulmane, suggérant que, pour une raison ou une autre, les agressions de femmes dans la rue ne s’étaient jamais produites avant cet « afflux » de réfugiés et de demandeurs d’asile.

Au moment où ces agressions de femmes se produisaient à Cologne, je visitais l’une des plus grandes maisons closes de la ville, située à une courte distance. J’ai interrogé les proxénètes, les acheteurs de sexe et une des femmes à l’intérieur du bordel, et j’ai eu accès au « menu » des « services » que les femmes étaient censées fournir. Le proxénète qui me faisait visiter les lieux m’a dit que les « filles africaines » étaient très populaires auprès des hommes qui deviennent « dominants » et veulent « essayer des choses » sans se retrouver au poste de police. En l’interrogeant davantage, il est apparu clairement qu’il parlait de relations sexuelles extrêmement brutales, qui sont commercialisées par ce bordel particulier comme quelque chose que les femmes d’origine africaine « aiment » expérimenter.

«  Il s’agit d’un stéréotype raciste classique concernant les femmes Noires », déclare Esohe Aghatise, une avocate internationale qui a fondé en 1998 l’organisation à but non lucratif Iroko dans la ville italienne de Turin, un service de soutien et de défense des femmes et des jeunes filles victimes de la traite des êtres humains du Nigéria vers l’Europe. « Les femmes noires sont considérées comme des objets sexuels exotiques que les hommes blancs achètent et utilisent de façons qu’ils n’utiliseraient pas avec d’autres femmes ». Elle poursuit : « Le type de « services sexuels » qu’ils exigent de ces « sauvages » repose sur la croyance mythique qu’elles ont un seuil élevé de tolérance à la douleur, ce qui leur permet de se livrer à différents types d’activités atroces pour leur corps, car [les femmes noires] ne sont pas considérées comme des êtres humains, mais comme plus proches des singes. »

De nombreuses femmes de couleur ont déclaré avoir été élevées dans un climat d’attentes sexuelles qui les rend vulnérables à la prostitution. Par ailleurs, de nombreux hommes blancs semblent s’attendre à ce que les filles et les femmes de certaines origines ethniques soient particulièrement « adaptées » au commerce du sexe.

Taina Bien-Aimé, une Américaine d’origine haïtienne, est directrice exécutive de la Coalition contre la traite des femmes. «  J’ai appris très jeune, en écoutant ma mère et mes tantes autour de la table de la cuisine, que les hommes convoitaient nos corps », dit-elle. « Nos lèvres et nos seins pulpeux, la façon dont nous nous déhanchions, les teintes brunes de notre peau ont toujours été la cible du regard masculin, du harcèlement sexuel et du viol ». Elle explique : « Les Espagnols d’abord, puis les Français et plus tard les Américains, ont profané les femmes africaines indigènes et asservies en Haïti dans le cadre de rituels misogynes un schéma que l’on retrouve dans tout le « Nouveau Monde ». La prostitution est un héritage de cette oppression systémique. »

Selon Mme Bien-Aimé, la prostitution est conforme au schéma qui a émergé au cours de la traite des esclaves : « La seule différence avec les esclavagistes, c’est que ces hommes, quelques générations plus tard, paient pour avoir accès au corps des femmes noires. La prostitution n’est pas un concept que l’on trouve dans les langues indigènes, c’est une exploitation liée au colonialisme ».

Ne’Cole Daniels est une survivante du commerce du sexe basée aux États-Unis, qui défend les intérêts des personnes vulnérables piégées dans la prostitution. Selon sa propre expérience du commerce du sexe, les filles et les femmes noires subissent la double oppression du racisme et de la misogynie tout en étant exploitées par des hommes blancs.

«  Ils pensent pouvoir nous faire tout ce qu’ils veulent, y compris ce qu’ils ne peuvent pas faire à leurs propres épouses. La prostitution, c’est comme le racisme, déclare Mme Daniels. Ils disent que certaines d’entre nous, en particulier les filles noires, valent moins que d’autres.  »

La colonisation et le commerce du sexe vont de pair. Là où il y a la guerre, l’occupation militaire et des conflits, la prostitution suit souvent. Janice Raymond est une universitaire américaine et une militante féministe contre le commerce du sexe, ainsi qu’une ancienne codirectrice de la Coalition contre la traite des femmes. Elle a étudié le phénomène des « femmes de réconfort  », expression utilisée pour désigner les femmes enrôlées de force dans l’esclavage sexuel militaire par le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le cas de ces «  femmes de réconfort » constitue l’un des crimes de guerre les plus flagrants du XXe siècle, mais il n’a jamais été officiellement reconnu comme tel. Le nombre de femmes ainsi asservies est estimé à 200 000, et les méthodes pour les obtenir étaient très organisées et soutenues par le gouvernement. Le système des « femmes de réconfort » a commencé avant la guerre et a duré plus de 15 ans ; les pays dans lesquels il a fonctionné couvraient toute l’étendue de l’empire japonais du temps de la guerre dans la région Asie-Pacifique. L’armée américaine a même reproduit le système des « femmes de réconfort » dans les années d’après-guerre, lorsqu’elle occupait le Japon.

La plupart de ces femmes sont aujourd’hui décédées, mais celles qui ont survécu et leurs alliées continuent de faire pression sur le Japon pour qu’il assume la responsabilité de ce crime, qu’il présente ses excuses et qu’il verse des réparations », explique Mme Raymond. Aux Philippines, les soldats américains décrivaient les femmes qu’ils exploitaient comme de « petites machines à baiser brunes »… La prostitution parrainée par l’État est devenue un élément intrinsèque de la pratique coloniale américaine. Le colonialisme militaro-prostitutionnel a constitué l’épine dorsale d’un empire littéralement construit sur le corps d’une prétendue race inférieure de femmes – utilisées comme système de confort pour les troupes d’occupation et avec la pleine permission des autorités militaires ».

Les femmes indigènes disparues et assassinées qui étaient prostituées dans l’un des quartiers les plus pauvres de Vancouver, au Canada, devraient nous renseigner sur la nature prédatrice du système prostitutionnel, lorsqu’il s’agit des femmes les plus marginalisées et privées de leurs droits. En 1983, une prostituée du quartier Downtown Eastside de Vancouver a disparu, la première des 69 femmes de ce type qui ont été enlevées du quartier sur une période de 20 ans avant que la police ne procède finalement à l’arrestation d’un suspect.

En faisant des recherches sur ces femmes assassinées et disparues lors de visites à Vancouver en 2015 et 2017, j’ai rencontré Courtney, une femme autochtone, une militante pour les femmes victimes de la prostitution et elle-même une survivante de cette industrie. « Le commerce du sexe repose sur le racisme et le colonialisme, ainsi que sur la misogynie, explique-t-elle. Pour les femmes autochtones, les Afro-Américaines et toutes les femmes et filles de couleur, c’est une autre façon pour l’homme blanc de prendre ce qu’il veut de nos communautés, de notre culture et de nos âmes.  »

Trisha Baptie est une survivante canadienne et une journaliste citoyenne. En 2007, elle a couvert le procès de Robert Pickton, le tueur en série condamné pour les meurtres de six femmes prostituées, principalement autochtones, du quartier de Downtown Eastside. Mme Baptie s’est mérité des prix pour son reportage, qui s’appuyait sur sa connaissance intime de cette partie de Vancouver et sur son point de vue d’amie des victimes. « Je suis issue de la classe moyenne, explique-t-elle. Mon père venait d’un pays qui n’était pas très tendre avec lui en raison de la couleur de sa peau. Il battait ma mère et nous avons passé beaucoup de temps dans des foyers de transition. Juste avant mon 12e ou 13e anniversaire, j’ai fait ma première passe, parce qu’une fois que vous êtes prise en charge par l’État, cela semble être une progression naturelle. De nombreux enfants autochtones canadiens ont été arrachés à leur foyer et placés dans ce que l’on appelle des « foyers d’accueil ». Il s’agit d’un système raciste, dans lequel nous ne sommes même pas autorisés à rester dans nos propres communautés, parce qu’ils voulaient que nous nous assimilions, que nous laissions notre culture derrière nous. »

Bien que la majorité des personnes qui dénoncent le racisme dans le commerce du sexe soient des femmes, certains hommes s’inquiètent des effets de la normalisation de la prostitution sur les communautés indigènes. Pala Molisa travaille à l’université de Wellington, en Nouvelle-Zélande, et il milite contre la violence masculine. Originaire de Vanuatu, une nation insulaire du Pacifique Sud, il considère la prostitution comme une forme d’oppression raciale et affirme avoir appris de sa mère et d’«  autres sœurs indigènes » les fondements suprémacistes et coloniaux de la prostitution. « Nous ne voulons pas seulement que les hommes soient tenus responsables de la réduction des femmes à l’état de biens sexuels, nous voulons voir démantelée toute l’institution de la prostitution – [qui est] le fondement de la culture du viol patriarcal colonial », déclare-t-il. L »e modèle dominant de la masculinité dans le cadre de la suprématie masculine est également façonné par la race et la classe, par le capitalisme et la suprématie blanche. »

Les acheteurs de sexe, ou prostitueurs, que j’ai interrogés confirment la nature raciste du paiement pour le sexe. «  Vous pouvez choisir, comme dans un catalogue », m’a dit un client basé au Royaume-Uni. « Quelle que soit leur couleur, leur religion ou leur taille, je peux les obtenir ». Le commerce du sexe est aussi raciste que misogyne. Comme le dit Marian Hatcher, une abolitionniste afro-américaine du commerce du sexe : « Nous ne sommes pas des bestiaux marqués, ni nées avec des étiquettes de prix et des codes-barres imprimés sur notre chair. »

Le tremblement de terre de janvier 2010 en Haïti a créé 220 000 morts, 300 000 blessés et 1,5 million de personnes entièrement démunies. L’organisation caritative mondiale de confiance Oxfam a mis en disponibilité un fonds de 70 millions de livres sterling pour distribuer de l’aide et reconstruire les infrastructures de ce pays appauvri et dévasté. Cependant, il s’est avéré par la suite qu’un groupe de travailleurs humanitaires masculins vivant dans une résidence de Delmas, près de la capitale Port-au-Prince, a été impliqué dans une grave inconduite sexuelle. Les hommes vivaient dans une maison d’hôtes louée par Oxfam, qu’ils appelaient « les appartements roses » et « le bordel », selon des notes détaillées et des enregistrements de conversations avec des témoins, confirmés par une source à qui l’un des résidents de la maison d’hôtes a montré des images de son téléphone.

La source a poursuivi : « [Les travailleurs humanitaires] organisaient de grandes fêtes avec des prostituées. Ces filles portaient des T-shirts Oxfam, couraient à moitié nues, c’était comme une orgie à la Caligula. C’était incroyable. C’était de la folie. Lors d’une fête, il y avait au moins cinq filles, et deux d’entre elles portaient des T-shirts blancs d’Oxfam. Ces hommes parlaient d’organiser des « barbecues de jeune viande ».

Roland van Hauwermeiren, directeur d’Oxfam en Haïti, a été contraint de démissionner en 2011 après avoir admis que des prostituées se rendaient dans sa villa Oxfam. Pourtant, l’année suivante, il est devenu chef de mission pour Action contre la faim (ACF) au Bangladesh. L’organisation caritative française avait procédé à des vérifications préalables à l’embauche, mais a déclaré qu’Oxfam «  n’a partagé avec nous aucun avertissement concernant [sa] conduite contraire à l’éthique, les raisons [de] sa démission ou les résultats de leur enquête interne ». Un porte-parole d’ACF a déclaré : « De plus, nous avons reçu des références positives d’anciens employés d’Oxfam qui ont travaillé avec lui, dont un [ancien] responsable des ressources humaines ».

Ce n’est pas une coïncidence si des hommes blancs dominent la plupart des grandes organisations d’aide du Royaume-Uni, et si de nombreuses organisations d’aide internationale basées en Afrique et ailleurs dans le Sud sont gérées comme des fiefs privés et impériaux. La prostitution est fondée sur l’inégalité, et il n’y a rien d’aussi frappant que le déséquilibre de pouvoir entre les femmes des pays en développement qui tentent désespérément de se nourrir et de nourrir leurs enfants à la suite d’une catastrophe, et les sauveurs masculins blancs censés aider à soulager leurs terribles souffrances. Pour reprendre les mots de la militante et autrice de L’enfer des passes, Rachel Moran, survivante irlandaise du commerce du sexe, commentant la politique d’Amnesty International en matière de prostitution, la chose appropriée pour tout sauveur à mettre dans la bouche d’une femme affamée « c’est de la nourriture, pas votre bite ».

Julie Bindel

Traduction : TRADFEM
VERSION ORIGINALE :
https://juliebindel.substack.com/p/the-free-market-arguments-wont-wash ?
https://tradfem.wordpress.com/2023/05/23/les-arguments-qui-justifient-la-prostitution-au-nom-dune-liberte-du-marche-ne-tiennent-pas-la-route/

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Le mouvement des femmes dans le monde

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...