Édition du 28 janvier 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

L’asservissement des employées de maison révèle la logique brutale des chaînes de soins mondiales

« Parfois, je n’ai même pas le temps d’aller aux toilettes. Les jours très chargés, je porte des couches. C’est le côté pathétique de ce travail domestique rémunéré ».

Tiré de Entre les lignes et les mots

Ce témoignage est tiré de l’un des six entretiens semi-structurés menés en 2023 avec des femmes sri-lankaises travaillant comme employées de maison au Koweït. Depuis les réformes de laissez-faire de 1977, le Sri Lanka est devenu un important exportateur de main-d’œuvre vers les pays du Conseil de coopération du Golfe. Une part importante de cette main-d’œuvre est constituée de femmes qui émigrent en tant qu’employées de maison, contribuant ainsi de manière substantielle aux revenus du Sri Lanka. Ces travailleuses sont souvent confrontées à de graves difficultés sociales et physiques dans les pays de destination en raison des inégalités mondiales et de la violence structurelle inhérente aux systèmes de soins transnationaux, en particulier l’exclusion violente imposée par le système de la Kafala.

De nombreuses femmes, parfaitement conscientes des conditions de travail épouvantables dans la région du Golfe, émigrent à plusieurs reprises pour assurer le bien-être de leur famille. Ces migrations répétées entraînent des crises reproductives extrêmes, tant au niveau domestique qu’au niveau du corps, ce qui leur donne l’impression d’être asservies. Cet article montre comment diverses forces systémiques au sein des chaînes de soins mondiales aggravent leur crise de reproduction sociale et contribuent à la dévalorisation de leur travail et de leur personne.

La fuite comme seule option

La pauvreté, la faim et la violence sexiste poussent les femmes sri-lankaises à émigrer, utilisant le travail de soins transnational comme moyen d’échapper aux difficultés économiques et à la violence. Aucune des personnes interrogées ne considère sa migration comme une option parmi d’autres pour surmonter les difficultés économiques ; elles la considèrent plutôt comme leur seul choix viable. Bien qu’elles aient tenté de rester au Sri Lanka en acceptant des emplois dans l’industrie de l’habillement ou en créant de petites entreprises telles que des ateliers de couture ou de culture de champignons, elles ont été contraintes d’émigrer en raison du manque de soutien du gouvernement aux petites entreprises et de l’inflation récente. Les participantes reprochent au gouvernement sri-lankais de considérer les femmes pauvres comme une simple source de revenus étrangers, convenant uniquement à un travail de soins à l’étranger, plutôt que comme des citoyennes pouvant contribuer au marché du travail national tout en restant dans leur pays d’origine.

Le coût du travail domestique

Dans l’espoir d’échapper à leurs difficultés, les travailleuses domestiques émigrent souvent au Moyen-Orient, où le système de la Kafala est en place. Dans le cadre de ce système, le travail est fortement marchandisé, car l’État accorde aux parrains les pleins pouvoirs sur l’emploi des travailleuses migrantes, y compris la prise en charge de toutes les dépenses et la fourniture d’un logement. Le système de la Kafala crée une dépendance qui engendre un important déséquilibre des pouvoirs, permettant aux employeurs non seulement de contrôler et d’exploiter les conditions de travail, mais aussi d’exercer un contrôle sur le corps des employées (par des violences sexuelles et physiques), sur leurs comportements (en les surveillant à l’aide de caméras) et sur leurs émotions (par des insultes verbales et des réprimandes).

Une personne interrogée a rapporté que la femme de son employeur lui avait brûlé la main pour la punir d’avoir accidentellement brûlé une robe. Une autre a raconté avoir tenté de se suicider en sautant du toit parce qu’elle ne pouvait plus supporter la violence physique et sexuelle de son employeur. Certaines personnes interrogées ont décrit le manque d’accès à la nourriture et aux besoins d’hygiène de base, tandis que d’autres n’étaient autorisées à manger que les restes. Un employeur a compté avec précision les œufs et les mangues, et a mesuré le jus et le lait avant de quitter la maison pour s’assurer que la travailleuse domestique ne puisse pas consommer la nourriture de l’employeur.

Les récits concernant le manque de temps pour les soins personnels, y compris l’impossibilité de prendre un bain, d’utiliser les toilettes, de se reposer ou de dormir, en raison des longues heures de travail (14 à 20 heures par jour), illustrent encore la crise de reproduction sociale que les travailleuses domestiques subissent physiquement. Une personne interrogée a expliqué qu’elle travaillait de 3h30 du matin à 12h30 ou 1h00 du matin le lendemain, la plupart du temps sans véritable pause, puis qu’elle se lavait rapidement avant de remettre son uniforme. Elle a expliqué qu’elle n’avait jamais dormi sans son uniforme depuis qu’elle avait commencé à travailler dans le ménage actuel. Le fait qu’elle remette son uniforme avant de dormir juste pour gagner 10 à 15 minutes de repos supplémentaires symbolise l’extrême crise de reproduction sociale que subissent ces travailleuses. Une autre personne interrogée, qui a laissé sa fille de deux ans au Sri Lanka, a commencé à allaiter alors qu’elle s’occupait de l’enfant de son employeur. Son employeur l’a emmenée chez un médecin au Koweït pour qu’il supprime la lactation et qu’elle puisse travailler sans difficulté. Cet incident illustre la marchandisation du travail de soins, qui permet aux employeurs de contrôler le corps des travailleuses domestiques et leurs besoins en matière de reproduction sociale.

Cette recherche identifie la crise de la reproduction sociale à deux niveaux. Au niveau des ménages, les femmes migrantes fournissent un travail essentiel pour soutenir la reproduction sociale dans les pays d’accueil, ce qui crée une crise des soins dans leur pays d’origine en raison du déficit de soins qui en résulte. Au niveau personnel, les travailleuses domestiques luttent pour satisfaire leurs propres besoins de reproduction sociale. Cette double charge se manifeste par une crise de la reproduction sociale.

Les racines de la crise de la reproduction sociale

Le travail de reproduction sociale a traditionnellement été relégué aux femmes dans les différents systèmes de production. Toutefois, dans le système capitaliste, la séparation spatiale de la reproduction et de la production a entraîné une division sexuée du travail, associant principalement les femmes au travail domestique et reproductif. Cette division renforce les inégalités entre les sphères en dévalorisant le travail de soins. Les sphères de la production et de la reproduction fonctionnent selon des règles et des hiérarchies distinctes, ce qui crée des disparités en termes de conditions de travail, d’avantages, de liberté personnelle et d’engagement social. Ainsi, le travail de soins, principalement effectué par les femmes dans la sphère domestique, devient essentiel mais invisible.

La dévalorisation des soins et du travail domestique est encore exacerbée par la féminisation de la migration. De nombreux pays en développement encouragent le travail de soins dévalorisé et transnational dans des conditions précaires comme stratégie pour surmonter la pauvreté, le chômage et les problèmes de dette extérieure causés par l’ajustement structurel et les politiques de libre marché. Les gouvernements tirent profit de la migration des femmes en allégeant la pression du chômage, tandis que les transferts de fonds des travailleuses contribuent de manière significative au développement économique. Cependant, la séparation géographique des travailleuses domestiques migrantes de leur famille entraîne un déficit de soins au sein de leur propre foyer, ce qui conduit en fin de compte à une crise de reproduction sociale.

Au niveau corporel, l’épuisement et la lutte pour satisfaire leurs propres besoins de reproduction sociale que les travailleuses domestiques migrantes endurent dans les pays de destination reflètent les racines du capitalisme et du patriarcat. Les longues heures de travail sans pause, les heures supplémentaires non rémunérées et les mauvaises conditions de travail sont les produits d’un système capitaliste qui privilégie les profits au détriment du bien-être des travailleuses. Cette exploitation illustre la manière dont le capitalisme utilise les femmes du Sud comme source de main-d’œuvre bon marché, les considérant comme une armée de réserve prête à occuper des emplois dévalorisés dans les pays développés.

Cette dynamique met en évidence la manière dont les inégalités mondiales exploitent les femmes de couleur, renforçant les disparités économiques et raciales, tandis que le patriarcat et le capitalisme obligent ces femmes à donner la priorité aux soins des autres, négligeant ainsi leurs propres besoins de reproduction sociale en raison de leur incapacité à s’occuper physiquement de leurs propres enfants. Les femmes migrantes et leurs enfants portent le fardeau émotionnel de la séparation géographique – les femmes ne pouvant pas s’occuper de leur propre famille et les enfants ne pouvant pas recevoir les soins dont ils ont besoin.

Les travailleuses se défendent

Bien que les travailleuses domestiques migrantes soient constamment confrontées à des charges quotidiennes dues à la violence structurelle inhérente au travail de soins, elles défient constamment ces forces et dynamiques de pouvoir grâce à leur capacité d’action et à leur résilience. Une personne interrogée a décrit comment elle s’est opposée à la tentative du fils adulte de son employeur de la frapper en entamant une grève et en refusant de travailler jusqu’à ce que la femme de l’employeur promette que de telles situations ne se reproduiraient plus.

Les récits révèlent comment les travailleuse organisent leur résistance par diverses méthodes, notamment en guidant les nouvelles migrantes via WhatsApp, en enseignant l’arabe, en partageant des histoires, en motivant d’autres travailleuses domestiques et en discutant de leurs problèmes lors de sessions TikTok en direct. Les actes significatifs d’action collective au-delà de leurs luttes quotidiennes isolées comprennent l’établissement de réseaux de soutien social et la prise de contact avec des figures d’autorité, telles que des politicien·nes, par le biais de sessions TikTok en direct pour sensibiliser à leurs problèmes.

Bien que les travailleuses domestiques migrantes restent prises au piège d’une crise de reproduction sociale extrême, le gouvernement sri-lankais a activement encouragé la migration pendant la crise économique actuelle en assouplissant les restrictions précédemment imposées aux travailleuses. Cette approche est considérée comme une stratégie de survie, utilisant effectivement les corps des femmes comme des « solutions rapides » pour faire face à la crise économique. Ces amendements gouvernementaux soulignent une fois de plus l’impact disproportionné des politiques néolibérales liées au capitalisme sur les femmes. Ils soulignent la coercition exercée sur les femmes du Sud pour qu’elles émigrent afin d’occuper des emplois précaires et mal rémunérés, comme le travail de soins dans les pays plus riches.

Ishara Rangani Wijayamuni
Ishara Rangani Wijayamuni est titulaire d’un master en économie politique mondiale et développement de l’université de Kassel. Son mémoire de maîtrise portait sur l’exclusion sociale des travailleuses domestiques migrantes sri-lankaises, en s’appuyant sur les chaînes de soins mondiales et la théorie de la reproduction sociale pour analyser les impacts socio-économiques plus larges de la migration et de l’inégalité entre les hommes et les femmes.

https://globallabourcolumn.org/2024/12/16/domestic-workers-bondage-exposes-the-brutal-logic-of-global-care-chains/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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