Les Rose : une famille ouvrière typique
« En comprenant mieux Paul Rose, et en connaissant mieux la famille Rose, j’avais le sentiment que l’on comprendrait mieux la Crise d’Octobre, disait Félix, en entrevue. Et comme c’est une famille typiquement ouvrière, ça permettra aussi de mieux comprendre l’histoire du Québec. » Et comment !
Ainsi, dès le début du film, grâce à de précieuses archives fournies par Lise Rose, une des sœurs de Paul, nous nous retrouvons avec la famille Rose des années 50-60 (St-Henri et ville Jacques-Cartier), tant dans leur naïve et touchante intimité que par extension, dans la conjoncture typique des milieux populaires et ouvriers du Québec. Une situation politico-sociale où se chevauchaient le cheap labor et le faible degré d’instruction des canadiens-français, leur relative pauvreté matérielle et sociale, une nette domination anglaise, la pesante empreinte du clergé catholique, une langue française bafouée, le patriarcat et le sexisme généralisés, etc.
Par la suite, nous avons droit à quelques scènes moins connues où l’on (re)-découvre un Paul Rose professeur et militant qui, tout en sympathisant avec le FLQ naissant, lutte aussi contre toutes les inégalités sociales et politiques de son environnement : des scènes comme la St-Jean-Baptiste-68, à Montréal, le bill-63, St-Léonard, McGill français, Trudeau-père, la Maison du Pêcheur à Percé*, bref, les séquences choisies illustrent à merveille tout le bouillonnement qui précède la Crise d’Octobre-70.
« Paul m’a expliqué la répression politique à l’endroit des comités de citoyens-nes, les coups de matraque, l’interdiction de manifester (maire Drapeau) … Ce n’était pas l’histoire de gens qui se lèvent un bon matin en disant : bon, aujourd’hui on va enlever le ministre du Travail ! », raconte Félix Rose qui dit avoir voulu comprendre son père, plutôt que le justifier.
Le « p’tit frère », la mère, l’épouse et les sœurs
Cela dit, ce film met en vedette quelques rares personnages dont Jacques Rose, celui qu’on voyait souvent comme le « p’tit frère de l’autre », lequel a accepté pour la toute première fois de parler publiquement de cette affaire. Et il faut l’entendre, le Jacques, raconter en mots simples et colorés sa propre version : son frère Paul tant aimé, son expérience du milieu ouvrier, la Maison du Pêcheur, les camarades Simard et Lortie, la crise d’octobre, la mort de Pierre Laporte, la fuite, les caches, tout y passe ! Seulement, il n’y aura pas de « révélation » sur la mort de Laporte, et aux dires de Jacques, celle-ci demeure un accident et une « responsabilité collective » de la cellule Chénier.
Point barre !
N’empêche, son témoignage est captivant, et certaines anecdotes dont celle avec le « molosse » Albert Lisaceck, sont tout bonnement hilarantes. Et que dire de cette scène où il demande « mais où est-ce qu’il est rendu, mon frère Paul ? » … Sublime ! Une sorte point d’orgue dans l’émotion !
De même, l’autre personnage fort de cette production est sans contredit Rose Rose, la matriarche, un petit bout de femme très déterminée, que l’on voit tantôt comme n’importe quelle mère-poule prenant le clan sous son aile, tantôt comme une militante active et infatigable se battant sur tous les plateaux judiciaires et politiques pour le bien-être et la liberté de ses deux fils emprisonnés. Tout un must pour le film, que cette dame ! Une mère aimante, pour qui Paul faisait des enregistrements clandestins depuis sa cellule afin de garder le cap avec sa propre raison ! Un roc, une force de la nature que j’ai quelquefois rencontrée (jadis, à Montréal), et dont je garde un souvenir impérissable, tellement elle nous renvoyait à nous, jeunes « révolutionnaires », l’amour inconditionnel de nos propres mères.
Et en la voyant s’activer d’ailleurs, on comprend mieux l’hommage que lui rend son fils Paul alors qu’elle vient de décéder ; un moment qui s’avère à lui seul une pièce d’anthologie, tellement le discours de fierté filiale y est profond, inspirant et puissant.
Quant aux autres témoignages tout aussi empreints d’humanité qui parsèment ce film, citons ceux de Suzanne et Claire, deux des sœurs de Paul, celui très riche d’Andrée Bergeron, sa lumineuse conjointe, ainsi que les propos de Lise Balcer, une amie féministe de Paul Rose, qui évoque le coup d’éclat de sept de ses consœurs du Front de Libération des Femmes (FLF), en 1971, alors qu’elle avait refusé de témoigner au procès de Paul Rose, son ancien colocataire. Une action magistrale, qui s’était soldée par l’emprisonnement des femmes, et quelques mois plus tard, par le dépôt d’une loi permettant aux femmes de devenir jurées. *
Le FLQ : un nationalisme révolutionnaire
Autrement, ce film relate l’activisme des frères Rose dans le système carcéral, la grève de la faim pour appuyer le détenu politique Bobby Sands, en Irlande, ainsi que la brillante « deuxième » carrière de Paul qui, une fois sorti de prison en 1982, a obtenu une maîtrise et un doctorat en développement régional à l’UQAR, en plus d’y être chargé de cours. Par la suite, le père de Félix et Rosalie (prise de son du film) s’est impliqué très activement en politique (PDS, UFP, etc.) et a même travaillé pour la CSN.
En terminant, je laisse la parole à Pierre Dubuc, directeur de l’Aut’Journal, un mensuel (et hebdo) auquel Rose a lui-même longtemps collaboré …
« (…) Des écrivains (Ferron, Hamelin), d’ex-felquistes (Vallières), et nombre de commentateurs politiques ont cherché à réduire la crise d’octobre à une manipulation policière, et les felquistes à de vulgaires kidnappeurs. Le FLQ était au contraire l’expression du nationalisme révolutionnaire québécois, inspiré des Tupamaros uruguayens, des Black Panthers américains, et des révolutions cubaine, algérienne et d’autres pays du Tiers-monde. (…) Au moment où la droite et une certaine gauche remettent en question les acquis de la Révolution tranquille, les felquistes méritent notre respect, et le film Les Rose est une contribution majeure à la « version officielle » de l’histoire de la jeunesse militante des années 60-70, de ces « fils enragés » des « nègres blancs d’Amérique » et du nationalisme révolutionnaire québécois. »
Un constat que j’appuie sans réserve.
Voyez ce film !
Gilles Simard
* La Maison du pêcheur est aussi un film québécois réalisé par Alain Chartrand, sorti en 2013.
* Ce fait d’armes, ainsi que les luttes du Front de libération des femmes (FLF), sont racontés dans le documentaire en baladodiffusion Debouttes ! de Jenny Cartwright
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