photo et article tirés de NPA 29
La question nationale
Les marxistes ont toujours accordé une grande importance à la question nationale. Par exemple, Marx et Engels ont apporté leur soutien à la lutte de libération nationale des Irlandais. Mais, pour les deux fondateurs du socialisme scientifique, cette question restait toujours subordonnée aux intérêts généraux de la classe ouvrière internationale. Une lutte nationale peut jouer un rôle révolutionnaire ou un rôle réactionnaire : cela dépend du contexte concret et des forces de classes en présence.
Ainsi, nous sommes pour le droit à l’autodétermination des peuples, y compris leur droit à la séparation ; mais nous ne sommes pas favorables à la séparation de toutes les nations. Pour illustrer ce point, Lénine utilisait une analogie : nous luttons pour le droit à l’avortement, mais nous ne demandons pas l’avortement de toutes les grossesses !
Sur la question nationale catalane, il nous faut donc examiner le rapport de forces et la composition de classe du mouvement actuel, ainsi que ses conséquences politiques prévisibles.
Le mouvement national catalan est resté marginal pendant de longues années. Après la crise de 2008, c’est la gauche – et singulièrement Podemos – qui a été renforcée par les luttes massives contre les politiques d’austérité.
Mais la « gauche radicale » espagnole a échoué à prendre le pouvoir. En conséquence, la contestation des politiques d’austérité, en Catalogne, s’est « reportée » sur le mouvement national. De nombreux jeunes et travailleurs catalans pensaient : « s’il n’est pas possible d’arrêter l’austérité à Madrid, autant rompre avec Madrid ».
Problème : la droite catalane et indépendantiste (dirigée par Puigdemont, aujourd’hui en exil) appliquait, elle aussi, de sévères politiques d’austérité, en Catalogne. Mais le mouvement a tout de même gagné en puissance. L’engagement de Puigdemont à organiser un référendum sur l’indépendance a fini par gagner un soutien massif, au cours de l’été 2017.
Le régime de 1978
Ce mouvement de masse s’est brutalement heurté à l’ensemble du régime espagnol. Pour comprendre l’acharnement de ce dernier, il faut remonter plus de 40 ans en arrière.
A la chute du franquisme (1976-1978), les dirigeants du mouvement ouvrier espagnol ont trahi la mobilisation révolutionnaire qui se développait dans le pays. Avec leur accord et leur soutien, les cadres de l’état franquiste ont été maintenus dans le nouveau régime, notamment dans la justice, la police et l’armée.
L’unité « indestructible » de l’Espagne, pilier de la dictature franquiste, a été intégrée telle quelle dans la Constitution de l’Espagne « démocratique », en même temps que tout l’appareil législatif (répressif) chargé de défendre cette unité. Par exemple, c’est une loi datant du régime franquiste qui a été utilisée, le 14 octobre, contre les neuf condamnés.
Ainsi, toute remise en cause de l’unité de l’Espagne est, pour la bourgeoisie espagnole, une attaque contre le cœur même de son régime politique : le « compromis » de 1978. Cela explique la férocité de la répression, en 2017 comme aujourd’hui.
Mobilisations de masse
Il y a deux ans, face à une répression brutale, la mobilisation de masse a pris des formes insurrectionnelles : organisations de luttes locales (les Comités de Défense de la République), autodéfense du référendum contre la police, grève générale…
Mais cette puissante mobilisation s’est heurtée à la direction petite-bourgeoise du mouvement indépendantiste, qui a fait marche arrière, au lieu de s’appuyer sur la mobilisation des masses catalanes pour vaincre l’Etat espagnol. Puigdemont et son entourage redoutaient qu’une mobilisation de la classe ouvrière catalane échappe à leur contrôle.
Aujourd’hui, on retrouve les mêmes facteurs : les graves erreurs de Podemos sur la question nationale – et dans son attitude à l’égard du gouvernement « socialiste » – ont renforcé la poussée des jeunes et travailleurs catalans vers l’indépendantisme.
Le verdict honteux de la Cour Suprême ne pouvait pas manquer de provoquer une nouvelle explosion sociale. Par dizaines de milliers, des manifestants sont descendus dans les rues, ont bloqué les autoroutes ou l’aéroport de Barcelone. La répression a été brutale. Pour le seul « crime » de brandir des drapeaux catalans, des manifestants ont été pourchassés dans les rues et violemment frappés par la police. Le tout sous le regard passif – et même complice – des « dirigeants » indépendantistes.
Comme en 2017, il manque une direction révolutionnaire à ce mouvement progressiste, qui vise l’austérité et le régime réactionnaire de Madrid. Cependant, il y a un fait nouveau et très positif, par rapport à 2017 : le mouvement a suscité d’importantes manifestations de soutien, dans le reste de l’Espagne.
Preuve qu’il annonce de grandes luttes communes des travailleurs de toute l’Espagne – contre le capitalisme espagnol, contre le régime de 1978 et pour les droits démocratiques de tous les peuples ibériques.
14 novembre 2019 Jules Legendre
https://www.marxiste.org/
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