Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Le show de boucane

Depuis quelques jours, on voit passer une pub pour « l’Alliance Nouvelles voies » (en anglais Pathways Alliance) ; cette pub proclame que « les plus grandes entreprises de sables bitumineux du Canada joignent leurs forces pour agir en faveur du climat. »[1] Dans un communiqué en date du 14 octobre, on peut lire que cette organisation est à l’oeuvre pour promouvoir la construction « de la plus importante infrastructure de captage et de stockage du carbone (CSC) à l’échelle mondiale ».[2] Est-ce une nouvelle approche pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050 ou simplement de la poudre aux yeux ?

On remarquera tout de suite qu’il n’est pas question de mettre fin à l’exploitation des sables bitumineux. Il s’agit de capter et de séquestrer le carbone relâché durant l’exploitation de ce pétrole. Cette approche technologique et dispendieuse pourrait-elle réussir à réduire notre empreinte carbone selon ce qui est exigé par le rapport du GIEC ?[3] Rien n’est moins sûr ! En effet, quelque 500 organisations ont mis les gouvernements du Canada et des États-Unis en garde contre cette technologie qui n’a pas fait ses preuves et qui, de plus, est coûteuse et inefficace.[4]

Par exemple, le projet Boundary Dam, en Saskatchewan, est loin d’être à la hauteur des promesses délirantes des promoteurs de la CSC.[5] Certes, c’est une centrale au charbon, mais tout comme la saga du « clean coal » de la « Kemper County Energy Facility » au Mississippi, il y a de longs retards dans la construction et des coûts supplémentaires faramineux alors que le pourcentage du carbone retiré de l’atmosphère est très, très décevant.[6] Ce prototype du « clean coal » (charbon propre) si cher à Mr Trump, c’est comme être invité à déguster des « matières fécales propres » ; dans un chic restaurant, est-ce que vous vous laisseriez convaincre d’y goûter ?

Ce qui nous amène au financement du projet de l’Alliance Nouvelles voies. Selon le communiqué de l’Alliance, le projet coûterait 24,1 milliards, (s’il n’y a pas de coûts supplémentaires !!!) et ceci pour réduire (et non éliminer) les émissions de 22 %. Ce communiqué ajoute ce qui suit : « Nous poursuivons notre collaboration avec les gouvernements du Canada et de l’Alberta pour faire en sorte que les programmes de financement commun du Canada... »[revoir le lien 2] Ha ! Ha ! Le chat est sorti du sac ! On cherche du financement public et des avantages fiscaux. Pour soutenir l’industrie des sables bitumineux, le Premier ministre Jason Kenney a englouti 1,5 milliard dans le désastre de Keystone XL alors que M. Trudeau a déjà investi 4,5 milliards pour acheter l’oléoduc Trans Mountain, puis y a injecté un 21 milliards supplémentaires pour en tripler la capacité. Doit-on comprendre que pour soutenir les sables bitumineux, cet autre projet fonctionnerait seulement à l’aide de milliards de dollars de nos taxes ?

Il faut également examiner les autres problèmes environnementaux liés aux sables bitumineux. Un TRE (taux de recouvrement énergétique) extrêmement bas ; il faut brûler un baril de pétrole pour en recouvrer trois. Il y a d’immenses bassins de décantation (tailing ponds) remplis d’eau empoisonnée par des résidus de pétrole ; ces bassins sont de véritables bombes chimiques qui mettent en péril toute vie dans le bassin de la rivière Arthabaska. De plus, le carbone séquestré lors de la capture du carbone est normalement réinjecté dans de vieux puits de pétrole ; ce procédé (appelé enhanced oil recovery) aide à recouvrer plus de pétrole, donc, au final, à augmenter les émissions. Et j’oubliais ! Ce projet de CSC est censé réduire les émissions de carbone produites ici. Mais « notre pétrole canadien », lorsque qu’il sera utilisé à l’étranger, produira du carbone... qui sera comptabilisé dans les émissions du pays importateur. Pourtant, les émissions polluantes ne reconnaissent pas les frontières.

Les dés sont pipés. Comme le souligne un article du National Observer par rapport à une situation semblable touchant le projet Gorgon en Australie, « l’objectif principal de la CSC n’a jamais été de faire face à la crise climatique. C’était plutôt d’aligner l’opinion publique et les politiques gouvernementales avec les plans d’expansion de l’industrie des énergies fossiles camouflés sous la propagande de la carboneutralité d’ici 2050. »[7] Pendant que l’Alliance Nouvelles voies fait son « show de boucane » avec la CSC, la fenêtre du temps où l’humanité peut encore agir contre les changements climatiques se rétrécit dangereusement.

Gérard Montpetit
membre du CCCPEM(Comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l’environnement maskoutain)
le 25 octobre 2022

1] https://pathwaysalliance.ca/fr/mettons-ca-au-clair/

2] https://www.globenewswire.com/fr/news-release/2022/10/14/2534689/0/fr/Le-plan-de-l-Alliance-Nouvelles-voies-pour-atteindre-la-carboneutralité-va-bon-train.html

« Nous poursuivons notre collaboration avec les gouvernements du Canada et de l’Alberta pour faire en sorte que les programmes de financement commun du Canada et la réglementation en matière de CSC soient mondialement concurrentiels, et que les cibles de réduction des émissions de notre industrie soient réalistes et réalisables. »
3] https://report.ipcc.ch/ar6wg2/pdf/IPCC_AR6_WGII_SummaryForPolicymakers.pdf
4] https://www.nationalobserver.com/2021/07/20/news/500-organizations-urge-feds-stop-investing-carbon-capture-technology
5] https://www.nationalobserver.com/2021/04/21/news/trudeaus-wager-carbon-capture-budget-2021
6] https://en.wikipedia.org/wiki/Kemper_Project
7] https://www.nationalobserver.com/2022/04/06/opinion/lessons-australia-show-ccus-about-capturing-public-opinion-and-public-finances?utm_source=National+Observer&utm_campaign=ed000bc858-EMAIL_CAMPAIGN_2022_04_06_12_29&utm_medium=email&utm_term=0_cacd0f141f-ed000bc858-277064766
 The principal purpose of CCUS has never been to tackle the climate crisis. Instead, CCUS serves to align public opinion and government policies with the fossil fuel industry’s plans for unrestricted expansion under the cover of “net-zero by 2050” rhetoric.

Gérard Montpetit

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