Il s’agit d’ un recueil de poèmes fleuve de 102 pages, publié en mars 2018 à compte éditeur chez les Éditions Gnk en Côte d’Ivoire qui a reçu en 2019, dans ce pays, le prix du meilleur recueil de poésies.
Fegg, ce natif de la cité de l’indépendance d’Haïti, a aussi étudié le droit, l’anthropologie et sociologie est actuellement directeur de Hafrique littéraire une structure littéraire qui fait promotion des auteurs haïtiens et africains d’expression française. Il consacre son temps entre lecture et écriture et écrit à présent son premier roman.
Gonaïves n’est pas n’importe quelle commune haïtienne, elle est aussi le berceau de la tentative de son indépendance toute entière. C’est aussi un carrefour économique conduisant vers le cap-haïtien, port de paix et Hinche via Saint-michel-de-L’Attalaye.
Pourquoi disais-je tentative ?
Parce que Fegg est un poète qui montre son visage, celui de sa ville et son quotidien.
Un visage de sang, une ville qui porte les vestiges de la misère qui s’en est suivie depuis 1994 notamment ; balayée par une dictature militaire et ses stigmates mais aussi par son cyclone « Jeanne ». Les maisons se sont transformées en ossements ( 80 en pourcentage et la population s’est réduite de plus de 3000 morts )
Fegg réside dans cette ville. Fegg est un poète.
Comment un poète peut se taire face à tout cette hémorragie ? Il ne le peut. Il la raconte en dehors de tout chiffre officiel. Telle une chronique vécue.
« Le sein gauche
de la ville des Gonaïves
est une Cigarette »
Dit-il dès le départ de son œuvre.
La forme de sa poésie est faite de souffrance et de douleur, il y a un effet de pluie. La pluie est plurielle, mais elle vient des mêmes nuages.Tout s’écoule avec un naturel car la formule de ces pluies de texte qui chronique un mal intime et collectif est une forme plus que judicieuse. Elle frappe, elle tasse, elle invoque et elle hypnotise. Mais les inclinaisons mauvaises de l’humanité et la nature n’ont fait que tout prendre, y compris l’âme des gens, ceux qui sont sous les affres d’une certaine réalité que la France ne fait qu’ignorer.
« toi
qui oublies ton passé
qui avales ton histoire
et qui laisses des plaies
sur les paupières de l’humanité »
Dit-il avec une fermeté subtile.
A travers les ruines, Fegg puise une certaine méditation, aussi sombre soit-elle, cela ne l’empêche pas de dire les Faits à travers une poésie qui n’essouffle pas sa réalité.
« Gonaïves
ville de sang
ville au visage violé
chaque maison possède son cimetière
et connait le langage des morts »
Dit-il encore. Comme une résignation qui appelle une certaine urgence au fond. Une ville en ruine n’est plus une ville droite et fière. Leurs traditions perdurent, en effet ; mais à quel prix sinon de l’ignorance Française et des aides maigres de L’ONU lors d’une dévastation complète ?
En fin de compte Fegg reste un poète et derrière chaque image ou chaque ligne dont on devine presque quelque chose de pictural et de violent, sa force poétique donne forcément réfléchir. Mais aussi à ressentir. A travers de multiples métaphores et visions hallucinées, il trace de façon opaque et tangible une réalité crue et sans censure. La prostitution est un thème récurrent chez Fegg.
Pourquoi ? Ce n’est pas de la perversité ni du voyeurisme c’est un thème à la fois métaphorique ( Gonaïves, ville violée à la fois par l’humain et la nature.) Engloutie dans un gouffre lascif, cette ville n’a pas de travail à proposer et dans son abandon, forcément la prostitution des femmes y est outrancière. Mais aussi la pauvreté des enfants sans rêves.
« à la Rue Lamartinière
les femmes portent le nom
de Divine Brown
et violent les oreilles des dieux
avec leur gémissement »
Le décor est donc posé et imposé par l’auteur qu’il fustige avec un certain mysticisme, les étoiles sont toujours là mais « les étoiles prostituées sont complices avec la nuit »
L’écriture de Fegg montre bien que le temps est comme suspendu et que sa
ville saignera sûrement demain puisque même « La mémoire du soleil devient une écume de sang » dont il prie l’avortement. Mais il n’oublie pas que sa ville, a aussi opté
pour la résistance (dont la figure de Madan Kolo ) et la tentative d’exister (Année 1985) dont il porte aussi la douleur qui en découle « sur ses doigts / avec un cœur de sang ». La métaphore est plutôt proche de la réalité, le style de Fegg va droit au but et « truffé de sang », prosaïquement, amène à une terrible actualité. Par petits paquets, ses
visions deviennent réelles et prennent un poids massif mais didactique sur
le lecteur.
Fegg avec son recueil « Le sein Gauche de la ville des Gonaïves est une CIGARETTE propose une poésie à la fois hallucinée, faite de métaphores subtilement sanglantes qui s’imprègnent d’une réalité scandaleuse. C’est un livre qui rend hommage, qui raconte et qui voit. N’est-il pas le rôle premier d’un poète d’avoir des visions nouvelles en racontant ce qu’il
pourrait y avoir de pire comme de meilleur ? Il raconte donc le pire, car celle-ci est trop souvent ignoré. Ce livre est une chronique des anges aux ailes cassées dont les merveilles brisées peuplaient les cieux caribéens.
Mais rendant honneur à ceux qui sont tombés. C’est donc une poésie plurielle et puissante. Lire Fegg, c’est s’aventurer hors de toute censure haïtienne dans le sang séché de son histoire.
« voix agonisée
enfermée dans le ventre
des anges orphelins »
Clément Dugast
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