La conférence de Durban sur le climat (la 17e conférence des parties, « Cop ») s’ouvre lundi 28 novembre à l’issue d’une année rythmée par le surgissement de petites avancées techniques et de blocages diplomatiques divers : sur les mécanismes de financement de la lutte contre le changement climatique, l’aide aux pays en développement, le cadre juridique international. La crise économique, l’accident nucléaire de Fukushima et les échéances d’élections présidentielles (Etats-Unis, France dans une moindre mesure) ont siphonné le volontarisme politique de leaders désormais muets ou presque sur le réchauffement de la planète. « L’objectif à Durban, c’est de ne pas trop reculer », résume tristement Sébastien Blavier du Réseau action climat (Rac).
Cela fait deux ans que la diplomatie du climat s’enlise. La nouveauté en cette fin d’année, c’est le choix de facto des pays riches d’abandonner toute perspective à court terme de prolonger le protocole de Kyoto. Signé en 1997, ce traité international impose des objectifs de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre aux pays industrialisés, au nom de leur responsabilité historique dans l’accumulation de carbone dans l’atmosphère. Les 36 Etats signataires se sont globalement engagés à réduire leurs émissions de 5% en 2012 par rapport à 1990.
Et ensuite, que se passe-t-il à partir du 1er janvier 2013 ? Pour l’instant, rien. Le Japon, la Russie et le Canada ont fait savoir qu’ils ne souhaitaient pas repartir pour une nouvelle période juridiquement contraignante. L’Union européenne, la Norvège, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Suisse s’y disent prêtes mais à condition que les non-Kyoto et les grands émergents s’imposent de limiter leurs rejets. Or les Etats-Unis – aujourd’hui non signataires – ne veulent accepter aucune effort supplémentaire si la Chine, premier émetteur mondial, ne contribue pas davantage à restreindre ses gaz à effet de serre. Tandis que Pékin attend de l’administration Obama son adhésion au protocole. Bref, ça coince.
« Nations unies des idiots, des clowns et des criminels du carbone »
Concrètement, le protocole de Kyoto s’achemine donc vers une cure de sommeil thérapeutique à durée illimitée. Compte tenu de l’ampleur du blocage, Christiana Figueres, la secrétaine nationale de la convention onusienne sur le climat, appelle de ses vœux un accord international pour 2015. Le texte aujourd’hui sur la table est l’accord obtenu à Cancun l’année dernière, qui consacre un système de réduction volontaire des émissions, beaucoup moins contraignant que le traité de 1997. Mais selon une récente enquête du Guardian, les pays industrialisés ont tacitement changé de position et visent désormais un accord en... 2020. Fatih Birol, économiste en chef de l’Agence internationale de l’énergie, a publiquement protesté contre ce nouveau recul : « Si un accord international n’est pas mis en œuvre d’ici 2017, la porte sera fermée à jamais » sur la possibilité de contenir le réchauffement en dessous de 2°C.
La caravane transafricaine du climat et de l’espoir, en route vers Durban
Protocole de Kyoto ou pas, l’absence prolongée d’accord sur le climat risque de plomber les tentatives de taxe carbone (en Suède, en Australie, en Chine) et de marchés du carbone (en Chine également par exemple) expérimentées ici et là. L’Union européenne fait figure d’exception avec son objectif de réduction de 20% des gaz à effet de serre et de 20% d’énergies renouvelables en 2020, objectif consacré dans son paquet énergie climat. Pour Pierre Radanne et Emeline Diaz, auteurs d’une noteréalisée pour le compte de l’institut de l’énergie et de l’environnement de la francophonie, « le protocole de Kyoto ne mourra pas l’année prochaine, car sa charge symbolique est encore trop forte pour les pays en développement et surtout il constitue le seul accord permettant la mise en place de mécanismes de flexibilité et des mécanismes de marché ».
Mais le protocole et les politiques climatiques en général sont si délégitimées aujourd’hui que le marché européen du carbone, le plus ancien et a priori le plus solide à ce jour – car garanti d’exister jusqu’en 2020 – pourrait s’effondrer l’année prochaine. C’est l’analyse explosive que vient de publier la banque suisse UBS, qui prédit une chute du cours de la tonne de carbone en 2012, entre 5 et 3 euros en raison du trop vaste surplus de crédits de CO2 non utilisés.
Le G77 et la Chine, qui regroupent des pays aux situations économiques, industrielles et sociales de plus en plus disparates, font du maintien du protocole de Kyoto une condition sine qua non. « Et on ne peut pas attendre encore huit ans de savoir ce qu’ils vont faire, explique un conseiller du groupe Afrique, le système de réduction volontaire risque de nous conduire à une hausse de 5°C de la température du globe. »
"Justice climatique, pas de marchés carbone", slogan du mouvement Occupy Cop 17
Si bien que l’exaspération monte parmi les pays du Sud. Dans un contre-emploi assez efficace, elle est incarnée ces jours-ci par le président du Costa Rica, José Maria Figuieres, ancien directeur du Forum de Davos – et frère de Christiana, la Madame climat de l’ONU –, qui appelle les délégations des pays les plus touchés par le changement climatique qui errent de Cop en Cop en attente de solution à « organiser des sit in » et à « occuper Durban » tant qu’un accord décent n’est pas obtenu.
Un appel reformulé par un réseau plus activiste et contestataire, Occupy Cop 17, qui réécrit l’acronyme en anglais de la convention de l’ONU sur le climat (UNFCCC) en « Nations unies des idiots, des clowns et des criminels du carbone ».
Les Etats-Unis d’Obama du même côté que l’Arabie saoudite
Cet enlisement dans des équations géopolitiques insolubles conduit de plus en plus d’observateurs à se détacher de la discussion juridique pour se concentrer sur l’enjeu financier. Mais là non plus, les nouvelles ne sont pas bonnes.
Au sommet de Cancun, les Etats du Nord ont confirmé qu’ils verseraient environ 23 milliards d’euros aux pays en développement entre 2010 et 2012, et environ 76 milliards par an (soit 100 milliards de dollars) d’ici 2020. Mais selon une coalition d’ONG pour la justice climatique (Pan african climate justice alliance, Africa trade network, Amis de la Terre...), sur les 23 milliards de financements précoces, les gouvernements ne se sont en réalité engagés à verser effectivement que 12 milliards d’euros, et seulement 9 ont été provisionnés dans les budgets. Sur cet ensemble, seuls 4 milliards d’euros s’ajouteraient réellement aux aides déjà prévues (voir ici). Les propositions de l’AGF, ce groupe de haut niveau chargé de réfléchir à des mécanismes de financement innovants, sous la houlette de l’économiste Nicholas Stern, sont restées lettre morte. Seule la perspective d’une taxation sur les transports maritimes semble jouable.
Quant au fonds vert pour le climat créé à Cancun, c’est une boîte vide en attente de contenu. Les discussions sur son mode de gouvernance ont achoppé sur l’opposition des Etats-Unis, remarquent des négociateurs de pays pauvres . Alors qu’après des mois d’échanges, le groupe de travail avait trouvé un consensus sur l’organisation du fonds, les Américains s’y sont opposés en dernière minute, la jugeant trop liée à l’ONU et à sa convention climat. Les représentants de l’administration Obama se sont ainsi retrouvés du même côté que l’Arabie saoudite, comme au temps de George W. Bush. « Etant parvenus au pouvoir avec le slogan "Oui, nous pouvons", cela doit être difficile d’admettre que non, vous ne pouvez pas », commentent les délégués qui rapportent l’épisode.
Ironie du désespoir, certainement de mise alors que les mauvaises nouvelles s’accumulent sur le front du changement climatique. En 2010, pour la première fois depuis des années, les émissions de gaz à effet de serre dans le monde ont augmenté plus vite que la croissance. Selon une étude du consultant Price Waterhouse Coopers, l’intensité carbone de l’économie mondiale a crû de 0,6%. Pire, ce n’est pas seulement la faute des grands émergents. Les pays riches ont recommencé à polluer plus qu’ils ne créent de richesse (les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, alors que la France, elle, est restée stable). Parmi les facteurs d’explication, un hiver froid dans l’hémisphère Nord, la chute du prix du charbon par rapport au gaz et la baisse de la part des énergies renouvelables. « Nous avancions trop lentement dans la bonne direction, mais maintenant nous marchons dans la mauvaise », concluent les experts. Un bon résumé de deux ans d’enlisement climatique.