Conclusions
1. Les pouvoirs régaliens de l’État sont remis à l’entreprise privée et aux spéculateurs. Ce n’est plus un gouvernement, c’est le conseil d’administration des pétrolières et des gazières. C’est un abandon total de l’intérêt public.
2. C’est aussi la vraie couleur de Philippe Couillard : le noir des hydrocarbures, et non le vert de l’environnement.
3. C’est essentiellement l’autorégulation des entreprises avec l’introduction du concept des « meilleures pratiques », un concept qui nous a donné 47 décès à Lac-Mégantic…
4 A. Des normes importantes qui devraient être fixées par la loi (conditions des permis, redevances, etc.), seront édictées par règlement et par décrets administratifs. La loi prévoit à une centaine de reprises que les normes seront établies par règlement. 4B. C’est l’illustration saisissante d’un État vidé de ses compétences intellectuelles par deux décennies de coupures et qui improvise lamentablement. 4 C. Mais c’est également et peut-être surtout, du point de vue démocratique, une véritable usurpation des pouvoirs parlementaires au profit de ceux de l’Exécutif. Or, le diable est dans les détails…et ces « détails » seront dans les règlements et décrets...
5. Les pouvoirs ministériels sont immenses pour atténuer et restreindre les faibles normes de la loi en autant que les décisions ministérielles soient simplement « compatibles » avec les principes de la loi qui sont, eux, déjà biaisés en faveur des exploitants éventuels.
6. Les municipalités où se réaliseront l’exploration, la production et le stockage sont considérées comme la portion congrue. Elles ne sont qu’informées de l’octroi des licences, les puisements d’eau réalisés sur leur territoire leur échappent, elles n’ont qu’un représentant sur les comités de suivi, la loi donne priorité à la recherche minière ou d’hydrocarbures sur les schémas d’aménagement et les règlements municipaux. Les municipalités ne sont pas assurées de la maximisation des retombées pour des projets réalisés sur leur territoire, etc.
7. En donnant un droit prépondérant d’accès au territoire aux sociétés pétrolières et gazières avec le seul pouvoir, pour les résidants concernés, de négocier les compensations et les conditions de l’accès, et en donnant ensuite un droit prépondérant d’usage des terres, obtenu si nécessaire par expropriation, le gouvernement restreint le droit de propriété des résidants et agriculteurs et donne un pouvoir prépondérant aux exploitants d’hydrocarbures. L’inscription aux divers registres fonciers et de publicité des droits de la localisation du puits et d’autres informations peut avoir un impact négatif sur la valeur des propriétés. La sécurité juridique de tous les propriétaires et locataires québécois est maintenant compromise.
8. La protection des milieux marins et des cours d’eau est quasi absente du projet, sous la seule exception de leur capacité de produire de l’énergie, alors que même l’antique et déficiente Loi sur les mines comportait des normes plus sévères.
9. Les comités de suivi ne sont que des simulacres d’organes pour assurer l’implication des citoyens dans un projet, ils n’ont aucun pouvoir, leur composition et le choix des personnes qui y siégeront sont déterminés par l’exploitant, ce qui confirme que l’acceptabilité sociale, tel que comprise et pratiquée par le MERN, est un leurre, un simple miroir aux alouettes. L’expérience négative de Gaspé est très éclairante à cet égard.
10. La durée des permis est fort longue, sinon interminable, alors que les conditions et possibilité de retrait sont des plus limitées, voire onéreuses. Cette durée, équivalente à celle prévue dans les contrats privés proposés par les compagnies gazières dans les années 2010, ajoutée à la transformation du permis en droit réel immobilier ne vise qu’à favoriser le financement des compagnies gazières et pétrolières qui pourront hypothéquer leur permis pour obtenir des prêts.
11. La fermeture définitive d’un puits et la remise en état des terrains peuvent durer de longues années. Or, cela a un impact significatif sur l’accès à l’information, sur la vie des communautés, sur la valeur des propriétés et la santé des résidants, pour ne signaler que ces éléments.
12. La remise en état des lieux est problématique. On n’impose pas un fonds pour les sites orphelins, comme le fait l’Alberta, et cette remise en état peut s’étendre sur des périodes prolongées.
Les stratégies corporatives peuvent conduire aisément à se dégager de toute responsabilité pour les problèmes futurs. Ce sont les résidants, les voisins des sites et les communautés et finalement l’ensemble des citoyens qui en paieront le prix. Les recours sans égard à la faute, si utile en droit de l’environnement, semblent même exclus.
13. Les mesures de protection sont inconnues et ne viendront qu’avec un éventuel règlement qui sera promulgué plus tard. Mais quand ? D’aucuns pourraient cependant répondre : si fait, elles sont déjà connues, puisque contenues dans le squelettique Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP), cette chimère boîteuse et inefficace, conçue par le gouvernement de Jean Charest, nourrit par celui de Pauline Marois et porté sur les fonts baptismaux par celui de Philippe Couillard…
14. L’accès à l’information est reporté à la semaine des quatre jeudis : 5 ans pour les permis d’exploration et possiblement 6 ans (2+4) pour les permis de production et de stockage. Il n’y a pas de prépondérance en regard de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et la protection des renseignements personnels, ce qui laisse aux entreprises la possibilité de s’objecter à la divulgation pour un nombre important de motifs énumérés dans cette loi.
15. L’insertion de dispositions permettant l’octroi de licences pour des raccordements d’infrastructures de transport des hydrocarbures exprime la volonté du gouvernement de permettre le quadrillage du territoire par un ensemble d’oléoducs et de gazoducs et de les raccorder au réseau canadien, y inclus Énergie Est.
16. Le rôle et la fonction de la Régie de l’énergie sont limités et offrent peu de garanties, car la Régie reçoit ses instructions du gouvernement et joue un rôle essentiellement technique. L’expérience sur les tarifs d’électricité montre que c’est une sœur jumelle de l’ONÉ. Vous devez aussi montrer un intérêt spécifique pour pouvoir y intervenir, le statut de citoyen ne suffisant pas, sur le plan juridique.
17. Le texte confirme donc l’orientation fondamentale en faveur du développement des hydrocarbures au Québec. Il s’agit, à mon avis, d’un jalon majeur dans la transformation du Québec en une pétroéconomie puis en pétrosociété, avec toutes les conséquences sociales, environnementales et politiques qui en découlent.
18. C’est l’aboutissement législatif d’un long processus qui démarre avec l’exploitation sauvage du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent, puis s’enchaîne avec l’avortement planifié du projet de loi 37 (moratoire partiel et temporaire sur l’exploration du gaz de schiste), l’accord pour l’inversion de la ligne 9b d’Enbridge, la promulgation du Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP) et la publication des fameuses Lignes directrices provisoires sur l’exploration gazière et pétrolière. Ce processus prend ensuite son envol avec la formation de la société mixte pour l’exploration pétrolière et gazière sur l’île d’Anticosti financée en grande partie par des contributions gouvernementales. Cet envol est aussi soutenu par l’exploration et l’exploitation gazière et pétrolière en Gaspésie, une fois encore largement financée par des contributions publiques, et qui poussent l’outrecuidance et l’arrogance jusqu’à réaliser des forages dans un quartier résidentiel et à 350 mètres des premières maisons, les projets d’exploration liés aux supposées découvertes de gisements dans le Bas-Saint-Laurent et dans la Matapédia. Ce processus atteint enfin sa vitesse de croisière avec ce projet de loi, fils putatif d’études environnementales stratégiques (ÉES) biaisées et partiales et d’une politique énergétique qui en est un reflet fidèle. Il ne reste, pour couronner le tout, que l’exploitation du gisement Old Harry dans le golfe Saint-Laurent envisagée par les élites politiques et économiques, les usines de liquéfaction de gaz et leurs pipelines, et le OUI prévisible du gouvernement du Québec à Énergie Est.
19. Cela confirme l’analyse formulée par certains chercheurs dont je suis du nombre et par les comités de citoyens regroupés dans le Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ) et qui, depuis 2013, soutiennent que le mouvement citoyen ne doit pas se concentrer sur un seul projet ou un seul segment de la filière, que ce soit la fracturation ou le transport des hydrocarbures et le projet Énergie Est. C’est l’erreur stratégique que commet une large frange du mouvement national québécois, certains groupes écologistes et une partie du mouvement citoyen dont l’appellation même traduit cette orientation erronée, ceci dit en tout respect pour l’opinion contraire.
20. Si le gouvernement du Québec dira OUI à Énergie Est, c’est parce que nous serons en production pétrolière bien avant la mise en place du tuyau et que les exploitants québécois et leurs alliés internationaux auront besoin d’Énergie Est pour Sortir le pétrole du Québec (et non Sortir le Québec du pétrole !), comme en témoigne la déclaration récente du ministre Arcand sur l’exportation probable du pétrole produit au Québec).
21. Le prochain projet risque fort d’être un oléoduc entre la Gaspésie et Anticosti et un futur port pétrolier (projet que TC chérit encore) ou pour faire la jonction avec Énergie Est. Les besoins objectifs de structures qui accompagnent le développement de la filière de production imposent de tels choix.
22A. Le droit est déjà en place, avec l’article 71(3)c) de la Loi sur l’Office national de l’Énergie qui permet à une province d’exiger son rattachement à un oléoduc « fédéral » lorsqu’elle entre en production : 71 […](3) L’Office peut, s’il l’estime utile à l’intérêt public et juge qu’il n’en résultera pas un fardeau injustifié pour elle, obliger une compagnie exploitant un pipeline destiné au transport d’hydrocarbures, ou de tout autre produit aux termes d’un certificat délivré au titre de la partie III, à fournir les installations suffisantes et convenables pour : […] c) le raccordement de sa canalisation à d’autres installations destinées au transport des hydrocarbures ou de l’autre produit. 22B. Souvenons-nous du comité mis sur pied par le gouvernement Marois avec l’Alberta et qui avait conclu à la nécessité du projet Énergie Est pour les deux provinces…
23. C’est cette imbrication intime et cette synergie active entre tous ces projets, qui semblent indépendants mais qui sont intimement liés, qu’il faut faire comprendre à nos concitoyens et concitoyennes pour briser le cercle de la manipulation de l’information transmise au public.
Richard E. Langelier Saint-Bonaventure, le 27 juin 2016
Merci à Sylvain Archambault et Hugo Tremblay pour leurs commentaires et suggestions qui a permis d’enrichir la présente analyse