Même en France et en Allemagne, les champions de la réduction du temps de travail, qui ont introduit la semaine partielle des 35 heures lorsque confronté à un fort taux de chômage durant les années 1980 et 1990. Ce qui est encore plus remarquable puisque l’application de cette mesure dans plusieurs pays européens au cours de la crise s’est avérée efficace pour ralentir la montée du chômage même si par ailleurs, la montée des inégalités dans le mode de vie reliées au capitalisme était toujours présente.
Alors que le capital européen accueillait favorablement la baisse du temps de travail au début de la crise, les employeurs sont vite revenus à leur demande de son allongement et de l’augmentation de sa flexibilité dès que la reprise s’est pointée en 2010. Dans plusieurs pays, les gouvernements ont annoncé un prolongement de l’âge de la retraite comme partie des mesures pour abaisser les déficits budgétaires que la crise a déclenchés. Au cours des années quatre-vingt, l’abaissement de l’âge de la retraite avait été utilisé pour créer des emplois pour les jeunes travailleurs-euses. Maintenant, on reprend les arguments de l’époque complètement à contrario et on resserre l’accès aux droits à la retraite.
L’augmentation du temps de travail
Aux États-Unis, la moyenne d’heures de travail hebdomadaire en 2000 était quelque peu surprenante, 1,6 heures de plus qu’en 1970. A la fin des années 1990, les salariéEs américainEs effectuaient un peu plus qu’une semaine additionnelle de travail par an en comparaison du début des années 1980. Dans le secteur manufacturier, où le taux des emplois à temps-partiel est traditionnellement bas, la différence entre 1975 et 2000 s’est chiffré à plus de deux semaines. La Suède a montré une tendance à la hausse du nombre d’heures de travail annuelles, surtout dans les années 1980. La différence entre les années 1990 et 2000 est de 80 heures. Cette croissance s’explique par le fait que de plus en plus de femmes passent d’un travail à temps-partiel à un temps-plein.
En Grande-Bretagne, le nombre d’heures de travail annuelles a augmenté significativement en 1980 (de 70 heures entre 1981 et 1989) mais a diminué dans les années 1990. La moyenne d’heures de travail annuelles en 2001 étaient virtuellement la même qu’en 1981. Au Canada on a également observé une progression rapide des heures de travail dans les années 1990, ce qui a eu pour conséquences qu’en 1999, les travailleurs-euses avaient fourni 13 heures de plus de travail par an qu’en 1991. En comparaison avec la Grande-Bretagne, les heures de travail canadiennes ont sensiblement diminué après 2000. En Allemagne et en France, la moyenne d’heures travaillées annuellement étaient toujours faible dans les années 1980 et 1990, mais a soit stagné ou légèrement augmenté entre 2003 et 2008.
La moyenne des heures de travail annuelles par salariéEs prend en compte les travailleurs qui occupent des emplois à temps-partiel. Si l’on ne se concentre que sur les emplois à temps-plein, le temps de travail a plus ou moins stagné entre les années 1992 et 2006 en Allemagne et entre 2003 et 2008 en France. Mais il y a des changements remarquables au sein de la catégorie des emplois à temps plein. En Allemagne, par exemple, la proportion de travailleurs qui ont fourni entre 36 heures à 39h de travail par semaine, a diminué de 53% en 1995 à 21% en 2008. Alors que la proportion de ceux qui ont travaillé 40 heures par semaine a augmenté de 31% à 46% au cours de ce même laps de temps.
Le changement de fonds dans la politique du temps de travail est d’autant plus flagrante lorsque nous prêtons attention aux heures travaillées par habitant (incluant ainsi travailleurs et chômeurs, ou alors l’ensemble des travailleurs et des personnes dépendantes). Aux États-Unis, le nombre d’heures travaillées par habitant a augmenté de 18% entre 1985 et 2000, alors que le Canada enregistrait le même niveau de croissance entre les années 1970 et 2008. En Grande-Bretagne, les heures travaillées stagnaient entre les années 1980 et 2008, de même pour la Suède entre 1985 et 2008. Selon l’OCDE : « le renversement de la baisse à long terme du nombre d’heures travaillées per capita dans les années 1990 affectait l’ensemble des pays et des régions de l’OCDE sauf quelques uns qui enregistraient toujours une baisse significative. »
Parmi les quelques pays qui enregistraient cette baisse d’heures travaillées par habitant dans les années 1990, on retrouve la France et l’Allemagne. Mais dans ces deux États, le développement s’est arrêté à la fin des années 1990, avec un niveau d’heures travaillées stagnant largement entre 1995 et 2008. On peut également voir ce développement en faisant la comparaison entre les heures travaillées par les ménages plutôt que par individus. La semaine de travail des couples mariés aux États-Unis est passée de 52,2 heures dans les années 1970 à 63,1 heures en 2000.
L’absence de l’enjeu de la réduction du temps de travail dans les débats publics dans les pays capitalistes avancés, comme remède possible à la crise de l’emplo, est l’aboutissement d’un long processus. Au cours des trente dernières années, la lutte séculaire pour l’abaissement de la semaine de travail a considérablement ralentit. Dans la majorité des pays elle s’est arrêtée. L’OCDE, le FMI et la Commission Européenne ont accueilli ce processus comme une amélioration du coût de rendement de la main-d’oeuvre. Bien qu’il ne fournisse aucune définition précise à propos de l’utilisation de la main-d’oeuvre, ce terme est supposé refléter l’intensité du travail (généralement mesuré en termes de productivité) et le total du nombre d’heures travaillées par une population spécifique (le taux de chômage, le temps passé aux études, la durée de la vie professionnelle etc.). Ainsi, cela se rapproche de ce que les marxistes désignent comme le taux d’exploitation.
Ce qui importe ici, ce n’est pas seulement la moyenne d’heures travaillées. Le taux d’activité (i.e la proportion de la population qui travaille pour un salaire) et le nombre d’années de travail exigées avant que les travailleurs n’aient droit à leurs retraites sont tout aussi importants. À cause de l’augmentation des départs à la retraite et de la hausse du nombre de femmes en emplois, le taux de rendement de la main-d’oeuvre en Europe a crut a un rythme plus rapide durant la seconde moitié des années 1990 qu’aux États-Unis (comme le souligne fièrement la Commission Européenne dans son rapport de 2007 :« L’emploi en Europe »).
L’augmentation du coût de la main-d’œuvre est un élément en cette ère de néo-libéralisme. Le mode de vie néolibéral se caractérise par de très longues heures de travail, qui se doivent d’être flexibles et fragmentées. Malgré des différences réelles dans la longueur de la journée, de la semaine ou de l’année de travail d’un pays à l’autre, dans tous les pays développés on a accepté une diminution du coût du travail en rendant le rendant plus flexible et en facilitant l’amélioration de son taux de rendement.
Le temps de travail comme outil de gestion
Les règles légales ou encore celles obtenues par la négociation collective sur les limites au temps de travail ont rarement été modifiés par des lois. Cela c’est plutôt fait par un affaiblissement des conditions collectives en regard du temps de travail : on a accordé des concessions et des exemptions ; la négociation collective s’est érodée et a été décentralisée ; de nouvelles formes de flexibilité ont été introduites et ont rendu difficile le contrôle du temps travaillé, (par exemple, les comptes individuels de temps de travail), l’individualisation des heures de travail par l’utilisation de mécanismes de retraits (opting-out) comme l’ouverture de la semaine de 60 heures en Ontario ; et l’autorisation du recours large aux heures supplémentaires comme la France l’a fait pour affaiblir les effets de la loi sur les 35 heures.
Cette politique de flexibilisation des heures de travail s’est répercuté dans le secteur des politiques sociales. Le nombre de chômeurs-euses a augmenté et le temps de travail exigé pour avoir droit à la retraite a été augmenté. C’est l’accélération de la compétition qui a provoqué l’individualisation et la flexibilité, pas les préférences des travailleurs-euses sur le terrain. Ce processus a considérablement affaibli la solidarité au sein de la classe ouvrière. Mais même si les changements ont été imposés par la compétition, on ne peut pas dire que le résultat fut un allongement spectaculaire de la journée ou de la semaine de travail. Ce fut plutôt une augmentation de la disparité dans le temps de travail, certainEs y mettant beaucoup plus d’heures et les autres beaucoup moins.
La Grande Bretagne se distingue par l’inégalité dans le nombre d’heures travaillées. Même si cette disparité a quelque peu diminuée ces dernières années, c’est encore le cas. Moins d’un tiers des Britanniques travaillaient entre 30 et 40 heures par semaine en 2008. Pire, 30% des travailleurs faisaient 45 heures alors que 12% des travailleuses en faisaient moins de 16 par semaine. En Allemagne, 45% des hommes travaillaient 40 heures par semaine en 2008. Mais la proportion d’hommes qui étaient passés de 41 à 48 heures avait plus que doublé entre 1995 et 2008. Au cours de la même période, la proportion des femmes travaillant moins de 20 heures avait augmenté de 60%.
Aux États-Unis, la proportion de travailleurs et travailleuses qui ont une semaine de 40 heures est passée de 48% en 1970 à 41% en 2000. La proportion de ceux et celles qui travaillent 50 heures et plus a augmenté de 5,5%, passant de 21% à 26,5% au cours de la même période. Au Canada aussi on a observé de tels mouvements d’écart dans le nombre d’heures travaillées du début des années 80 jusqu’au milieu 90. Le mouvement c’est quelque peu inversé entre 1997 et 2006. En France et en Suède les heures travaillées sont distribuées plus égalitairement avec une toute petite proportion de la force de travail assujettie à moins de 30 heures par semaine. Mais, en France, la proportion d’hommes travaillant 40 heures semaine est passée de 20% à 30% entre 2002 2008.
Heures travaillées et solidarité ouvrière
L’érosion des standards du temps de travail semblable pour tous et toutes a été en partie causée par les attaques des employeurs-euses contre les syndicats et les négociations collectives. Ce fut aussi l’effet de l’adoption de lois anti syndicales. Toutefois, les syndicats ont indirectement contribué à cette transformation quand ils ont sacrifié les régimes de travail moins long en temps comme outil de négociation et qu’ils ont accepté que cet aspect des règles de travail soit négocié par entreprise plutôt que par branche. En prenant cette position en faveur de l’allongement du temps de travail, ils se sont soumis à la logique de la compétition et ont implicitement admis que cela pouvait préserver des emplois.
Pourtant, c’est le contraire qui s’est produit : le chômage n’a fait qu’augmenter. Leur pouvoir s’est encore érodé et les syndiquéEs se sont retrouvéEs encore plus vulnérables face aux demandes patronales. Dans certains pays, ils ont encore été capables de gagner certains abaissements au cours de 1990. Mais avec la flexibilisation et le déplacement des négociations vers les entreprises le prix à payer pour leurs reculs à été élevé. Avec cette érosion du pouvoir syndical, et la flexibilisation il était devenu facile d’individualiser les règles de travail et les horaires en se servant des exceptions notamment. La flexibilisation et la marchandisation vont de pair. Dans ce contexte, on a vite vu les courtes heures régies par la flexibilité devenir longues heures tout aussi flexibles.
Dans les décennies suivant la deuxième guerre mondiale, les syndicats se sont évertués à faire diminuer les heures de travail contre de meilleurs salaires et une amélioration des conditions matérielles de vie. Certains théoriciens, comme André Gorz ont critiqué cette position parce qu’elle entraînait un plus grand asservissement de la classe ouvrière à la société capitaliste. L’accélération du cycle travail-dépense rendait les travailleurs-euses encore plus dépendantEs du capital. Ce cycle d’accumulation n’était pas seulement basé sur l’augmentation de l’exploitation de la force de travail mais aussi sur celle des ressources naturelles. Marx, avait noté à son époque qu’il y avait des similarités entre l’une et l’autre. La revendication pour l’abaissement des heures de travail était comprise comme une mesure vitale pour rendre plus supportable la reproduction humaine autant que pour élargir l’espace de liberté face à la domination capitaliste.
Depuis 1980 le salaire réel, dans les pays industriels avancés n’a que peu augmenté quand il n’a pas stagné. Plutôt que de bénéficier de moins d’heure de travail et de plus de salaires, les familles ouvrières travaillent plus pour tout juste arriver à maintenir leur niveau de vie. Cela a rendu les syndiquéEs encore plus réticentEs à demander la diminution du temps de travail. Pourtant, des journées et des semaines moins longues, plus de congés payés, de possibilités d’absence avec un accès hâtif à la retraite sont les revendications qui sont nécessaires à la reconstruction de la solidarité dans la classe ouvrière.
Parce qu’elle ne repose pas sur les coûts des conditions locales de vie, la réduction des heures de travail pourrait et devrait faire partie de demandes internationales comme ce fut le cas lors de la lutte pour la journée de 8 heures. En partageant le travail disponible entre le plus grand nombre de travailleurs-euses possibles, la diminution des heures de travail profite non seulement aux syndiquéEs mais aussi aux chômeurs-euses. Cet aspect était une motivation importante des luttes historiques pour son introduction.
Le temps ainsi gagné donne aux gens l’espace nécessaire pour penser et expérimenter des alternatives de travail en dehors des liens avec le capital et des aménagements de vie plus démocratiques. Souvent, ceux et celles qui ont accepté de réduire leurs heures dans les plans de coupes au cours des crises, ne veulent pas revenir au temps plein antérieur.
En plus, moins d’heures passées au travail permet de mieux partager le travail payé et celui gratuit entre les hommes et les femmes. C’est dans cette optique que les féministes suédoises ont revendiqué la semaine de 30 heures pour tous et toutes durant les années 70. Réduire le temps de travail est crucial pour refaire la capacité du mouvement ouvrier à affronter la classe capitaliste pour construire une société plus égalitaire et plus écologique.