Parmi ces mesures, celles qui ressortent particulièrement et traduisent le mépris porté aux personnes les plus faibles, on peut relever celle qui a trait aux coupes dans les allocations de chômage. C’est pourquoi il n’est pas surprenant qu’elles aient suscité immédiatement des réactions d’opposition de la part des organisations syndicales et sociales.
Que les mesures décidées soient de dures attaques antisociales, même le président du gouvernement, M. Rajoy, ne se risque pas à le démentir. L’amère potion commune se résume à ce que tout l’ajustement budgétaire a été réalisé jusqu’à présent par des coupes dans les dépenses. Par contre, la question centrale, celle de l’augmentation des rentrées fiscales n’a pas été abordée.
Cela n’a pas empêché Rajoy de présenter ces mesures au parlement – appliquant de la sorte l’ordre donné par la Banque centrale européenne (BCE), la Commission européenne et le FMI – comme nécessaires et inévitables, comme la « seule » solution possible.
Qui plus est, il leur a attribué, comme il l’avait fait au moment de la contre-réforme du droit du travail, une vertu d’efficacité économique qui nous garantira la reprise. Le président du trio (Rajoy, de Guindos – économie – et Montoro – Finances) essaye, une fois de plus, de nous tromper par ses tours de passe-passe et son supposé sens commun. En outre, il le fait d’une façon terriblement contre-productive pour le futur immédiat de l’économie. C’est là que réside son talon d’Achille.
Pendant ce temps, le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol), avec Alfredo Pérez Rubalcaba à sa tête, intervient sans capacité de peser dans le débat politique, entravé qu’il est par son passé récent (défaite électorale de mai 2011 !), par sa conception sociale-libérale de l’économie, et par l’Union Européenne (qui le prive d’une alternative qui pourrait le distinguer) ainsi que par le rôle qu’il veut jouer (dont personne ne l’en a chargé, ni personne ne lui en est reconnaissant) de parti qui fait de la politique d’Etat responsable au moment où il faut faire une politique de majorité sociale face à la barbarie.
Causer dépression et autres souffrances
En 1966, l’anthropologue Maurice Godelier questionnait la raison capitaliste dans le titre même d’un de ses ouvrages : Rationalité et irrationalité en économie (Maspero, 1966). Il semblerait qu’aujourd’hui Bruxelles, Berlin et Madrid se débattent à nouveau entre ces deux termes de la dichotomie. D’un côté, les principaux gouvernements européens et les institutions de l’UE agissent comme les représentants des intérêts du capital financier qui se chargent de garantir que les dettes contractées soient recouvrées par les créanciers. Pour cela, le Mémorandum qui impose à l’Etat espagnol le « sauvetage » par l’UE oblige à dégager les ressources nécessaires au moyen de coupes dans les dépenses sociales, de baisses de salaires et d’augmentations d’impôts, etc., dans l’objectif de recapitaliser le système bancaire espagnol afin qu’elle paie ses créanciers étrangers.
De l’autre côté, cependant, les mesures que vient d’approuver le trio Cristobal Montoro, ministre des finances, Luis De Guindos, ministre de l’économie, et Mariano Rajoy, le président du gouvernement – qui incluent de nouveaux ajustements – sont un bon exemple de l’irrationalité et de l’incompétence de ces serviteurs des marchés puisqu’ils les effectuent au nom d’un supposé assainissement économique nécessaire pour sortir de la crise alors qu’ils ne font qu’aggraver la situation actuelle de dépression économique. Le trio ne semble pas bien savoir ni quoi faire ni quelles conséquences auront ses décisions, bien qu’elles aient placé l’économie espagnole au centre d’un bourbier de sables mouvants.
Montoro a imposé avec son arrogance et à toute vitesse car il était pressé, aux communautés autonomes [fortement endettées] un objectif de déficit encore plus sévère que celui « approuvé » il y a deux mois. Cela va provoquer de nouvelles coupes sociales dans les services publics de base comme la santé publique, l’enseignement et les soins aux personnes dépendantes. Mais cet objectif signifie aussi une dure atteinte économique pour divers secteurs qui vont connaître encore plus de récession et de chômage.
La suppression du 13e salaire de Noël pour des dizaines de milliers d’employés de la fonction publique représente la énième agression salariale à ce secteur. Elle aura, aussi, des effets sur leurs dépenses et leur demande sur le marché interne avec des conséquences qui iront toutes dans le même sens.
Les privatisations des restes des joyaux de la couronne, comme la compagnie de chemin de fers RENFE, n’amèneront que diminutions de personnel, services publics détériorés, mais gains privés augmentés. Dans tous les cas les « économies » et les « rentrées financières » vont être moindres que les pertes économiques que cela va occasionner à l’ensemble de la société.
Au milieu de ce marasme, ils profitent en plus d’annoncer la baisse du montant des cotisations à la sécurité sociale (un nouveau cadeau pour les patrons aux dépens de notre salaire et de notre couverture sociale) ainsi qu’un impôt sur l’énergie dont le but est de procurer des rentrées fiscales. Ce nouvel impôt, loin de résoudre l’escroquerie du déficit tarifaire, se traduira en augmentations des prix finaux pour les petits consommateurs, sans pour autant réussir à réduire la demande énergétique globale effective, ni favoriser des changements en direction des énergies renouvelables qui mettraient en danger le futur de cet impôt.
La nouveauté dans cette situation, ce ne sont pas les mobilisations populaires annoncées et indispensables. Ce qui est nouveau, c’est que pour la première fois depuis la formation du gouvernement du PP son orientation a déclenché des critiques très sévères de la part de divers secteurs patronaux à propos de l’effet pernicieux de la diminution de la masse salariale des employés de la fonction publique et tout particulièrement à propos de la hausse de la TVA qui va entrer en vigueur le 1er septembre.
Une bonne partie des patrons et de leurs analystes craignent que cette hausse déprime encore plus la demande. C’est le cas du secteur touristique. Exceltur, le forum qui regroupe les principales entreprises du secteur, estime que chaque point de hausse de la TVA qui se répercutera directement sur le prix final provoquera une diminution des ventes du secteur touristique de 1,005 milliard d’euros, ce qui peut impliquer la destruction de milliers d’emplois. Joan Rosell, le patron des patrons de la CEOE (la Confédération espagnole des organisations patronales), continue de montrer sa compréhension et d’appuyer les mesures du PP. Toutefois, l’unité monolithique qu’ils ont maintenue autour de la réforme du droit du travail s’est fissurée.
Devant tout cela, nous ne pouvons que convenir avec Ernest Mandel, quand il déclarait en 1983 dans une de ses conférences universitaires à Athènes, la capitale de ce pays aujourd’hui torturé et combatif : « La société bourgeoise dans son ensemble se caractérise par une combinaison sui generis de rationalité partielle et d’irrationalité globale. »
L’augmentation de la TVA comme paradigme
Le PP a enfin décidé d’augmenter les rentrées fiscales en augmentant fortement les impôts. Mais de la même manière qu’il l’a fait récemment avec l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPF), la hausse pèsera et retombera sur les classes travailleuses. La pièce clé de l’augmentation des rentrées fiscales réside en la hausse de la TVA. Le reste des mesures fiscales aura moins d’effets immédiats.
Comme on le sait, la TVA est un impôt indirect que paient les consommateurs finaux et cet impôt a une forte nature régressive, puisqu’il est proportionnel aux dépenses de consommation, mais à la différence des bas revenus, les riches ne consomment pas tous leurs revenus, échappant ainsi largement à la TVA. La TVA ne permet que peu de modulations pour corriger les effets pervers qu’elle provoque. C’est un impôt « facile » qui pèse sur la population – avec peu de moyens pour s’y opposer – et non pas sur les détenteurs de la richesse produite, qui sont, eux, riches également en instruments de pression.
La hausse du taux général de 18% à 21% et du taux réduit (sur certains biens) de 8% à 10 % implique que 60% des biens et services, qui se traduisent dans le PIB, se verront affectés. En outre, divers biens et services passent du taux réduit au taux général. Cela veut dire que non seulement la TVA monte pour des biens de luxe ou superflus, mais également pour des biens de première nécessité comme les habits, le transport des voyageurs, le logement, l’eau et l’électricité, et va affecter des biens et services comme le téléphone, les lunettes et lentilles correctrices, les couches pour bébés, le coiffeur ou les plats préparés, ainsi que les bars, restaurants et hôtels.
Le taux le plus bas reste à 4%. Il continuera de s’appliquer aux aliments frais – comme le lait, les œufs, les fruits et légumes – les livres et journaux, le matériel scolaire, les médicaments et le logement social. Mais cela ne veut pas dire que les prix, par exemple, des aliments, ne vont pas monter car les producteurs répercuteront sur leurs prix les 400 millions d’euros de TVA qu’ils devront payer en plus pour leur consommation et leurs achats de machines.
Par conséquent, aucun bien ne sera exempt de renchérissement. Les prix vont monter de façon généralisée, contribuant à l’érosion du pouvoir d’achat et à une détérioration encore plus grande de la demande totale.
L’Organisation des consommateurs et usagers (OCU) évalue la hausse moyenne de la dépense par année à 415 euros par famille. D’autres estimations parlent de presque 800 euros.
Si aux hausses actuelles nous ajoutons celles de juillet 2010, quand le taux général de la TVA avait passé de 16% à 18% et le taux réduit de 7% à 8%, nous constatons que la TVA, si régressive socialement, aura augmenté en deux ans de 23,8% pour ce qui est du taux général et de 30% pour ce qui est du taux réduit. Cela veut dire que chaque famille dépensera en moyenne 800 euros de plus qu’en 2010, ce qui signifie que pour une grande partie de la population c’est presque un salaire mensuel qui partira sous l’effet de cette hausse de la TVA.
En 2010, les rentrées de TVA ont augmenté de 5 milliards d’euros durant l’année. Aujourd’hui, le gouvernement estime que dans les douze mois qui vont suivre l’entrée en vigueur de la hausse, les rentrées de TVA vont monter de 7,5 milliards. C’est une erreur crasse, car la situation de stagnation est aujourd’hui plus grave qu’il y a deux ans.
C’est donc plus que probable que les rentrées liées à la TVA n’augmentent pas parce que la hausse du taux se verra compensée par la baisse de l’activité. Les médias gouvernementaux argumentent que l’Allemagne a réalisé une hausse de trois points de TVA en 2007, de 16% à 19%. Ce qu’ils ne disent pas, c’est qu’elle l’a fait à un moment où son économie croissait de plus que 3%. Dans le cas espagnol, le gouvernement prévoit qu’en 2012 le PIB chutera de 1,7% et la demande interne de 4,4%.
Dans notre pays, à cause de la fin du cancer immobilier, la permissivité à l’égard de la fraude fiscale et les baisses incessantes depuis 1996 des impôts sur les revenus du capital, la pression fiscale sur le PIB s’est située à des niveaux bien inférieurs à la zone communautaire, particulièrement la zone euro. C’est ce qui a été une des causes principales de la hausse rapide du déficit public, alors qu’en 2007 encore, il y avait un solde positif. Et par conséquent, c’est un des facteurs qui poussent à la hausse la dette publique.
A partir d’aujourd’hui, on assiste au paradoxe que l’Espagne est à la fois un des pays de l’UE avec la pression fiscale la plus basse et avec cependant une des TVA les plus hautes. Ou dit autrement, la régressivité fiscale augmente. Depuis le début de la crise actuelle, des 27 Etats membres de l’UE, 17 ont relevé leur taux de TVA. Uniquement la Hongrie et la Roumanie ont décidé une hausse plus forte que celle que vient d’annoncer le gouvernement de Rajoy, mais ces deux pays partaient de taux plus bas. Dans la zone euro, seuls la Grèce, l’Irlande, le Portugal et la Finlande auront désormais un taux de TVA, à 23%, supérieur à l’espagnol.
Oui, c’est possible
N’y a-t-il pas d’autres solutions que celles proposées par le trio espagnol et par la troïka communautaire ? Si, à tous points de vue.
Quelques pistes suffisent pour indiquer d’autres horizons. Si nous parlons de dette. Les citoyens doivent-ils payer les dettes des banques et des entreprises ? Toute la dette est-elle légitime ? La dette légitime doit-elle être payée toute d’un coup ?
Si nous parlons de finances. Pourquoi ne pas convertir le business financier privé en une grande banque publique qui investisse en activité productive et maximise le bien-être social ? Pourquoi ne pas combattre la dépression de la demande par des hausses généralisées des salaires et des pensions ?
Si nous parlons de chômage et de production. Pourquoi ne pas répartir le travail et l’emploi en diminuant la journée de travail ? Pourquoi ne pas impulser des investissements massifs dans les énergies alternatives, la santé, l’enseignement ou la recherche ?
Si nous parlons de déficit. Pourquoi ne pas combattre et éradiquer la fraude fiscale, estimée à 6% du PIB, c’est-à-dire, un montant de 70 milliards d’euros équivalant à ce que le gouvernement veut économiser et lever sur le dos des plus faibles ? Pourquoi accepter les transactions avec les paradis fiscaux ? Pourquoi ne pas augmenter l’imposition des profits patronaux et mettre fin à des refuges comme les SICAV (sociétés qui émettent ou rachètent des actions) dans un pays où l’impôt sur les sociétés a un taux effectif qui tourne autour de 10%, c’est-à-dire plus bas même que le taux nominal de 12,5% qu’avait l’Irlande avant son renflouement ? Pourquoi ne pas rétablir l’impôt sur la fortune et créer en outre un impôt sur les grandes fortunes ?
Ces questions et beaucoup d’autres indiquent des mesures crédibles et raisonnables qui rendraient possibles que ce ne soient pas les classes travailleuses et populaires qui paient la crise. Pour les mettre sur pied, il faut accumuler des énergies sociales et politiques qui en finissent avec l’orientation antisociale que nous offrent ceux qui gouvernent dans l’UE et à Madrid. (Traduction A l’Encontre ; article publié sur le site de Viento Sur)